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Avec Genèse, le réalisateur québécois Philippe Lesage brosse une fresque filmique et musicale sur les premières amours et met en vedette la révélation César 2018. Noée Abita et le gagnant de l’Iris de la révélation de l’année au gala Québec Cinéma, le plus en plus connu Théodore Pellerin. Entrevue avec un cinéaste littéraire et inattendu.
Écrit et réalisé par Philippe Lesage, présenté en première mondiale en compétition internationale au chic Festival de Locarno, très bien accueilli par la presse internationale, le long métrage de fiction Genèse écume les festivals internationaux et rafle tous les prix. Il a, ces quatre derniers mois, remporté la Louve d’or du meilleur film et le prix du meilleur acteur (Théodore Pellerin) de la compétition internationale au Festival du nouveau cinéma de Montréal, le prix du meilleur film, du meilleur réalisateur et du meilleur acteur (Théodore Pellerin) au Festival international du film de Valladolid (Espagne), le prix du meilleur film au Festival international de films de Los Cabos (Mexique) et le Bayard du meilleur comédien (Théodore Pellerin) au FIFF de Namur (Belgique).
Rejoint à Tromsø, ville au nord du cercle arctique norvégien, dans un festival où Genèse poursuit son faste parcours (le film est déjà invité dans une trentaine de festivals en 2019), Philippe Lesage rappelle qu’il n’y a, pour lui, pas de distinction entre le documentaire et la fiction. L’homme se définit comme cinéaste et s’il a aimé faire chacun des documentaires qu’il a réalisés (Ce cœur qui bat, Jutra 2012), l’écriture en fiction le satisfait davantage, ne fût-ce qu’à cause de la liberté de la rédaction du scénario, qui s’ajoute à celle du contrôle de l’image. Formé en littérature, il n’a pas le même parcours que ses pairs qui ont étudié à Concordia et à l’UQÀM puisqu’il s’est décidé pour un programme intensif à l’European Film College, dans le nord du Danemark, où il a par la suite enseigné. « Nous étions dans un endroit complètement isolé; ce séjour d’une rare intensité restera un moment charnière dans ma vie, mais je dois aussi beaucoup à mon ancien professeur en création littéraire, Yvon Rivard ». Car pour Philippe Lesage, l’écriture est la base de tout, de tous les films en tous cas. S’il n’a encore rien publié, le réalisateur écrit tous les jours et le ton minimaliste de ses films emprunte à la retenue littéraire. Lesage veut utiliser des conventions acceptées en lettres pour faire exploser les structures narratives et résister aux films convenus, dont nous sommes inondés : « Les téléséries comme celles qui sont déversées par Netflix sont la fin de l’audace artistique. »
Philippe Lesage ne tournerait pas comme il le fait s’il n’était pas passé par le documentaire et le cinéma direct. « Je laisse beaucoup de liberté aux comédiens et de la place pour l’improvisation – j’essaie aussi de travailler léger et de me libérer des équipements trop lourds », explique celui qui a tourné pendant plusieurs années seul, caméra à l’épaule. Philippe Lesage préfère tourner plus longtemps, avec une plus petite équipe pour ne pas perdre le fil de l’authenticité recherchée. Le créateur accorde beaucoup d’attention à la distribution : « Des rôles bien attribués garantissent la moitié du succès d’un film et c’est pour cela que je tiens à m’occuper personnellement du casting, comme on dit. » Le Québécois prend le temps de trouver des visages encore inconnus et il est heureux d’avoir aidé à la découverte de jeunes comédiens comme Édouard Tremblay-Grenier ou encore Théodore Pellerin, qui étaient tous deux du premier long métrage fiction hyperréaliste qu’il a signé, Les Démons (prix Gilles-Carle et prix Luc-Perreault du meilleur film québécois 2015 selon l’Association québécoise des critiques de cinéma). Les Démons, qui a entre autres prix remporté le réputé Golden Gate Award de San Francisco, en plus de faire partie du TIFF Top Ten et d’être nommé par le magazine Variety comme l’un des dix meilleurs films de 2015, montrait les montagnes russes affectives que traversent les préadolescents, à l’âge des premiers questionnements sur la sexualité, quand ils constatent que l’extrême violence de cette pulsion qui anime les adultes fiche souvent tout par terre. Mais que l’histoire soit inspirée de perceptions pas toujours réelles qui effraient les enfants ou que ce soit une histoire d’amour, il est important de sortir des sentiers battus pour aller vers des têtes qu’on n’a jamais vues. « Je sais que les auditions sont difficiles pour les comédiens, mais je ne les fais pas aller et venir pour rien, chacune des invitations est réfléchie et la distribution est vraiment triée sur le volet. »
Comme les héros de Dostoïevski
