Le déclin de l’empire américain Trente ans plus tard

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Trente ans après le succès planétaire du film Le Déclin de l’empire américain, le Théâtre PÀP adapte à la scène l’œuvre de Denys Arcand. L’écrivain Alain Farah parle de la version 2017 de ce monument de la culture québécoise, qu’il cosigne avec Patrice Dubois.

Alain Farah est un touche-à-tout littéraire. On doit à ce professeur agrégé du département de langue et littérature française de l’Université McGill les romans Matamore no 29 et Pourquoi Bologne (un livre qui vient tout juste d’être réédité en version poche) ainsi que le recueil de poésie Quelque chose se détache du port et la partie texte du roman graphique La ligne la plus sombre. « C’est Patrice Dubois qui a mis ce projet sur ma route, il m’a contacté dès qu’il a obtenu les droits du film réalisé par Denys Arcand, ­probablement à cause de ­l’environnement universitaire dans lequel l’histoire se déroule », commence vivement l’auteur montréalais. Le Déclin de l’empire américain, qui rappelons-le a obtenu le prix de la critique du Festival de Cannes et huit prix Génie avant d’être mis en nomination pour l’Oscar du meilleur film étranger en 1987, puis être vendu dans vingt-sept pays, campe en effet un groupe d’intellectuels composé en partie de professeurs de l’Université de Montréal. Leur agitation ­malaisée, leurs corps qui se dépatouillaient nerveusement dans leur rapport à l’histoire et à la société ont marqué l’imaginaire québécois.

« Patrice Dubois m’a proposé de travailler à la réécriture de cette partition géniale de Denys Arcand, de la repenser pour notre époque, sans savoir à quel point ce film était important pour moi », poursuit Alain Farah. Il cite d’ailleurs le célèbre long métrage dans son roman Pourquoi Bologne. C’était il y a une vingtaine de mois et les deux hommes, qui ne se connaissaient quasiment pas, se sont tout de suite mis à travailler très rigoureusement. Amusé, ­l’universitaire remarque : « On peut presque parler d’écriture à trois tant nous avons ­respecté l’esprit de Denys Arcand et appliqué ses conseils : nous avons cherché l’inspiration très près de nous, dans nos vies et celles de nos amis, en glissant beaucoup de références ­personnelles. » Écrire à partir de rien aurait été moins facile, la partition d’Arcand faisait figure de territoire neutre. Nos deux auteurs ont choisi de faire de deux des protagonistes leurs alter ego : Patrice Dubois incarne le personnage de Rémi Girard qui s’appelle maintenant Patrice sur scène et Alain Farah a transformé celui de Pierre Curzi en un Syro-libanais nommé Bruno Chaloub, Chaloub étant le nom de sa grand-mère. « La collaboration avec Patrice a été une superbe expérience que j’espère pouvoir reprendre : j’ai aimé son éthique de travail, je fais un métier de culture pour de tels échanges », précise Alain Farah, dont ce n’est pas la première incursion à la scène : il a présenté avec Marie Brassard Les fortifications de Vauban (titre provisoire) la première version d’un solo qu’ils développent depuis quelques années et qu’ils ont monté au Festival Actoral de Marseille (2014).

Le déclin fondateur

La fatigue, le cynisme des personnages de Denys Arcand sont parmi les prémisses du film : ces baby-boomers, pour qui les événements fondateurs ont été la Révolution ­tranquille et mai 68, sont à bout de souffle. Son titre l’indique, les références à l’Empire romain aussi, Le Déclin de l’Empire américain est un film sur la fin d’un monde qui, à force de courir après le bonheur, court à sa perte. C’est aussi une réflexion sur l’Histoire. Alain Farah élabore : « Notre génération s’est formée dans un contexte très différent et même s’il est tentant de percevoir le 11 ­septembre 2001 comme la confirmation d’un déclin, pour les quarantenaires d’aujourd’hui, cette date marque plutôt une mise au monde politique. » Cette déduction logique, mathématique, colle au caractère cyclique de ­l’histoire : les événements se produisent, mais quand il est question de barbarie, d’amour et de mort, les choses se répètent. Au printemps 2017, les nouveaux personnages du Déclin demeurent des universitaires et des artistes réunis autour d’un repas bien arrosé, dans un chalet des Cantons de l’Est; ils sont dans un état de grande confusion et de grande hypocrisie, coincés entre la volonté de s’exprimer et le carcan du politiquement correct.

À partir de là, il était facile de faire de Dominique Saint-Arnaud, la directrice du département d’histoire qui amène aux siens l’hypothèse que leur hédonisme est le signe du déclin du règne de l’homme blanc, une éveilleuse de conscience un brin nietzschéenne. Alain Farah lance : « Je trouve cette intellectuelle très actuelle, je me sens comme elle. » Et, puisque le cynisme sardonique était plus le fait de la génération de Denys Arcand que de la sienne qui est plus anxieuse, il a ­suggéré de mettre un point d’interrogation à la fin du titre de son livre, ce qui donne Après nous le déluge ? Et le sexe, condiment non négligeable du film de Denys Arcand ? Le sexe et l’amour sont partie ­prenante de notre travail, assure Alain Farah, mystérieux et un sourire en coin. En écrivant, pensait-il à la mise en scène ? « Il était très important pour moi d’éviter le rapport ­réaliste… Les gens ont juste à se trouver un dvd du Déclin s’ils veulent voir des gens discuter dans une cuisine », lance Alain Farah.

Très fier du travail accompli et des gens extrêmement intelligents qui composent l’équipe, l’auteur montréalais est maintenant fébrile à l’idée d’ouvrir le dialogue avec le public. « Il y a de l’appréhension, mais j’ai surtout hâte d’entendre ce que les spectateurs inventeront à partir de notre spectacle. »


Le Déclin de l’empire américain, avec Sandrine Bisson, Dany Boudreault, Marilyn Castonguay, Patrice Dubois, Éveline Gélinas, Alexandre Goyette, Simon Lacroix, Bruno Marcil, Marie-Hélène Thibault, à voir du 28 février au 1er avril à l’Espace Go. www.espacego.com

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