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La Scena Musicale est choquée et attristée d’apprendre la mort insensée de Boris Brott, victime d’un délit de fuite le matin du 5 avril 2022. Boris a fait l’objet de plusieurs articles dans les pages de La Scena Musicale. En guise d’hommage, voici quelques-uns des articles qui lui ont été consacrés. Boris était également un LSM Ambassadeur chaque année, et nous le remercions pour son soutien.
Boris a également écrit un hommage à sa mère Lotte Brott, que nous publions en trois parties dans La Scena Musicale :
- Partie I : Lotte Brott – Un hommage (La Scena Musicale, fév/mars 2022)
- Partie II : Lotte Brott un Témoignage (La Scena Musicale, avril/mai 2022)
- Partie III: Lotte Brott – A Tribute (en anglais)
Funérailles : Un service funéraire en personne a eu lieu le dimanche 10 avril 2022, à 14 h, au Temple Anshe Sholom, 215, avenue Cline Nord, Hamilton. Le service a été diffusé sur Zoom. Voici la vidéo.
Orchestre classique de Montréal : nouveau nom pour un ensemble classique
par Michael Schulman, initialement publié dans La Scena Musicale, octobre 2019
Pourquoi avoir attendu si longtemps avant de changer de nom ? C’est la première question adressée à Boris Brott, directeur artistique de ce qui s’appelle maintenant l’Orchestre classique de Montréal
« Eh bien, ce n’était pas une décision évidente et nous voulions trouver le nom adéquat, dit le chef depuis l’endroit qu’il décrit comme son “bureau de Toronto”, le Library Bar de l’hôtel Fairmont Royal York. Tous les noms considérés ne semblaient pas convenir jusqu’à ce qu’un jour, notre comptable nous dise : “Pourquoi pas ‘Orchestre classique de Montréal’ ?” Ce à quoi, tout le monde a répondu : “Ouais ! C’est parfait !” Même les anglophones unilingues allaient comprendre ! »
Boris revenait tout juste de Montréal – puisqu’on se connaît depuis plus de 40 ans, ce sera Boris plutôt que Brott – où il avait dirigé la veille le tout premier concert de l’ensemble sous un autre nom que l’Orchestre de chambre McGill. Le mot « chambre » a été abandonné, explique Boris, « car du point de vue du public général il évoque souvent quelque chose qui n’est pas vraiment pour lui, quelque chose d’ésotérique et d’élitiste – ce que notre orchestre n’est pas du tout ».
L’Orchestre de chambre de McGill est issu du Quatuor à cordes McGill, fondé par le père de Boris, le chef, compositeur et violoniste Alexander Brott (1915-2005), à son entrée à la faculté de l’Université McGill en 1939. La violoncelliste Lotte Goetzel devint membre du quatuor en 1942 et l’année suivante elle épousait Alexander Brott. Lotte Brott (1922-1998) a donné naissance à Boris (né en 1944) et à son frère, Denis (né en 1950), qui a lui-même mené une brillante carrière de violoncelliste et d’organisateur de festival.
Peu à peu, le Quatuor à cordes McGill s’est diversifié et a élargi son répertoire en se produisant au sein de plus grands ensembles dirigés par Alexander Brott. En 1953, l’Orchestre de chambre McGill est officiellement créé. Selon le répertoire, le nombre de musiciens à un concert donné pouvait varier de son noyau de 15 à 16 instrumentistes à cordes pour la musique de chambre à 60 pour former un véritable orchestre classique. « Cette flexibilité, affirme Boris, qui nous permet de diminuer ou d’augmenter notre effectif, a toujours fait partie intégrante de l’Orchestre et est encore très importante. »
Durant l’évolution de l’ensemble, des membres de l’Orchestre symphonique de Montréal, dont Alexander Brott était le violon solo et le chef assistant et Lotte Brott un des violoncelles, étaient recrutés pour se produire au sein de l’Orchestre de chambre McGill. Parmi les vedettes canadiennes et internationales invitées, on a vu des solistes comme les chanteuses Maureen Forrester et Marilyn Horne, le pianiste Glenn Gould, le flûtiste Jean-Pierre Rampal, les violonistes Yehudi Menuhin, Isaac Stern et David Oïstrakh et les violoncellistes Mstislav Rostropovich et Yo-Yo Ma.