Laylou (2013), le quatrième long métrage documentaire du cinéaste, suivait les aventures estivales d’un groupe d’adolescentes. Les Démons se penchait sur la vie d’enfants de onze ans. Dans Genèse, les personnages ont des âges variés, mais les principaux protagonistes n’ont pas vingt ans. Le cinéaste aurait-il des comptes à régler avec le passé ? Mais Philippe Lesage n’a cure du cinéma-thérapie : « Cette époque de la vie intéresse tout le monde, car elle est intense et dramatique. » Vous souvenez-vous comme le temps peut être long et ennuyeux, lorsqu’on a seize ou dix-sept ans ? Une année adolescente en vaut cinq d’adultes ! On l’aura compris, Philippe Lesage aime travailler avec les jeunes comédiens : ils sont d’une certaine façon plus faciles à diriger, plus ouverts. « Ils comprennent ce qu’est le naturel, explique le réalisateur. Ils n’ont pas encore contracté de tics et n’ont aucune mauvaise habitude à désamorcer, comme en ont trop souvent les acteurs d’expérience. » Les acteurs ont par exemple compris tout de suite le ton livresque et mesuré que Philippe Lesage aime et qu’il recherche dans ses films. Y arriver demande beaucoup de travail préparatoire en amont, mais lorsqu’il est fait, les résultats sont excellents. « Cela m’intéresse de voir la sexualité comme quelque chose qui est toujours en mouvement et que cette évolution ne soit pas forcée; comme quand le personnage de Guillaume (Théodore Pellerin) confesse son affection amoureuse et obsessive pour son ami. » Le monde semble vouloir punir ces personnages pour les ramener à l’ordre, mais ceux-ci poursuivent leur route avec candeur et intégrité… Un peu comme les héros de Dostoïevski, ils vivent leur passion jusqu’au bout. « La jeunesse ne peut pas décevoir, car elle est avenir », ajoute avec aplomb le réalisateur.
Genèse est un film en trois actes qui se penche sur la thématique des premières amours, romantique, ample, généreux. « Nous nous souvenons tous de nos premiers émois, si forts qu’ils en étaient paralysants, alors qu’on ne sait pas quoi faire du tsunami de stimuli qui nous submerge. » L’amour brille et brûle; une atmosphère érotique ambiguë s’installe alors que les stéréotypes véhiculés par la société s’imposent doucement. Comme son protagoniste, Philippe Lesage est allé en pension dans un collège privé où, très jeunes, les garçons se font montrer la direction à suivre. Ils doivent être masculins, très masculins même – avec tous les stéréotypes que cela implique. De l’internat, le réalisateur montréalais se rappelle des amitiés fortes et exclusives qui ne supportaient aucune rivalité. Une espèce d’intensité cryptohomo, nimbée d’une jalousie possessive indéniable, régnait dans le collège : « Je voulais aborder ce sujet trouble et l’aspect choral de la chose. »
La bande-son d’une jeunesse intègre
Délaissée par celui qu’elle aime, le personnage de Charlotte, qui s’essaie aux rencontres fortuites et passagères, est inspiré d’une connaissance de Philippe Lesage : « Je m’identifie beaucoup à ce personnage féminin et, quand j’ai réalisé qu’une amie sur deux avait vécu une forme d’agression, j’ai voulu partager cet odieux et triste constat avec le public, en abordant le sujet de façon frontale. » Le cinéaste n’est pas tendre avec les garçons; ils ne laissent pas suffisamment d’espace à Charlotte pour qu’elle soit libre d’être elle-même. Son premier copain, incarné par Pierre-Luc Funk à l’écran, ne la remarque que parce qu’elle s’intéresse à ce qu’il fait (la photographie) et le second la rabaisse à loisir. Mais Charlotte, qui est aussi la demi-sœur de Guillaume, reste intègre et refuse de se laisser marcher sur les pieds bien longtemps. Le concept frère-sœur est important pour Philippe Lesage : « Dans Genèse, comme dans Les Démons, les parents sont parfois coupés de la réalité de leurs enfants et l’empathie entre frères et sœurs est un refuge… J’en ai bénéficié et pour moi ç’a été très positif. »
Oubliez les obsédés des jeux et des bidules électroniques. Philippe Lesage nous montre une jeunesse complexe, curieuse d’art et passionnée de littérature. Il en résulte une élégance un peu hors du temps. L’ombre de la mélancolie de J. D. Salinger, célèbre pour son roman sur l’adolescence L’Attrape-cœurs (The Catcher in the Rye), ses perturbations et son désenchantement devant la perte irrémédiable de l’innocence de l’enfance, traverse d’ailleurs Genèse. La musique, essentielle dans les films du réalisateur, est omniprésente : il souhaite qu’elle enveloppe le spectateur et agisse sur son rythme cardiaque. « Lorsque j’écris un nouveau scénario, je me fais une liste d’écoute des pièces qui m’inspirent et j’imagine les scènes avec elles. » Et bien plus tard, une fois le tournage terminé, en montage, quand les pièces pressenties rencontrent les images et que ça marche, c’est magique ! « Ce sont des moments de joie pure – c’est la chose qui me rend le plus heureux. »
Produit par l’Unité centrale avec la participation financière de Téléfilm Canada, de la SODEC, de Radio-Canada et des programmes de crédit d’impôt fédéral et provincial, distribué dans de nombreux pays dont la France et l’Espagne, Genèse sortira en salle le 15 mars 2019.
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