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La fête des Mères est le genre de fête fabriquée qui en- traîne souvent un excès de sentimentalité et de clichés. Les roses rouges, les brunchs coûteux, les cartes de vœux remplies de poésie mielleuse − tout cela indique une vision partielle et idéaliste de la maternité.
La commercialisation de la fête des Mères ne rend pas justice aux rôles infiniment nuancés que jouent les mères dans toutes les cultures ni à leur relation incroyablement complexe avec leurs enfants.
Si la fête des Mères n’est faite que de chocolats et de bouquets, les mères de l’opéra sont, par contraste, schématisées d’une tout autre manière, presque toujours dépeintes comme des harpies et des manipulatrices ayant un penchant pour l’infanticide ou le suicide. La plupart du temps, elles demeurent des présences distantes, hors scène, et n’occupent généralement qu’un rôle de soutien lorsqu’elles apparaissent.
Cela n’est pas surprenant étant donné qu’une grande partie du répertoire d’opéra de base provient du 19e siècle, époque où la maternité était idéalisée à travers l’exemple de la reine Victoria, qui incarnait la féminité et la domesticité de la classe moyenne. Le poème populaire de Coventry Patmore, The Angel in the House, a contribué à répandre l’idée que les femmes devaient être des figures soumises ne pouvant occuper que les rôles de mère ou d’épouse dévouée et parfaite. De tels parangons de la féminité n’étaient peut-être pas considérés comme offrant suffisamment de matière pour un drame lyrique vigoureux.
Plutôt que d’être des modèles d’amour et de sécurité, les mères d’opéra sont plus souvent présentées comme potentiellement dangereuses, meurtrières et déséquilibrées. L’une des seules mères d’opéra pouvant légitimement être qualifiée de protagoniste principale est Azucena dans Il trovatore de Verdi. Le compositeur lui-même a envisagé de donner son nom à l’opéra. La vie d’Azucena est tragiquement marquée par le souvenir de la mort de sa mère sur le bûcher. Dans sa quête de vengeance, elle vole le fils en bas âge du meurtrier de sa mère, mais dans un accès de rage, elle tue accidentellement son propre enfant.
La Norma de Bellini, pas tout à fait dans la lignée d’Azucena, mais qui s’en approche, envisage de tuer ses deux enfants pour se venger de leur père qui a une liaison avec Adalgisa, amie de Norma, également prêtresse. Elle ne va pas jusqu’au bout, mais abandonne quand même sa progéniture lorsqu’elle se suicide avec leur père à la fin de l’opéra. Guère un exemple de maternité irréprochable digne d’une carte de vœux !
Au moins, Azucena et Norma sont des personnages complexes et bien trempés. De nombreuses mères d’opéra sont laissées dans l’ombre, évoquées seulement en passant par les personnages principaux. La mère de Don José dans Carmen de Bizet, par exemple, est une présence distante et faible servant à culpabiliser le jeune soldat afin qu’il abandonne sa liaison avec la « dangereuse » gitane. Dans Lucia di Lammermoor de Donizetti, le chagrin de Lucia après le décès de sa mère est utilisé pour expliquer sa détresse lorsqu’elle est contrainte par son frère Enrico à un mariage. Ces mères exercent une influence lointaine, mais ne sont guère des personnages à part entière.
Quelque part entre Azucena, plus grande que nature, et la mère invisible de Don José se trouvent plusieurs mères d’opéra que l’on entend, sous une forme modeste, mais percutante. L’un des moments les plus puissants à l’opéra est le trio Chère enfant ! que j’appelle dans Les contes d’Hoffmann d’Offenbach. Ici, la soprano joue le rôle d’une chanteuse réelle dont la mère (encore une fois morte) est invoquée d’outre-tombe pour encourager sa fille à chanter littéralement jusqu’à la mort. Dans Cavalleria rusticana de Mascagni, bien qu’elle n’apparaisse que dans quelques scènes brèves, Mamma Lucia est l’une des rares mères sympathiques de l’opéra. Elle représente un archétype maternel fort auquel Santuzza confesse sa liaison avec le fils de Lucia, Turridu, mais elle fonctionne surtout comme une caisse de résonance sans grande motivation personnelle.
Les contes de fées regorgent de méchantes mères (ou, plus souvent, belles-mères) et leurs pendants à l’opéra présentent de nombreux aspects de ces redoutables figures maternelles. Selon certaines versions du conte à la source de Hansel et Gretel de Humperdinck, la méchante belle-mère et la sorcière seraient en fait le même personnage. Il n’est pas rare que l’on confie les deux rôles à une seule chanteuse, un choix soutenu par l’histoire originale dans laquelle la mère meurt juste après que les enfants tuent la sorcière, suggérant, au moins métaphoriquement, qu’il s’agit peut-être de la même femme.
L’opéra de contes de fées le plus célèbre de tous, La Flûte enchantée de Mozart, met également en scène l’une des mères les plus infâmes du répertoire, la Reine de la Nuit, qui tente de forcer sa fille Pamina à assassiner Sarastro, la figure paternelle de l’histoire. L’image habituelle de la reine est celle d’une sorcière maléfique archétypale dont la musique redoutable, avec ses notes aiguës stratosphériques, ne fait que renforcer le statut asocial. La Flûte enchantée est un singspiel, les dialogues parlés alternant avec les airs chantés. La plupart des productions contemporaines tronquent les passages parlés, ce qui déforme notre vision de la reine. Dans les mises en scène utilisant des versions plus complètes du texte, nous apprenons que le défunt mari de la reine était le prédécesseur de Sarastro et qu’à sa mort, au lieu de transmettre son pouvoir à sa femme et à sa fille, il l’a cédé à un autre homme (Sarastro). Juste avant son aria le plus célèbre, Der Hölle Rache, la reine dit à Pamina que son défunt mari estimait qu’un tel pouvoir « dépassait l’intellect d’une femme ». L’amertume de la Reine de la Nuit semble soudain plus justifiée. Dans ce contexte, les deux arias héroïques et virtuoses de la reine apparaissent comme une protestation contre son sort, et elle ne peut plus être vue simplement comme une mère méchante.
Traduction par Andréanne Venne
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