Mais en 1980, lorsqu’Alexander Brott a pris sa retraite de McGill, l’ensemble, aujourd’hui mondialement reconnu et qui jouait depuis longtemps hors campus dans les principales salles de concert de Montréal, a effectivement rompu ses liens avec l’université. Pourtant, Alexander Brott a insisté pour conserver « McGill » dans le nom de l’ensemble.
« C’est que mon père était très loyal envers McGill et nous avons convenu de conserver le nom de son vivant. » Reconnaissant que plusieurs personnes dans le public concluaient logiquement que l’ensemble était toujours lié à l’université, le comité, affirme Boris, « voulait le renommer Orchestre Alexander Brott ». N’ayant jamais eu un égo très prononcé, « mon père y était totalement opposé et invoquait comme excuse la vieille croyance juive selon laquelle donner le nom de quelqu’un à une entité de son vivant a pour effet de précipiter sa mort. Le nom de McGill est donc resté. Jusqu’à maintenant. »
En 1989, Boris a été nommé chef associé de l’ensemble et en est devenu le directeur artistique à la mort de son père en 2005. Pour sa première saison sous le nom d’Orchestre classique de Montréal, l’ensemble donnera neuf concerts, dont le point culminant aura lieu le 7 juin à la Maison symphonique avec la Symphonie no 9 de Beethoven. Le noyau de l’ensemble composé de seize musiciens (neuf violons, trois altos, trois violoncelles et une contrebasse) sera joint par une quarantaine de musiciens, en plus, bien sûr, d’un chœur pour l’Ode à la joie. Ce noyau sera plus modestement augmenté – avec hautbois, trompette et timbales – le 3 novembre pour un programme à la salle Pierre-Mercure qui comprendra l’arrangement de Busoni du Concerto pour piano en ré mineur de Bach (avec Anne-Marie Dubois en tant que soliste) et le Gloria de Vivaldi avec Les Petits Chanteurs du Mont-Royal.
Boris a toujours été lié à l’ensemble, il a grandi en regardant et en écoutant ses parents répéter à la maison et en assistant à leurs concerts avec le quatuor, l’ensemble de chambre et l’OSM. Selon ce que Boris m’a déjà dit en 1976, son éducation musicale aurait peut-être même commencé in utero. Il m’avait confié : « Lorsque j’étudie des œuvres symphoniques que je n’ai jamais étudiées auparavant, je me rends parfois compte que je connais intimement la ligne de violoncelle et que je peux deviner ce qui va suivre. En vérifiant auprès de ma mère ou en jetant un œil à son carnet, je me suis rendu compte que chaque fois, il s’agit d’un morceau qu’elle avait joué alors que j’étais encore dans son ventre ! »
Boris n’avait que trois ans lorsque son père rapporta à la maison un violon 1/8 et commença à lui donner des leçons. Boris apprenait vite. À cinq ans, il a fait ses débuts en solo lors d’un concert junior de l’OSM, jouant le premier mouvement d’un concerto pour violon de Vivaldi. Mais vers l’âge de 12 ans, il a troqué le violon et l’archet pour le bâton de chef. « C’est parce que je n’aimais pas me sentir isolé de mes camarades d’école en pratiquant le violon à la maison au lieu de faire du sport. Et un jour, j’ai amené mon violon à un rassemblement et ce fut un désastre total : je me suis fait lancer des boules de neige jusque chez moi. Deux de mes voisins qui étaient en même année que moi à l’école sont devenus mes “protecteurs” et m’escortaient partout pour s’assurer que je ne me faisais pas trop rudoyer. »
« Igor Markevitch, alors directeur musical de l’Orchestre symphonique de Montréal, qui a passé beaucoup de temps chez moi, tout comme de nombreux musiciens invités, m’a confié que j’avais une façon remarquable de m’exprimer et que je devrais envisager de devenir chef d’orchestre. C’est lui qui a vu cela en moi et qui a annoncé à la table lors d’un dîner que je devrais venir étudier avec lui à Mexico. »
Boris a alors commencé à étudier pour être chef avec Markevitch et Pierre Monteux. Encore une fois, il apprenait très vite et a remporté le premier prix du concours de direction d’orchestre panaméricain de 1958 à Mexico. L’année suivante, à 15 ans, il fonde l’Orchestre philharmonique des jeunes de Montréal, faisant ses débuts devant public comme chef d’orchestre, succédant ainsi à son père fondateur de l’orchestre et chef, avec qui il partageait, en plus du talent, sa date d’anniversaire – le 14 mars.
