Reportage | Finale Mélodie du CMIM : Laureano Quant, le talent à l’état pur

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À l’annonce de la victoire de Laureano Quant, hier samedi 31 mai vers 22h15, une grande exultation a résonné dans l’enceinte de la salle Bourgie, bien remplie pour cette grande finale de Mélodie. Les partisans du baryton colombien étaient venus nombreux pour le soutenir, arborant fièrement un drapeau de leur pays comme lors d’une victoire de l’équipe nationale en Coupe du monde de soccer.

Pourtant, M. Quant ne partait pas favori. Il avait face à lui 2 candidats, Julia Muzychenko-Greenhalgh et Theodore Platt, qui semblaient avoir déjà tous les atouts de chanteurs expérimentés, une confiance dans leurs talents et un grand sens artistique.

Si le Colombien l’a emporté, c’est parce qu’il présentait un alliage de qualités que plusieurs de ses concurrents n’avaient pas : une interprétation sensible et appliquée, une diction soignée et élégante, une grande part d’instinct du chant et… un timbre incomparable dans les passages mezza-voce. Dans les deux premières mélodies de Gerald Finzi, le public a pu admirer la clarté de son anglais, le métal brillant de sa voix et son art des nuances.

Il arrive assez souvent qu’un candidat doive sa victoire ou sa défaite à un seul air, un seul passage. Dans le cas de M. Quant, il s’agissait de la troisième mélodie au programme, Silent Noon de Ralph Vaughan Williams. Le pianisimo que l’interprète est parvenu à façonner dans le finale a été un moment magique contre lequel Theodore Platt, un des grands favoris, n’a rien pu faire.

Cela dit, M. Quant a souffert d’un choix de répertoire parfois pas tout à fait adapté à son registre naturel. Der Doppelgänger de Schubert nous a semblé particulièrement grave pour la voix de ce baryton qui, de toute évidence, s’épanouit davantage dans l’aigu (son interprétation de l’air d’Escamillo, dans la première épreuve d’Aria, nous en avait déjà convaicus).

Dans le cycle de mélodies de Poulenc, on ne peut pas dire qu’il ait eu des problèmes de justesse, mais il s’en approchait dangeureusement. En tous cas, il a tenu bon et c’est aussi pour ça que sa victoire est amplement mérité.

Ce que l’on peut dire, en revanche, c’est que Poulenc a donné du fil à retordre aux candidats ! Theodore Platt n’a chanté pas moins 7 mélodies du compositeur, dans un français parfait, mais la difficulté technique de chacune d’elles se faisait bien sentir. Il a eu le courage de les enchaîner sur un rythme vif et avec coeur, mais n’a pas été récompensé de ses efforts. Le baryton britannique peut encore remporter un prix dans la catégorie Aria, et pourquoi pas la plus haute distinction, tant son aisance technique, son sens artistique et sa diction dans toutes les langues le classent parmi les meilleurs de cette édition Voix. Son passage en finale de mélodie a été remaquable, une fois de plus, autant dans l’aigu que dans le (très) grave.

Pour Fanny Soyer, dernière à s’élancer, Poulenc a été fatal. Après plusieurs interprétations époustouflantes de générosité, de lyrisme, mais aussi dans le registre humoristique avec La chanson du bébé de Rossini, elle est restée littéralement sans voix sur un aigu d’un des Deux poèmes de Louis Aragon; un moment d’accroc qui a malheureusement hypothéqué toutes ses chances de victoire.

Julia Muzychenko -Greenhalgh, elle, était la première candidate de la soirée. Son sourire témoignait d’un vrai goût et d’un vrai plaisir pour le répertoire qu’elle chantait. Dans le Debussy, elle a mis parfaitement en valeur le mariage entre les paroles et la musique, signe d’une grande musicalité, mais aussi d’un grand respect pour la musicalité de la langue. Sa voix est fluide, raffinée, élégante, impressionante de contrôle dans les plus petites nuances, ce qui devrait logiquement la conduire en finale du volet Aria. Toutefois quelques contours mélodiques ont manqué à son vigillance, dans Debussy, mais aussi dans un lied de Franz Grothe aux nombreuses coloratures. On a été particulièrement touché par son interprétation de Du bist die Ruh de Schubert, incluant une absence de vibrato parfaitement bien menée, et sa douceur enveloppante dans une romance de Rachmaninov. Il ne reste plus à la soprano qu’à donner une meilleure définition aux différentes voyelles dans l’aigu pour parfaire son art et se hisser à la plus haute place du podium.

Enfin, Fleuranne Brockway a livré sa meilleure prestation jusqu’à présent. Sa voix mériterait d’être plus focusée encore pour gagner en couleur et en brillance. Hâte de la réentendre en demi-finales d’Aria! Parmi son répertoire, saluons son interprétation très expressive de Die Kartenlegerin de Robert Schumann, moment fort de son passage en finale de Mélodie.

Au terme de cette soirée, deux prix spéciaux ont également été remis: à Laureano Quant pour le Prix d’interprétation d’une mélodie de Schubert (Der Doppelgänger) et à Ihor Mostovoi pour le prix d’interprétation d’une musique canadienne (« Mon souverain », extrait de La Reine-garçon de Julien Bilodeau). Rendez-vous mardi, à 19h30, pour la première demi-finale d’Aria.

Pour toute la programmation, les billets et le profil des candidats, visitez le https://concoursmontreal.ca/fr/voix-2025/

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A propos de l'auteur

Justin Bernard est détenteur d’un doctorat en musique de l’Université de Montréal. Ses recherches portent sur la vulgarisation musicale, notamment par le biais des nouveaux outils numériques, ainsi que sur la relation entre opéra et cinéma. En tant que membre de l’Observatoire interdisciplinaire de création et de recherche en musique (OICRM), il a réalisé une série de capsules vidéo éducatives pour l’Orchestre symphonique de Montréal. Justin Bernard est également l’auteur de notes de programme pour le compte de la salle Bourgie du Musée des Beaux-Arts de Montréal et du Festival de Lanaudière. Récemment, il a écrit les notices discographiques pour l'album "Paris Memories" du pianiste Alain Lefèvre (Warner Classics, 2023) et collaboré à la révision d'une édition critique sur l’œuvre du compositeur Camille Saint-Saëns (Bärenreiter, 2022). Ses autres contrats de recherche et de rédaction ont été signés avec des institutions de premier plan telles que l'Université de Montréal, l'Opéra de Montréal, le Domaine Forget et Orford Musique. Par ailleurs, il anime une émission d’opéra et une chronique musicale à Radio VM (91,3 FM).

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