Critique | Le roman de monsieur de Molière:

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Pour souligner le 400e anniversaire de naissance de Molière, le TNM propose Le roman de monsieur de Molière, où l’écrivain Mikhaïl Boulgakov revisite la vie du grand homme. Une pléthore de bons comédiens porte cette ode au théâtre. Jusqu’au 3 décembre au Théâtre du Nouveau Monde puis en tournée à travers le Québec du 18 janvier au 9 février 2023.

C’est donc par les yeux de Mikhaïl Boulgakov que Lorraine Pintal a choisi d’aborder la vie du célèbre dramaturge français, confiant l’adaptation du roman, publié dans une version expurgée en 1933, à Dominique Lavigne. Boulgakov (Jean‑François Casabonne) et Molière (Éric Robidoux, presque constamment sur scène pendant cette fresque théâtrale) ont affronté la censure et connu la pauvreté. L’auteur russe est fasciné par le dramaturge français. Arrivé le premier sur scène, il s’intéresse à Jean-Baptiste Poquelin dès sa naissance prématurée, en 1622. Boulgakov reviendra ponctuellement, rencontrant des contemporains de Molière et discutant même avec ce dernier.

La pièce présente des personnages que Molière a connus, les grandes étapes de sa vie intime comme les aléas et les moments forts de sa vie artistique. Il abandonne son avenir de fils de tapissier pour devenir comédien, rencontre Madeleine Béjart (Rachel Graton, parfaite) dont il rejoint la troupe mais épouse finalement la fille de celle-ci, Armande (Juliette Gosselin). D’abord entiché de tragédie, c’est à l’insistance de ses compagnons de théâtre Mesdemoiselles du Parc et de Brie (expansive Karine Gonthier-Hyndman, vive Brigitte Lafleur) et de l’indispensable La Grange (Sébastien Dodge, crédible) qui a créé nombre de rôles et lui succèdera à la tête de la Troupe du Roi, que Molière s’intéresse enfin à la farce. Avec sa troupe, il se fait alors enfin remarquer par le Roi Soleil (Simon Beaulé‑Bulman…royal).

Scaramouche initie la troupe de Molière au jeu masqué. Avec : Karine Gonthier-Hyndman, Rachel Graton, Lyndz Dantiste, Sébastien Dodge, Brigitte Lafleur, à l’avant Éric Robidoux. Crédit photo :Yves Renaud

Scaramouche initie la troupe de Molière au jeu masqué. Avec : Karine Gonthier-Hyndman, Rachel Graton, Lyndz Dantiste, Sébastien Dodge, Brigitte Lafleur et à l’avant Éric Robidoux, habillés par Marc Sénécal.                  Crédit photo :Yves Renaud

L’influence de la comédie italienne dans l’œuvre de Molière est représentée par Scaramouche (Lyndz Dantiste, habile), un personnage-type de la commedia dell’arte et ces moments de fantaisie sont les bienvenus. Les passages dévolus aux rivalités de Molière avec Corneille (Jean Marchand, impeccable) ou avec le jeune Racine (Philippe Thibault-Denis, solide) révèlent l’esprit du personnage. Les échanges avec La Fontaine (Benoît Drouin-Germain, comme un poisson dans l’eau) affinent la psyché du personnage.

L’effervescence de la vie de la troupe de théâtre et les coulisses des tournées de celle-ci sont dignes d’intérêt; les professeurs de français et de théâtre vont certainement adorer cette pièce qui regorge d’excellents exemples stylistiques. La pièce se termine sur l’agonie de Molière et l’évocation de son enterrement. Boulgakov revient pour conclure devant un public charmé par cette œuvre gigogne – Le roman de monsieur de Molière est du théâtre, qui est dans un théâtre qui est dans un théâtre.

Le waterphone, une découverte

Le TNM apporte cette saison une attention particulière aux environnements sonores. Après la musique pop de Gustafson, qui soutenait le spectacle La nuit des rois de Shakespeare, délicieusement adapté par Rebecca Deraspe et Frederic Belanger, c’est cette fois la talentueuse chanteuse et violoncelliste Jorane Pelletier qui assure à elle seule la musique en direct. Pour accompagner l’entrée de Boulgakov, la compositrice a choisi le waterphone, un instrument qu’on entend surtout dans des films d’horreur comme Amythyville ou La Maison du Diable.

Boulgakov (Jean François Casabonne) dans une ambiance rouge soviétique. Crédit photo :Yves Renaud

Boulgakov (Jean François Casabonne) dans une ambiance rouge URSS. Crédit photo :Yves Renaud

Inventé pour le cinéma par Richard Waters dans les années 60, un waterphone est une sorte de cruche dans laquelle des lamelles de métal sont plantées. Le musicien verse de l’eau dans le réceptacle, pour que la vibration du son ne se propage pas entre les différents éléments, puis il frotte les lamelles à l’aide d’un archet de violoncelle. Classé dans la même famille d’instruments de musique que le xylophone ou hochet, le waterphone peut aussi imiter le chant des baleines ou ce qu’on imaginerait être des sons de l’espace. On l’a d’ailleurs utilisé pour la bande son de Star Trek, le film.

Imaginez: un éclairage rouge sang enveloppe le premier tableau, un décor massif longe le fond et les bords de la scène sur deux étages (éclairages Martin Sirois, décor Pierre-Étienne Locas). Les sons étranges que Jorane tire à coups d’archet du waterphone envahissent le théâtre. La musicienne change de place au fil du spectacle, jouant tantôt à côté de l’avant scène, tantôt de la hauteur du balcon et une musique inquiétante voyage à chaque fois différemment dans l’espace du théâtre. Voir et entendre Jorane Pelletier jouer de cet instrument rare vaut le déplacement, et l’entendre chanter et jouer du violoncelle est un ajout indéniable à ce spectacle à la facture classique.

Le roman de monsieur de Molière, jusqu’au 3 décembre au Théâtre du Nouveau Monde puis en tournée à travers le Québec du 18 janvier au 9 février 2023.

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