La carrière de chef de Boris dure maintenant depuis 60 ans. Il s’est spécialisé dans la fondation d’orchestres – et de leurs publics – durant ses années de carrière comme directeur artistique ou comme chef de l’Orchestre symphonique de Lakehead/Thunder Bay, de l’Orchestre symphonique de Regina, de l’Orchestre philharmonique d’Hamilton, de l’Orchestre de la SRC de Winnipeg, du Northern Sinfonia au Royaume-Uni, de l’Orchestre symphonique de Nouvelle-Écosse, de l’Ontario Place Pops Orchestra, de l’Orchestre gallois de la BBC et du New West Symphony en Californie.
Avec le recul, il se souvient avec plaisir de son association avec Leonard Bernstein. « J’ai remporté le concours Dimitri Mitropoulos en 1968 et je suis devenu chef assistant de Bernstein à l’Orchestre philharmonique de New York, passant du temps à étudier des partitions avec lui. Il a exercé une énorme influence sur moi. Ce fut donc une expérience très particulière pour moi de diriger la première représentation au Vatican de La Messe de Bernstein en 2000, en présence du pape. Qui plus est, souvenons-nous que cette œuvre avait au départ été gravement décriée par l’Église catholique. »
Les nombreux prix attribués à Boris incluent l’Ordre du Canada, l’Ordre de l’Ontario et l’Ordre du Québec. Mais je n’ai pas été surpris d’apprendre que le prix dont il était le plus fier était celui de la Journée nationale de l’enfant qu’il a reçu en 2007 en récompense de son travail auprès de plus d’un million d’enfants, qu’il a initiés aux beautés et aux sensations de la musique classique. Boris a toujours aimé jouer pour les enfants et il a dirigé régulièrement les concerts pour enfants de l’Orchestre du Centre national des Arts. « Après tout, dit-il, les enfants sont notre futur public, nous avons donc un rôle important à jouer. »
Y a-t-il des œuvres qu’il préfère, disons des œuvres festives, qu’il revisite fréquemment ? « Pas vraiment, répond-il. Pour moi, l’œuvre que j’étudie et interprète doit être, au moment où je la joue, ma préférée, sinon je ne pourrais pas jouer de façon convaincante. Mais je ne me lasse jamais d’interpréter le répertoire romantique allemand et russe – je viens d’une famille russe du côté de mon père et allemande du côté de ma mère – et la musique du siècle dernier. Quoique je n’aie jamais trouvé plus haut degré de sympathie que dans la seconde école de Vienne de Schoenberg, Berg et Webern. »
« Du point de vue de la programmation, le baroque a été accaparé par une idéologie de la “pratique authentique” avec des instruments dits authentiques. Eh bien, l’OCM n’est pas ce genre d’orchestre. Notre répertoire tend à se tenir à l’écart du baroque et intègre beaucoup de musique du 19e siècle à nos jours. Cela a toujours été la ligne de conduite de l’orchestre, qui consiste aussi à encourager la musique et les compositeurs canadiens. Chaque année, une nouvelle œuvre est commandée et nous perpétuons cette tradition. »
