Volumina : une plénitude sonore pour combler les salles vides

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À l’occasion de sa 10e édition du Festival Montréal/Nouvelles Musiques, la SMCQ et son directeur artistique Walter Boudreau présentent le concert Volumina, réunissant dans la Maison symphonique des œuvres de Ligeti, Sokolović, Tremblay et Garant. À la fois hommage aux créateurs québécois et évocation de moments marquants de l’histoire de la SMCQ, ce concert audacieux dirigé par Jean-Michaël Lavoie et animé par Georges Nicholson fait dialoguer divers langages contemporains autour des notions d’espace vaste, de sacré mais également de la relation très actuelle entre le plein et le vide.

« Un seul grand arc sans cassure »

Le compositeur hongrois György Ligeti a composé Volumina en 1961. Cinq ans auparavant, il a fui la Hongrie en proie à une révolution et, entre Cologne et Vienne, fait la connaissance des grands compositeurs de son temps. À leur contact, il développe une technique d’écriture déjà amorcée avant son exil, qui prend partiellement forme dans Apparitions (1959) puis de manière exclusive dans Atmosphères (1961). Cette technique consiste à faire se mouvoir lentement des strates sonores constituées de clusters, donnant l’impression d’une texture homogène qui évolue subtilement, sans rupture, se recréant indéfiniment. Cette écriture prend une ampleur inattendue dans Volumina, pièce pour orgue solo dans laquelle Ligeti utilise l’immense étendue du registre de l’instrument ainsi qu’un vocabulaire qui demande à l’interprète de faire usage de ses poignets et de ses avant-bras. Pour autant, il ne se dégage aucune violence ni majesté spectaculaire, mais un sentiment général d’apaisement et de plénitude. Ligeti précise d’ailleurs : « La forme large de la pièce doit être conçue comme un seul grand arc : il n’y a pas de cassure dans le jeu, ni de cassure réelle. » Fluidité, homogénéité, lenteur seront autant d’ingrédients avec lesquels l’organiste montréalais originaire de la Saskatchewan Joel Peters, aux commandes du Grand Orgue Pierre-Béique, remplira l’étendue vaste et vide de la Maison symphonique. Espérons que cet arc sonore résonnera avec assez de couleurs derrière nos écrans pour entrevoir un coin de ciel bleu : l’espoir d’un retour prochain dans les salles.

Vagues, vents, plages, chants

La compositrice québécoise d’origine serbe Ana Sokolović nous invite à entrer dans son Jeu des portraits avec cette œuvre pour dix musiciens composée en 1996, hommage à quatre compositeurs québécois. Reprenant des éléments du langage de chacun d’entre eux, elle se les réapproprie autour d’une proposition personnelle séduisante et très évocatrice. Le premier mouvement, « Vagues », est une lente exploration autour de la dissonance qui va en s’amplifiant, s’inspirant de l’univers de Rodolphe Mathieu. « Vents » développe un langage beaucoup plus animé à partir de citations de Jean Papineau-Couture, le président-fondateur de la SMCQ en 1966. « Plages », lui-aussi animé, est inspiré de l’univers pointilliste de Serge Garant, co-fondateur et premier directeur artistique de la SMCQ. Enfin, par son choix de timbres orientaux, « Chants » rend hommage au compositeur de Siddharta, Shiraz et Samarkand, Claude Vivier. En les écoutant, saurez-vous retrouver les portraits derrière les impressions d’Ana Sokolović ?

Entre la neige et le feu

Le concert se poursuivra avec deux œuvres marquantes de Serge Garant et Gilles Tremblay. Amuya, qui signifie « neige épaisse et fondante » en inuktitut, est la trame sonore d’un film de 1967 relatant la vie des peuples dans les régions polaires. Tout au long de ces 17 minutes de musique, cette œuvre de Garant pour petit ensemble nous tient en haleine en développant une atmosphère si subtile et raffinée que chaque soubresaut, chaque apparition ou disparition s’imprime en nous et nous plonge dans un état de curiosité constante. Le discours oscille entre des textures homogènes, des motifs musicaux isolés et le fameux pointillisme musical, interventions très brèves qui parsèment l’univers sonore d’étoiles de timbres variés. Il ne manque plus que l’aurore boréale dans la Maison symphonique pour couronner le tout!

De son côté, c’est le feu qui a inspiré Gilles Tremblay, et plus précisément les enluminures médiévales d’ouvrages mozarabes appelés Beatus, qui illustrent les commentaires de l’Apocalypse du moine chrétien Beatus de Liébana. La force des images de ces miniatures mais aussi les couleurs vives et chaudes où dominent les jaunes, rouges et orangés ont inspiré à Tremblay une Musique du feu riche et colorée qui se veut une illustration musicale de ces enluminures. L’œuvre, écrite en 1991 pour la SMCQ, se déploie selon le compositeur lui-même sur les plans sonore, morphologique et thermique : elle est à la fois bruits de feu (percussions), formes multiples de flammes (piano, cuivres et bois) et rayonnement thermique (combinaisons d’instruments). Pleine d’agitation et en constant changement, elle termine parfaitement cette grande heure de musique sous la direction de Jean-Michaël Lavoie.

Avec ce concert de grande ampleur dans la salle la plus majestueuse de Montréal, la SMCQ a choisi de repousser les frontières de notre perception pour atteindre directement notre cœur et notre âme. Ces œuvres, en parfaite adéquation avec certaines leçons du présent, nous invitent à goûter la plénitude du temps ralenti, à déguster toute la richesse et la diversité que peut contenir une seule goutte de temps, pour mieux entrevoir l’essence de tout ce qui nous entoure. C’est un retour à l’essentiel, pour faire le plein d’énergie et le vide dans sa tête. 

Pour plus d’informations, visitez www.smcq.qc.ca

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A propos de l'auteur

Benjamin Goron est écrivain, musicologue et critique musical. Titulaire d’un baccalauréat en littérature et d’une maîtrise en musicologie de l’Université Paris-Sorbonne, il a collaboré à plusieurs périodiques et radios en tant que chercheur et critique musical (L’Éducation musicale, Camuz, Radio Ville-Marie, SortiesJazzNights, L'Opéra). Depuis août 2018, il est rédacteur adjoint de La Scena Musicale. Pianiste et trompettiste de formation, il allie musique et littérature dans une double mission de créateur et de passeur de mémoire.

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