Jean-Philippe Duval : Chasseur de culture

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 Jean-Philippe Duval
Jean-Philippe Duval dans son atelier. Photo Marc Bourgeois

Passionné de culture québécoise, de nature et de canot dans les régions sauvages, le cinéaste Jean-Philippe Duval semblait prédestiné à réaliser le film Chasse-galerie : la légende, qui sera sur nos écrans en février. Nous l’avons rencontré dans son atelier.

Originaire de Québec, le réalisateur, qui pilote aussi depuis quatre ans la populaire série télévisée Unité 9, se destinait d’abord à une carrière en biologie.

« J’ai découvert le cinéma dans un cours au cégep, dit-il. J’avais 18 ans et j’ai eu un coup de foudre en voyant La Nuit américaine, de François Truffaut. C’est le film qui m’a donné le goût de faire du cinéma. J’ai terminé mon cégep en sciences et je suis parti faire un baccalauréat en arts visuels avec une majeure en cinéma à l’Université de Montréal. J’ai étudié à la même époque que Denis Villeneuve, qui était à l’UQAM, et qu’André Turpin, qui était à Concordia. »

Jean-Philippe Duval a eu la chance de commencer à faire des films dès l’université et ne s’est jamais arrêté depuis.

« J’ai commencé à réaliser très jeune, dit-il. Mon premier film était La vie a du charme, un documentaire sur l’œuvre de Réjean Ducharme, en 1993. Il avait un gros budget pour l’époque : 350 000 $. »

Par la suite, il a réalisé de nombreux documentaires et des téléfilms, dont plusieurs étaient des commandes pour la télévision française. Son premier véritable projet personnel de long métrage de fiction a été Matroni et moi, en 1999, adaptation d’une pièce d’Alexis Martin. Il avait trente ans.

La filmographie de Jean-Philippe Duval témoigne d’un fort penchant pour la culture et l’art québécois ainsi que d’un intérêt marqué pour la nature et l’environnement. Il a réalisé, entre autres,  les documentaires Les réfugiés de la planète bleue, sur les réfugiés environnementaux (avec Hélène Choquette), Lumière des oiseaux, sur le poète et ornithologue québécois Pierre Morency, L’Odyssée baroque sur le Cirque du Soleil et Marché Jean-Talon. Il a aussi coproduit et coréalisé la série télévisée Martin sur la route, sur le chef cuisinier bien connu Martin Picard, du restaurant Au pied de cochon.

« J’aime les artistes québécois et la culture d’ici, les poètes, les écrivains, dit-il. Mes grands amis sont des créateurs. »

Le film qui a le plus contribué à le faire connaître est sans doute son deuxième long métrage de fiction, Dédé, à travers les brumes, sorti en 2009. Le film relate la vie d’André Fortin, chanteur du groupe Les Colocs, qui a mis fin à ses jours en 2000.

« Dans ce film, j’ai découvert mon talent de direction d’acteurs. J’ai réalisé que ça m’avait aidé de tourner beaucoup de documentaires, car ils permettent l’observation des humains et de la vie. Certains réalisateurs, à 25 ans, ont le goût de faire des films de fiction; moi j’avais le goût de découvrir le monde, de voyager. Mon parcours a fait en sorte que quand je suis arrivé à la fiction, j’avais acquis un bagage sur l’être humain. Avec Dédé et Unité 9, j’entre dans l’âme humaine et la psychologie et ça me passionne. Je dirais que je suis assez humaniste dans mes choix de sujets. »

Genèse de Chasse-galerie : la légende

Parmi les légendes québécoises, celle de la chasse-galerie est sans doute l’une des mieux connues. Elle a inspiré des chansons à Claude Dubois et à Michel Rivard (chantée par La Bottine souriante) et figure même sur l’étiquette d’une marque de bière populaire, la Maudite. On peut donc s’étonner qu’elle n’ait pas fait plus tôt l’objet d’un film.