Avec une cinquantaine de concerts prévus pour la saison 2019-2020, Boris ne montre aucun signe de ralentissement. Pourquoi le devrait-il ? À 75 ans, il est dans la force de l’âge pour un chef, une profession qui encourage la longévité de ses praticiens en exigeant une activité physique, émotionnelle et mentale prolongée, de sorte que de nombreux chefs d’orchestre distingués ont dirigé avec vigueur jusqu’à l’âge de 80 ou 90 ans. Boris continue de diriger l’annuel Brott Music Festival, qu’il a fondé en 1988 à Hamilton, où il réside, ainsi que la branche formatrice du festival, le National Academy Orchestra of Canada. « Avec le NAOC, dit-il fièrement, nous avons formé plus de 1600 musiciens dans le monde entier. Nous considérons que notre mission est de les aider à faire la transition de l’école à l’emploi – souvent, cela requiert non seulement un talent musical, mais aussi un entregent bien utile pour présenter une candidature. »
« Mes objectifs pour l’avenir sont d’infuser davantage de sang neuf dans l’OCM, d’augmenter l’ampleur de notre activité et de repousser nos frontières culturelles. Notre programme Musique pour tous est destiné à accroître la diversité de nos publics et à créer des liens avec nos différentes communautés ethnoculturelles, en amenant leurs compositeurs et interprètes à travailler étroitement avec nous, en joignant leurs fantastiques cultures musicales à nos traditions classiques issues de l’Europe. »
« Je suis en train de reconstruire Opera Hamilton, la société que j’ai fondée il y a 40 ans. Nous avons déjà terminé La Bohème, qui se déroule dans le Hamilton contemporain. Nous nous concentrerons tout d’abord sur le répertoire italien, car la langue seconde à Hamilton est l’italien et non le français. J’ai toujours voulu diriger le cycle de l’Anneau de Wagner, mais cela n’arrivera probablement jamais. »
« Bien sûr, j’ai joué de nombreux extraits orchestraux d’opéras de Wagner et je les aime depuis mon enfance, alors que je les écoutais avec mon grand-père allemand. Je m’intéresse également aux aspects thérapeutiques de la musique – “La musique a le pouvoir d’apaiser” – et aux possibilités pour l’OCM de travailler avec les foyers pour personnes âgées et à contribuer aux programmes pour personnes aux prises avec des troubles émotionnels et mentaux. Je pense que nous avons beaucoup à apporter dans ces domaines. »
Malgré une longue carrière riche en réalisations, Boris est clairement orienté vers l’avenir plutôt que vers le passé. Il reste encore beaucoup à faire et, qui sait, peut-être même le tout premier Anneau d’Opera Hamilton ?
Pour plus d’information sur l’Orchestre classique de Montréal, visitez www.orchestre.ca. Pour plus d’information sur Boris Brott, visitez www.borisbrott.com.
Traduction par Andréanne Venne
Le festival de musique de Brott à 20 ans
par Wah Keung Chan, The Music Scene Magazine, été 2007 (juin)
Pour de nombreux Canadiens, la ville de Hamilton ne figurerait normalement pas en tête de liste des centres musicaux remarquables du pays, mais chaque été et chaque automne depuis 20 ans, la ville accueille le Brott Music Festival, un festival unique de 20 semaines qui a contribué à la fois à la vie musicale de la région et à la formation de certains des musiciens professionnels canadiens de demain. Pour célébrer cette étape importante, le festival présentera le plus grand concert de l’été au Canada, à savoir la monumentale 8e symphonie de Mahler (alias la fameuse “Symphonie des mille”). À la barre, on retrouvera le maître d’œuvre du festival et chef d’orchestre jet-set Boris Brott, natif de Montréal qui, depuis 38 ans, réside à Hamilton.
