Critique | Une superbe Alcina de Haendel par les Violons du Roy

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Les 9 et 11 février, à Québec puis à Montréal, les Violons du Roy, sous la direction de Jonathan Cohen, et avec un impressionnant parterre de solistes, ont offert une version de concert de l’opéra Alcina de Georg Friedrich Haendel. J’ai assisté à la représentation de Montréal, qui était marquée par un professionnalisme de haut niveau et beaucoup d’enthousiasme à la fois.

Cette oeuvre est un des opéras « magiques » de Haendel. Il met en scène la magicienne Alcina qui utilise ses pouvoirs pour ensorceler des guerriers qu’elle retient prisonniers sur son île enchantée, dont elle fait ses amants et qu’elle transforme en pierre ou en animaux sauvages quand elle s’en lasse. L’opéra est une allégorie morale sur le triomphe de l’amour sur la magie : Alcina perd ses pouvoirs magiques devant la quête d’amour des différents personnages qui finissent par la défier. C’est aussi un opéra sur la séduction de la magie, avec une énorme machinerie scénique qui bien sûr est absente d’une version de concert et est d’ailleurs absente de nombre de représentations sur scène qui se concentrent aujourd’hui sur les interactions des personnages.

La direction musicale de Jonathan Cohen a donné le ton en épousant parfaitement les rythmes de l’oeuvre, tantôt très animés, tantôt marqués par la langueur amoureuse, avec un équilibre et un unisson des cordes qui placent la formation au rang des meilleurs ensembles. L’interprétation est toujours au service de la musique, et cela s’accompagne d’interventions des bois de toutes sortes, de cors aussi dans la dernière partie de l’oeuvre et de percussions. La coordination est impeccable et la couleur orchestrale est très belle à chaque moment.

Les solistes naviguent allègrement sur un ensemble orchestral aussi maîtrisé. Eux aussi sont à la fois très professionnels dans leur maîtrise de la ligne vocale et des vocalises parfois acrobatiques et périlleuses et très enthousiastes et en fait à l’aise face aux difficultés. Il est clair qu’ils adorent cette musique. On en voit la preuve avec le remplacement de toute dernière minute du ténor Stuart Jackson, incommodé par la maladie, dans le rôle d’Oronte, le général d’Alcina, par Benjamin Butterfield, qui s’intègre parfaitement à l’équipe. En plus de maîtriser la ligne vocale et les vocalises périlleuses de la partition, l’équipe de solistes s’adonne avec plaisir à une gestuelle théâtrale pendant leurs interventions, ce qui permet de suivre les péripéties et enchante l’auditoire.

Si on veut parler de performances individuelles, on doit mentionner notre Karina Gauvin, sa voix chaude, plus opulente que la voix habituelle des sopranos baroques, son sens du tragique et de la ligne mélodique. Son interprétation de Ah! Mio cor!, son air d’amour et de vengeance face à un homme qu’elle a ensorcelé et qui lui échappe, commence par un pianissimo indicible sur fond de cordes haletantes qui est une merveille de musicalité expressive. Puis, la voix s’enfle et viennent les imprécations contre son amant, avec grande force, et on revient à la plainte du début, tout cela avec une rare maîtrise.

Je pense aussi à l’interprétation remarquable de la soprano Lucy Crowe, dans le rôle de Morgana, la soeur d’Alcina, de l’air Tornami a vagheggiar, dans lequel elle chante son amour pour Bradamante qui en fait ne l’aime pas et est à la recherche de son amoureux ensorcelé par Alcina. La vivacité rythmique de cet air est très grande, et Lucy Crowe la chante avec un enthousiasme débordant et une grande audace dans les vocalises. Son interprétation a été saluée par des applaudissements et des bravos enthousiastes de l’auditoire qui jusque-là n’avait pas applaudi après les airs et qui s’est mis à le faire.

Toutes les interventions de la contralto Avery Amerau dans le rôle de Bradamante peuvent être saluées tant la voix est chaude et l’aisance vocale et dramatique grande.

 

Bref, c’est un grand succès d’ensemble dans lequel chacun brille. La soirée a été longue, plus de 3 heures, mais elle en a valu la peine grâce au professionnalisme et à l’enthousiasme combinés, et bien sûr, à la musique magnifique de Haendel, sans quoi la magie n’aurait pas été de la partie, va sans dire !

Bravo à toute l’équipe pour cette soirée mémorable. On souhaite que plus d’opéras en version de concert seront présentés. Ils peuvent être tout aussi vivants que les représentations en version scénique avec décors et tout et tout. En fait, ils constituent un défi bien à eux car ils stimulent l’imagination des artistes pour créer l’ambiance théâtrale dans un contexte bien différent.

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