Hommage à Lotte Brott (première partie)

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par Boris Brott

Le 8 février 2022 marquera le 100e anniversaire de naissance de ma défunte mère Lotte Brott, née Goetzel. L’Orchestre ­classique de Montréal (OCM) a choisi de dédier sa saison 2021-22 à des femmes d’exception. La Scena Musicale et moi avons choisi d’honorer Lotte à titre de violoncelliste, cofondatrice et principale administratrice de l’orchestre pendant ses 59 premières années.

En tant que fils aîné de Lotte et directeur artistique de l’OCM depuis 2000 quand mon père m’a passé le flambeau, je porte un regard unique sur cette violoncelliste, épouse, ­administratrice et mère d’exception.

Lotte – comme elle m’a toujours encouragé à l’appeler depuis mon tout jeune âge – était une femme avant-gardiste qui avait su trouver un juste équilibre entre sa vie ­professionnelle de musicienne et d’administratrice et ses ­responsabilités domestiques, d’épouse et de mère. Se déplaçant à vélo de répétition en ­répétition – violoncelle au dos – d’un bout à l’autre de Montréal, elle projetait l’image même de la liberté tout en jouant le rôle de ­soutien à son mari et sa famille qu’exigeait l’époque.

Issue d’une famille aisée de Mannheim, en Allemagne, Lotte a entrepris des études de ­violoncelle pour des raisons purement sociales. Ses parents jouant du piano et du violon tout à fait convenablement, ils souhaitaient que leur fille se joigne à eux pour jouer en trio dans leur luxu­euse demeure de quatre étages.

Else Fuld et Walter Goetzel qui avaient combattu pour le Kaiser pendant la Première Guerre mondiale étaient de purs produits de l’intelligentsia commerciale allemande. Gens d’affaires cultivés qui adoraient les arts et leur pays, c’est avec stupéfaction qu’ils ont appris que Lotte, alors âgée de 14 ans et revêtue d’une nouvelle robe confectionnée par sa mère, s’était vu refuser la permission de participer à un concert d’école parce que le Gauleiter (gouverneur régional nazi) était présent et qu’aucun Juif n’avait le droit de monter sur scène.

Avec une rare clairvoyance, ils ont envoyé leurs filles Lotte et sa jeune sœur Lena dans un pensionnat de jeunes filles en Suisse et c’est là, auprès du célèbre violoncelliste Emanuel Feuermann, que la musique est entrée dans sa vie à tout jamais.

Alexander Brott, Lotte, Charles Reiner

Ayant fui l’Allemagne en 1939, Else et Walter ont parcouru le monde avant de ­s’installer à Montréal. Une fois leurs filles à leurs côtés, ils ont encouragé Lotte à faire ­carrière en affaires parce que pour eux, la musique n’était pas une profession convenable. Imagi­nez leur choc lorsqu’elle s’est présentée à la maison avec comme futur mari un violoniste juif ! (Eux-mêmes avaient abandonné leurs convictions religieuses déjà ténues en raison de leurs déplacements forcés.)

Lotte avait toujours entretenu des relations tumultueuses avec son père et voilà que pour lui prouver qu’elle ­pouvait décemment gagner sa vie comme ­musicienne, elle répond à une petite annonce qui recherchait une violoncelliste pour interpréter Le Cygne de Saint-Saëns. Il s’agissait en fait d’accompagner dans une boîte de nuit et revêtue d’une robe de taffetas blanc sept jeunes danseuses à moitié nues. Le salaire pour 1941 était mirobolant : 300 $ par semaine ! Comme il fallait s’y attendre, en tombant sur la ­publicité pour « Lotte and the Seven Loveliest » dans le Montreal Gazette, son père a fait une crise. Lotte a alors remis sa démission, mais elle avait prouvé son point.

Pour Lotte, la vie était une étude de contrastes et de disciplines : elle pratiquait et jouait avec autant d’enthousiasme que lorsqu’elle s’adonnait à la randonnée, au ski, à la natation et au vélo. Mon père Alexander, lui, était tout autre : studieux, il redoutait de blesser ses mains de ­violoniste. Pourtant, ils partageaient un amour de la nature qu’ils m’ont transmis ainsi qu’à mon frère Denis, né sept ans plus tard.

Ils adoraient leur ville, leur province et leur pays d’adoption. Malgré des voyages dans le monde entier pour poursuivre leur carrière et consolider la réputation internationale de l’Orchestre de chambre McGill (devenue l’Orchestre classique de Montréal), c’est à notre cher OCM qu’ils vouaient leur passion. Alexander s’est vu offrir de nombreux postes, mais il est toujours resté fidèle à Montréal parce que pour lui et Lotte, le Canada était le plus bel endroit au monde.

Plus tard, ils ont construit une maison à Lac-des-Chats, passant des centaines d’heures à débroussailler, munis d’une faux et d’un sécateur. Ma mère a encouragé mon père à faire preuve de courage, à se dépasser et à vaincre ses peurs enfantines. Grâce à Denis qui possède une maison dans ce coin idyllique, près de Saint-Sauveur, l’esprit familial y flotte toujours. Pendant les sept premières années de mariage, les Brott et, finalement, moi logions dans le salon de mes grands-parents paternels qui habitaient dans un appartement du 4e étage d’un immeuble sans ascenseur, sis au 2705, avenue Maplewood (maintenant, ­boulevard Édouard-Montpetit).

Je me souviens, encore tout petit, de mes parents répétant le double concerto de Brahms ou avec le quatuor à cordes McGill tout juste à côté de mon berceau. J’entends encore le son extraordinairement chaud, fougueux et ­irrésistible de Lotte. Celui-là même de Jacqueline du Pré. Je regrette de ne pas avoir trouvé d’anciens enregistrements pour la CBC de Lotte avec les pianistes John Newmark et Charles Reiner, musiciens européens accomplis qui s’étaient installés à Montréal. Je suis convaincu que Lotte aurait pu mener une belle carrière internationale comme soliste.

En fait, elle a tiré le meilleur parti de ses dons musicaux. D’abord avec le quatuor à cordes McGill, puis comme violoncelliste solo de l’OCM, cédant à la fin sa place à Walter Joachim, en raison de la lourdeur accrue de ses responsabilités administratives. Elle a continué à jouer à ses côtés, puis aux côtés de mon frère Denis qui a remplacé Joachim lorsque celui-ci a pris sa retraite. Lotte a joué avec l’OCM jusqu’à son décès à l’âge de 75 ans.

Traduction par Véronique Frenette

Lisez la suite des souvenirs de Boris Brott dans le numéro mars-avril de LSM.

La série Femmes de distinction de l’OCM se poursuit le 15 février avec Échos des steppes, mettant en vedette Karen Donnelly, Serhiy Salov et Larysa ­Kuzmenko, puis les 8 et 9 mars avec Julie Nesrallah, Ernesto Ramirez, Suzanne Taffot et Hugo Laporte dans une représentation de

www.orchestre.ca

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