La relation de Brott avec Hamilton n’aurait peut-être jamais commencé si son mentor Leonard Bernstein n’avait pas conseillé au jeune homme de 25 ans de “déployer ses propres ailes” en tant que directeur artistique du Hamilton Philharmonic Orchestra (HPO) plutôt que de devenir l’assistant de Georg Szell à Cleveland. Le jeune Brott est alors en pleine ascension, fort d’une série de succès. À 17 ans, il était chef d’orchestre adjoint de l’Orchestre symphonique de Toronto, et il remportait des prix dans de grands concours internationaux, jusqu’au concours international de direction d’orchestre Dimitri Mitropoulos à New York, qui lui a valu un apprentissage de deux ans avec Bernstein. Au fil des ans, Brott a contribué à au moins six orchestres canadiens.
En 1988, M. Brott a fondé le Boris Brott Summer Music Festival à Hamilton, avec Ardyth Webster, son épouse depuis 31 ans et avec qui il a trois enfants, comme directrice générale du festival. “Le maire de Hamilton, Robert Morrow, m’a alors suggéré de lancer un événement culturel en été et il a fourni le financement”, se souvient M. Brott. Au départ, le festival était un événement de cinq concerts sur 11 jours avec un budget de 50 000 $. L’année suivante, M. Brott a eu l’idée de créer le National Academy Orchestra (NAO) afin d’associer de jeunes diplômés en musique (M. Brott tient à ce qu’on les appelle aussi des professionnels) à des professionnels établis dans une relation symbiotique de mentorat et d’apprentissage. “Ma femme et moi organisions un concert à la Commission de la capitale nationale à Ottawa et, pour compléter la section des cordes, j’ai jumelé des membres des Jeunes Virtuoses de Montréal de mon père avec des membres de l’Orchestre du Centre national des Arts (OCNA).” Le concert a été annulé par la pluie, mais la répétition s’est avérée suffisamment enrichissante pour les professionnels chevronnés et les jeunes professionnels pour que M. Brott décide de faire du programme de mentorat un élément régulier de son festival. Pour verser un salaire aux apprentis, il a convaincu la ministre du Travail de l’époque, Barbara McDougall, de la nécessité d’aider les diplômés canadiens en musique à être plus compétitifs sur le marché du travail face aux Américains plus expérimentés. En entendant Brott parler de la nécessité des cours de formation, de mentorat et d’entrepreneuriat, on se demande pourquoi ils n’existaient pas auparavant. Sa crédibilité sur ces sujets découle clairement de ses années d’expérience dans l’industrie.
En 1990, après 22 ans de service au HPO, Brott a reçu un coup surprenant lorsqu’on lui a demandé de partir. “Le développement de l’HPO, qui est passé d’un orchestre communautaire à un ensemble professionnel à temps plein avec un contrat de 42 semaines et plus d’abonnés que l’équipe de football des Tiger-Cat de Hamilton, a été l’œuvre de ma vie”, déclare M. Brott. Néanmoins, il est assez philosophe et franc sur ce qui a mal tourné. “J’ai eu la chance d’avoir beaucoup de succès très tôt dans ma vie, trop tôt. J’ai été élevé avec des adultes dès mon plus jeune âge, et ma personnalité n’a pas vraiment mûri au point d’écouter et de comprendre ce qu’était le leadership.” Brott admet volontiers qu’il a été un dictateur et explique : “Souvent, l’insécurité vous rend agressif parce que vous voulez vous protéger. J’aurais aimé avoir les connaissances et la sagesse que j’ai maintenant, même si j’apprends constamment. Le processus de collaboration avec des musiciens est un processus d’apprentissage, pas un processus d’enseignement. J’avais besoin de me contrôler et d’apprendre à mieux travailler avec les gens, à mieux me comprendre et à mieux comprendre mes relations et mes capacités de communication. Ce n’est pas la faute des autres si j’ai eu ce problème dans ma carrière, c’est ma faute.”
