Le documentaire Lepage au Soleil : à l’origine de Kanata, de la cinéaste Hélène Choquette, vient-il clore la tourmente qui a déferlé l’été dernier, des deux côtés de l’Atlantique ? La critique de La Scena.
Vous vous souvenez de l’affaire Kanata ? L’été dernier, le projet d’un spectacle sur l’arrivée des Européens chez les peuples des Premières Nations, n’incluant aucun représentant des Premières Nations, est éventé. Le scandale éclate et on accuse Ariane Mnouchkine et Robert Lepage, les créateurs de cette pièce qui n’a pas encore été vue, d’appropriation culturelle. Refusant les débats enflammés, Lepage répète posément qu’il répondra par le biais d’un documentaire initié par Hélène Choquette, qui expliquera ce qui le lie au Théâtre du Soleil et à la troupe de 36 comédiens issus de 11 pays différents, troupe qu’Ariane Mnouchkine prête d’ailleurs pour la première fois à un autre metteur en scène.
Le documentaire a entièrement été tourné avant la polémique. Il en résume tout de même les points décisifs : effrayé par le bruit médiatique, un partenaire s’est désisté et les créateurs ont remanié le projet initial. Lepage souhaite maintenant scruter la perte d’identité du monde autochtone, pour mieux parler de la nôtre. Il entraine les comédiens jusqu’à Banff, histoire de sentir et de voir les choses. La troupe découvre l’horreur des écoles résidentielles et la violence faite aux femmes des Premières Nations. Une ancienne toxicomane, rescapée du tueur en série Picton, les prie de transmettre son histoire et ce moment est bouleversant. Travailler des pans de la culture de l’autre (dixit Lepage) est dans l’ADN du Théâtre du Soleil et des entrevues avec les comédiens entrecoupent la narration du récit, exposant leur compréhension du processus. Pour eux, mettre en scène ces horreurs est aussi important que de parler des camps de concentration. Les comédiens s’impliquent dans un centre d’aide aux toxicomanes, une chorégraphe s’inspire du tai-chi et de la guerre de l’opium, l’environnement sonore est tissé à partir d’éléments issus du vécu des comédiens… Lepage décompose, explique et justifie si bien sa démarche artistique qu’il est difficile de ne pas souscrire à l’inaliénable droit à la création qu’il revendique.
La clef de la réussite du film ? Le ton retenu d’Hélène Choquette : la documentariste filme avec tendresse et empathie, qu’il s’agisse de réfugiés climatiques (Les réfugiés de la planète bleue) de jeunes gens victimes de la traite de personnes (Avenue zéro) ou des prisonnières (Unité 9 : le documentaire). Dans ses œuvres, une constante : la respectueuse beauté de ses images, qui pose un peu de douceur sur les personnages de ses films, malmenés par la vie. Pour les magnifiques plans photo du Théâtre de la Cartoucherie, pour les paysages des territoires de la Première Nation Nakota Sioux et pour l’accès privilégié au travail de Lepage avec le Théâtre du Soleil, il faut voir ce film sur grand écran.
Tout au long de ce documentaire rigoureusement construit, Robert Lepage démontre le bien-fondé de ses intentions, mais au final, la production n’inclut pas davantage de représentants des Premières Nations. Comment le documentaire Lepage au Soleil : à l’origine de Kanata sera-t-il accueilli par ses détracteurs ? Réponse à la fin du mois, lors de la sortie du film… Regardez la bande-annonce ici.