Critique | Il Trovatore: des chanteurs d’excellence dans des décors inexistants

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Le 10 septembre dernier, l’Opéra de Montréal lançait sa saison avec Il Trovatore de Verdi, un autre grand classique du répertoire lyrique. Pour l’occasion, la compagnie avait attiré une distribution parmi les plus prestigieuses qu’il nous ait été donnée de voir sur la scène Wilfrid-Pelletier : la soprano Nicole Car (Leonora), la contralto Marie-Nicole Lemieux (Azucena), le baryton Etienne Dupuis (le Comte di Luna) et le ténor Luc Robert (Manrico). Tous expérimenté et forts de nombreux succès en carrière.

Photo: Vivien Gaumand

Dans le rôle principal, Nicole Car a été la tragédienne verdienne que tout le monde rêve d’entendre. Sa voix avait la profondeur nécessaire pour interpréter la difficile partition de Leonora et l’émotion capable de faire chavirer toute une salle de concert. Sa musicalité et son sens du lyrisme ont été les autres ingrédients d’une prestation hors du commun. Marie-Nicole Lemieux était elle aussi au sommet de son art. De par son intensité incomparable, son incarnation totale dans l’action, la contralto québécoise a parfaitement exprimé la méchanceté et l’esprit de vengeance de son personnage, la gitane Azucena; un rôle qu’elle connaît sur le bout des doigts pour l’avoir notamment chanté aux Chorégies d’Orange (France) en 2015 au côté de Roberto Alagna. Sa vive émotion au moment de recevoir les ovations du public était celle d’une grande artiste qui avait tout donné sur scène et chanté avec ses tripes. En comparaison, Etienne Dupuis est apparu sous un jour diamétralement opposé, à l’image de son personnage : cruel, froid et calculateur. Il est rare d’entendre un baryton de ce calibre à Montréal. Sans doute était-ce dû au tempo imposé par le chef Jacques Lacombe, mais son air fameux de l’acte II a été enchaîné assez rapidement comme si celui-ci faisait partie d’une scène dramatique. Sans vraiment offrir un temps d’arrêt nécessaire à la confession des sentiments. Heureusement, la cadence finale a permis au chanteur de suivre son propre tempo et de faire pleinement ressortir l’éclat de sa voix. Dans d’autres circonstances, comme dans d’autres moments de l’opéra, Etienne Dupuis aurait certainement pu s’abandonner davantage à l’émotion. Enfin, Luc Robert a fait une bonne prestation sous les traits de Manrico; un rôle redouté tant le chanteur est exposé dans le registre aigu. Son enchaînement des deux airs « Ah, sì ben moi » et « Di quella pira », à l’acte III, a bien été mené. Le tout s’est conclu sur un beau contre-ut, avec une belle résonnance, mais assez vite coupé sur la dernière syllabe (« all’ar-mi »).

De toute évidence, l’essentiel du budget de cette production était passé dans la distribution. Les décors et la mise en scène étaient pour le moins rudimentaires, voire inexistants. Un ciel nocturne, une pleine lune ou le contour d’un édifice en toile de fond ne peuvent pas faire office de décors à l’Opéra. Et pourtant, c’est bien ce qui est arrivé! En l’absence concrète de panneaux et d’objets capables d’offrir une quelconque perspective, la scène paraissait terriblement vide. Les chanteurs occupaient tant bien que mal l’espace, souvent à plus de trois mètres de distance, mais rien n’y faisait. L’écueil était encore plus apparent.

Photo: Vivien Gaumand

La mise en scène a aussi connu quelques ratés. Dans le finale de l’acte II, par exemple, Leonora chantait son amour pour Manrico devant le public alors que celui-ci était là, lui aussi face au public, à plusieurs mètres d’elle, mais leur regard ne se croisait pas et les deux amoureux interagissaient encore moins. Au début de l’acte III, au moment de son arrestation, on a également vu Azucena se jeter d’elle-même à terre devant le comte sans être le moindrement brusquée par ses gardes. À l’acte IV, Leonara s’est elle aussi jetée à terre, cette fois pour implorer le pardon du comte, mais elle l’a fait face au public, à trois mètres de l’intéressé.

La scène paraissait certainement moins vide en présence du chœur très fourni de l’Opéra de Montréal dont il faut saluer ici la prestation, à la fois dans le rôle des gitans et, du côté des hommes, sous les casques des compagnons d’armes du comte et de Manrico.

Prochaines représentations, les 13, 15 et 17 septembre. www.operademontreal.com

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A propos de l'auteur

Justin Bernard est détenteur d’un doctorat en musique de l’Université de Montréal. Ses recherches portent sur la vulgarisation musicale, notamment par le biais des nouveaux outils numériques, ainsi que sur la relation entre opéra et cinéma. En tant que membre de l’Observatoire interdisciplinaire de création et de recherche en musique (OICRM), il a réalisé une série de capsules vidéo éducatives pour l’Orchestre symphonique de Montréal. Justin Bernard est également l’auteur de notes de programme pour le compte de la salle Bourgie du Musée des Beaux-Arts de Montréal et du Festival de Lanaudière. Récemment, il a écrit les notices discographiques pour l'album "Paris Memories" du pianiste Alain Lefèvre (Warner Classics, 2023) et collaboré à la révision d'une édition critique sur l’œuvre du compositeur Camille Saint-Saëns (Bärenreiter, 2022). Ses autres contrats de recherche et de rédaction ont été signés avec des institutions de premier plan telles que l'Université de Montréal, l'Opéra de Montréal, le Domaine Forget et Orford Musique. Par ailleurs, il anime une émission d’opéra et une chronique musicale à Radio VM (91,3 FM).

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