De 1992 à 1995, Brott et Ardyth s’inscrivent tous deux en droit à l’Université de Western Ontario et cela s’avère être un tournant pour le maestro. “Vous apprenez tout ce que vous devez savoir pour vous entendre avec les gens en étant enseigné par la méthode socratique. Vous apprenez à argumenter avec logique, à aborder chaque sujet avec passion et chacun avec un point de vue, mais vous devez savoir quand le ranger. Avant d’aller vous coucher, vous dites : “Je suis d’accord avec ceci et pas avec cela”, puis vous continuez à vivre votre vie normale. Cela ne prend pas le pas sur ce que vous êtes, sinon, vous ne seriez pas capable de défendre une affaire devant un tribunal.”
La formation des Brott a permis de piloter le festival pendant 20 ans de déficit zéro, Ardyth gérant les finances et Brott s’occupant de la musique. “Nous nous disputons sans cesse à propos des budgets, mais en tant que directeur artistique, vous ne pouvez pas être à la fois l’inspiration et le contrôle”, explique Brott. “Nous sommes assez conservateurs. Nous ne faisons rien que nous n’ayons pas les moyens de faire”. La huitième symphonie de Mahler en est un bon exemple. Brott a cité les frais de location de salle et de publicité à Toronto, qui étaient trois fois plus élevés qu’à Hamilton, comme raison pour laquelle ils ont décidé de ne pas emmener la représentation à Toronto. Au lieu de cela, pour la première fois, il prête le NAO à la production d’Agnes Grossman du Barbier de Séville dans le cadre de son Festival de musique d’été de Toronto, tout en envisageant de donner quelques concerts au Glenn Gould Studio, une salle de 450 places qui serait plus facile à remplir. “J’enseigne à mes apprentis l’importance d’être pratique”, dit-il.
Avec le recul, Brott est reconnaissant. “Il est plus difficile de reconstruire une carrière que d’en construire une (à partir de zéro). Et encore aujourd’hui, il y a des endroits où je ne suis pas le bienvenu et je dois vivre avec cela. J’ai la chance d’avoir eu les opportunités que j’ai eues et je vis une vie pleine et heureuse. Je suis très chanceux d’avoir eu les expériences, les parents, la femme et les enfants que j’ai eus.” Depuis 1995, il s’est employé à développer une deuxième carrière de maestro en se déplaçant entre le New West Orchestra en Californie, l’Orchestre de chambre McGill à Montréal et l’Orchestre du Centre national des Arts à Ottawa (où il est premier chef des jeunes et de la famille), tout en faisant diverses apparitions comme chef invité. Depuis 1995, Brott est un conférencier motivateur auprès de sociétés Fortune 500 dans le monde entier, où il parle de la clé d’un travail d’équipe réussi en utilisant la musique comme exemple.
Sur le plan musical, qu’attend-il de l’avenir ? “J’aimerais faire toutes les symphonies de Bruckner et réexaminer toutes les symphonies de Vaughan Williams, et j’aimerais explorer la musique plus contemporaine. Nous devons trouver un moyen de parler de notre propre voix à une nouvelle génération tout en étant acceptable pour notre public actuel, et c’est un véritable défi.” La soif constante de Brott de s’améliorer et d’innover devient encore plus évidente lorsqu’il déclare : “Votre portée doit étendre votre prise… à quoi sert le ciel ?” ■
Le Brott Music Festival célèbre son 20e anniversaire avec une saison bien remplie, dont le point d’orgue est l’interprétation de la 8e Symphonie de Mahler sous la direction de Boris Brott le 23 août au Great Hall de Hamilton Place. La clé de l’œuvre, explique Boris Brott, “est de laisser le temps aux épisodes folkloriques d’être charmants, sans pour autant nuire à l’élan de la pièce dans son ensemble. Bruckner n’est pas aussi indulgent que Mahler.” www.brottmusic.com.
Coups de coeur de chef
Par Boris Brott / 2 octobre 2002
Verklärte Nacht (La Nuit transfigurée) d’Arnold Schönberg
J‘adore la musique qui touche l’âme, qui donne la chair de poule et qui excite l’intellect autant que les émotions : Verklärte nacht d’Arnold Schönberg. Un siècle après sa création, la musique de Schönberg inspire encore la crainte chez l’auditeur moyen : certaines de ses œuvres peuvent, même aujourd’hui, « vider n’importe quelle salle de concert du monde ». Cette remarque, par contre, ne s’applique pas à La Nuit transfigurée, excellent point de départ pour découvrir ce génie qui, en faisant fi des conventions de l’époque, créa le sérialisme, devenu un des concepts fondamentaux de la composition au XXe siècle.