« À l’Université de Montréal, j’avais écrit une adaptation de la chasse-galerie dans mon cours de scénarisation », raconte Jean-Philippe Duval. Par la suite, il a appris qu’une vingtaine de demandes de financement de films sur le sujet avaient déjà été déposées à la SODEC au fil des années, dont un de Gilles Carle. Pour toutes sortes de raison, aucun de ces projets n’a jamais abouti.

« Parmi ces raisons, il y avait certainement le fait que faire voler un canot, ce n’est pas évident, dit-il. Les effets spéciaux se sont améliorés et sont devenus plus accessibles que jamais depuis cinq ans. Cela coûte encore cher, mais ce n’est rien en comparaison de ce que cela aurait coûté il y a vingt ans, et on ne serait pas arrivé à un résultat aussi convaincant. »

Il y a cinq ans, le coproducteur Réal Chabot a vu Dédé à travers les brumes, qu’il a aimé. Il a proposé à Jean-Philippe Duval de réaliser un film sur la chasse-galerie sans même savoir que ce dernier s’était déjà penché sur la légende alors qu’il n’était encore qu’un étudiant en cinéma.

« Je lui ai dit : “Tu es vraiment tombé sur le bon gars”. Car non seulement cette histoire m’intéresse depuis longtemps, mais je suis un gars de forêt. J’ai un camp de chasse et je viens d’une famille de forestiers. En plus, mon père a fait une maîtrise en littérature sur les légendes québécoises. À la maison, quand j’étais petit, il nous racontait beaucoup de légendes. Quand j’ai dit à mon père que j’allais faire un film sur la chasse-galerie, il n’en revenait pas. »

Réal Chabot avait déjà défriché le projet avec le scénariste Mario Bolduc. Jean-Philippe Duval a voulu s’associer à l’écrivain Guillaume Vigneault, fils de Gilles Vigneault, et ils ont réécrit le scénario ensemble.

« Comme les légendes à l’époque étaient transmises de façon orale, il y a différentes versions de la chasse-galerie. La plus définitive et la plus connue est peut-être celle d’Honoré Beaugrand. Évidemment, Guillaume et moi, nous avons questionné nos pères respectifs pour savoir ce qu’ils savaient de la chasse-galerie, mais nous avons réalisé que c’était à nous aussi de l’interpréter. Dans le film, nous avons gardé les éléments principaux de la légende, mais nous avons aussi imaginé une intrigue en parallèle. »

Pour le réalisateur, la présence d’éléments surnaturels est aussi une façon de parler de la réalité du Québec du dix-neuvième siècle.

« En 1830, pour les gens, le Diable et Dieu étaient des réalités, dit-il. Je ne voulais pas raconter l’histoire avec un point de vue d’aujourd’hui. Au Québec, nous avons un rapport particulier à la religion catholique. À l’époque, quand on disait que quelqu’un était damné, qu’il y avait une malédiction, c’était très réel. Il a fallu entrer cela dans la tête des acteurs. Je leur disais : à partir du moment où vous avez fait un pacte avec Satan, vous devez y croire. »

Le réalisateur a aussi voulu aller au-delà du surnaturel pour brosser un portrait d’époque le plus réaliste possible. Sur son bureau, on trouve d’ailleurs un exemplaire de La vie dans les camps de bûcherons au temps de la pitoune, publié chez Septentrion. 

« J’ai eu envie de faire un film historique, dit-il. C’est sûr que c’est une légende et qu’on fait voler un canot, que c’est fantastique. Mais je n’ai pas voulu le traiter comme si c’était magique. Ce n’est pas un conte. J’ai creusé pour trouver la différence entre un conte et une légende. Le conte a quelque chose de plus fantaisiste, qui vient carrément du monde imaginaire, tandis que souvent, la légende est inspirée de faits réels. C’est devenu une légende parce qu’on a déformé une histoire vécue, comme celle de la Corriveau. »

En cela, le film de Duval se différencie donc des films Babine et Ésimésac, de Fred Pellerin et Luc Picard, des contes magiques issus de l’imagination du poète de Saint-Élie-de-Caxton.