Cette composition est de la pure musique à programme du fait de l’étroite relation que l’auditeur peut établir entre chaque strophe du poème de Richard Dehmel dont s’est inspiré Schönberg et certains éléments des mélodies et des harmonies post-wagnériennes de la partition. À l’exception de quelques enchaînements peu orthodoxes, il n’y a rien dans ces pages qui laissait présager l’atonalisme exacerbé qui allait devenir la marque de Schönberg.
Le poème lui-même était controversé à l’époque : pour le public et la critique du tournant du siècle passé, il était d’un érotisme trop explicite. Même aujourd’hui, ses images crues risquent de choquer, mais notre âme ne peut manquer d’être touchée par le triomphe de l’amour romantique. En résumé, le texte raconte l’histoire d’un couple qui se promène dans la froideur du clair de lune. Elle lui avoue avoir été infidèle et être enceinte de cet autre. Ayant perdu la foi en l’amour, elle s’est donnée à cet étranger. L’homme lui parle, il ne la laisse pas sombrer dans la culpabilité. Il regarde la lune dans toute sa froideur, mais une flamme émanant de l’homme et de la femme transfigurera l’enfant et le légitimera. Ils se perdent dans les bras l’un de l’autre, leurs respirations se transforment en baisers qui emplissent l’air nocturne : deux mortels qui vagabondent, baignés par un clair de lune magnifique.
La Nuit transfigurée constitue un portrait étrange des états d’âme des deux amants et la musique suit leur transfiguration, du début empreint de tristesse, de trouble et de tension à la résolution, incandescente et sereine. On ne peut d’ailleurs passer à côté du moment, au changement du mineur au majeur, où l’homme s’abandonne et accepte la confession de sa femme.
Cette longue création en un seul mouvement échappe aux cadres des structures établies telles que sonate, rondo ou toute autre forme. Néanmoins, il s’agit bien d’une œuvre intensément symphonique par le développement de ses idées musicales et de l’heureux mélange de logique et d’imagination dont a fait preuve le compositeur.
Jouer Schönberg exige énormément de chaque exécutant : technique, intonation, écoute et passion. Mon défi en tant que chef d’orchestre sera de donner vie à chacune des longues phrases de l’œuvre et de maintenir l’intérêt des auditeurs pendant ses 33 minutes. Les musiciens de la nouvelle édition de l’Orchestre de chambre McGill sont parfaitement aptes à en remplir les exigences et à la rendre avec énergie et passion. La qualité d’exécution de l’orchestre et l’intensité des sentiments dénudés, déchirants et romantiques qui ne cesseront d’interpeller le public sont les deux autres raisons pour lesquelles j’ai choisi Verklärte Nacht. J’invite donc le public à venir s’abandonner aux charmes de cette musique révolutionnaire et pourtant si accessible.
Écoute suggérée
J’ai fouillé dans ma discothèque et n’ai pu trouver qu’un vieux disque vinyle avec Léopold Stokowski comme chef d’orchestre. Son interprétation, très personnelle, reste convaincante. Je l’apprécie justement parce qu’il donne vie à cette œuvre. Une bonne interprétation donne toujours l’impression d’être un produit du moment, d’avoir été créée au moment précis où on l’écoute ! (Étiquette Séraphin, Angel Records, numéro s-60080)
Boris Brott a choisi Verklärte Nacht comme noyau du second concert de la série Connaisseur de l’Orchestre de chambre McGill, le 28 octobre à 20 h à la salle Pollack de l’Université McGill. (514) 487-5190
Boris Brott est Directeur artistique, Orchestre de chambre McGill
[Traduction de Christian Haché]
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