« Je ne suis pas un réalisateur fantastique et pour moi, c’est plus intéressant de faire un drame historique qui contient des éléments fantastiques. Nous avons construit un vrai camp de bûcheron à Chertsey, dans Lanaudière, selon les modèles du XIXe siècle, à partir de photos d’époque. Tout a été étudié dans un souci de réalité historique : le mode de vie, les outils utilisés, la façon de couper les arbres. »

La production

Chasse-galerie : la légende a bénéficié d’un budget de 7 millions. À titre de comparaison, le film Louis Cyr : l’homme le plus fort du monde, grand succès du box-office québécois en 2013, avait un budget de 8,5 millions. Le tournage a duré 32 jours, dont 30 à l’extérieur, en hiver.

Les acteurs principaux sont Francis Ducharme (dans le rôle de Joseph Lebel), Caroline Dhavernas (Liza Gilbert), François Papineau (le Diable, alias Jack Murphy) et Vincent-Guillaume Otis (Romain Boisjoli).

Les effets spéciaux ont été réalisés à Montréal par le studio Oblique, qui a collaboré à de grandes productions américaines comme The Aviator, avec Leonardo di Caprio, Brokeback Mountain et le péplum 300.

La trame musicale a été composée par Éloi Painchaud et Jorane, qui avaient aussi signé la musique du film Louis Cyr.

Au départ, le film, qui dure 100 minutes, devait sortir en salles le 25 décembre 2015. Cette sortie a été reportée au 26 février 2016 pour donner à ses artisans le temps de peaufiner les effets spéciaux. Sur 1500 à 2000 plans, le film comporte 450 plans d’effets spéciaux. D’autre part, la sortie très attendue du phénomène planétaire Star Wars, le 18 décembre, occupera un nombre élevé d’écrans dans tout le Québec, ce qui aurait empêché Chasse-galerie d’avoir accès au nombre d’écrans nécessaires pour lui assurer une distribution satisfaisante.

La légende de la chasse-galerie

Dans un recueil publié en 1900, Honoré Beaugrand, qui fut maire de Montréal de 1885 à 1887, publiait une version de la légende de la chasse-galerie qu’il dit avoir déjà publiée dix ans auparavant dans le journal La Patrie, dont il était le fondateur.

« Le récit lui-même est basé sur une croyance populaire qui remonte à l’époque des coureurs des bois et des voyageurs du Nord-Ouest. Les “gens de chantier” ont continué la tradition, et c’est surtout dans les paroisses riveraines du Saint-Laurent que l’on connaît les légendes de la chasse-galerie. J’ai rencontré plus d’un vieux voyageur qui affirmait avoir vu voguer dans l’air des canots d’écorce remplis de “possédés” s’en allant voir leurs blondes, sous l’égide de Belzébuth. »

Dans la version de Beaugrand, la veille du jour de l’An, des bûcherons d’un camp de l’Outaouais décident d’aller « courir la chasse-galerie », risquant ainsi le salut de leur âme, pour aller voir leurs blondes à cent lieues de là, à Lavaltrie. Pour faire le voyage en plein ciel, à bord d’un canot d’écorce volant, il leur suffit de ne pas évoquer le nom de Dieu et de ne pas s’accrocher aux croix des clochers. Mais ils doivent aussi prêter serment à Satan. Si d’aventure l’un d’entre eux devait prononcer le nom de Dieu ou toucher une croix pendant le voyage, il serait damné. Ils finissent par revenir au camp après une nuit de voyage mouvementée et se réveillent dans leur lit. Leurs confrères leur disent qu’ils les ont trouvés tous ivres, dans un banc de neige des environs.

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