Adrianne Pieczonka: la soprano « encourage fortement les concours »

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L’édition Voix 2022 du Concours musical international de Montréal réunit un prestigieux jury international composé de chanteurs, administrateurs et professeurs de chant de renommée mondiale. Présidé par l’ancien directeur général de l’Orchestre symphonique de Montréal, Zarin Mehta, ce jury comprend le baryton britannique Thomas Allen, l’ancienne directrice du département de chant de Juilliard Edith Bers, le baryton-basse néerlandais Robert Holl, l’accompagnateur allemand Hartmut Höll, le directeur artistique du Festival de Lanaudière Renaud Loranger, l’ancien administrateur artistique du Metropolitan Opera Richard Rodzinski et la soprano allemande Christine Schäfer.

Mais la membre du jury la plus chère au cœur des amateurs canadiens de chant classique est assurément Adrianne Pieczonka, l’une de nos plus célèbres sopranos des trente dernières années. Sa transition vers l’enseignement du chant et l’administration s’est faite tout naturellement et progressivement. En 2019, elle est devenue présidente vocale de l’École Glenn Gould (GGS) du Royal Conservatory of Music de Toronto, puis la pandémie est arrivée pour faire dévier à tout jamais sa trajectoire professionnelle. « Pendant quatre ou cinq ans avant [2019], j’avais donné des cours de maître à la GGS. Je connaissais donc bien l’école et les professeurs. J’avais pensé continuer en parallèle à ma carrière d’interprète. Lorsque la COVID a frappé, tous mes concerts ont été annulés, alors j’ai pu me consacrer entièrement à l’école. J’avais l’habitude d’avoir des engagements quatre ou cinq ans à l’avance. Je ne crois plus que ce soit le cas de nos jours, même pour les meilleurs », constate-t-elle.

Les concours de chant ont joué un rôle important dans le lancement de la carrière internationale de Mme Pieczonka. À l’automne 1988, elle a pris part à trois concours. En plus de remporter le prestigieux Concours international de chant de Hertogenbosch aux Pays-Bas, elle a été finaliste au concours de la célèbre soprano colorature française Mady Mesplé en France et a obtenu le 3e prix au Concours international de chant de Toulouse – cette année-là, le lauréat était le regretté baryton russe Dmitri Hvorostovski ! Cette série de succès a indéniablement propulsé sa carrière en Europe. « Au sein du public de Hertogenbosch, il y avait jusqu’à dix grands impresarios européens. J’ai reçu plusieurs invitations à chanter : Karlsruhe, Düsseldorf. Le plus insistant [venait]de Vienne. Celui qui appelait est devenu mon premier impresario. Il n’arrêtait pas de m’appeler pour me demander de venir chanter au Volksoper. J’y suis allée et j’ai obtenu un contrat sur-le-champ. [Ce contrat], je le dois à la visibilité que m’ont offert les concours [sinon]je ne crois pas que mon cheminement m’aurait conduit directement à Vienne. »

La compétition et l’élitisme sont des sujets brûlants dans le milieu de la culture actuellement et suscitent des opinions très tranchées, autant favorables que défavorables. Mme Pieczonka le sait parfaitement. « Je pense que bien des gens croient que les concours sont en voie de disparition. Peut-être n’aiment-ils pas le principe de gagnant et de perdant ou de finaliste. Oui, c’est vrai que les concours ne sont pas vraiment équitables. Nous aussi, au sein du jury, sommes des êtres humains avec des points de vue. Pourtant, je crois que pour devenir chanteur, il faut avoir la couenne dure, alors, oui, j’encourage fortement les concours. »

Il est clair, cependant, que les jeunes chanteurs d’aujourd’hui font face à une réalité bien différente de celle de l’époque de Mme Pieczonka. En 1988, le Rideau de fer existait bel et bien. « Nous ne rivalisions pas avec ces formidables chanteurs russes, ukrainiens, kazakhs ou géorgiens qui récoltent souvent les plus grands honneurs ! Ni avec les Coréens, Chinois ou Japonais qui s’en sortent également très bien, particulièrement les Coréens. » Les résultats de l’édition 2018 du CMIM en témoignent : les ténors coréens Mario Bahg et Konstantin Lee ont remporté les 1er et 3e prix au volet Aria, tandis que la mezzo canadienne Emily D’Angelo a obtenu le 2e prix.

Les possibilités de carrière ont par ailleurs radicalement changé rien qu’au cours des deux dernières années, à plus forte raison depuis 1988. Bon nombre de compagnies d’opéra offrant des programmes pour jeunes artistes ont dû suspendre leurs auditions pendant un ou deux ans. Les innombrables jeunes talents sont plus avides et nombreux que jamais à se disputer les places limitées et fortement convoitées dans les programmes de formation et les compagnies européennes de production offrant des contrats permanents. De nos jours, un artiste doit être touche-à-tout par nécessité. Un jeune chanteur ne doit plus s’attendre à gagner sa vie rien qu’avec des contrats, il doit créer ses propres occasions d’affaires, gérer sa propre compagnie indépendante, enseigner, faire du doublage en studio et de la figuration sur les plateaux de tournage.

Loin d’être enfermée dans une tour d’ivoire, en sa qualité de chanteuse professionnelle depuis 33 ans, Mme Pieczonka est bien placée pour conseiller les jeunes artistes. « Tout ce que je peux faire, c’est leur apporter mon soutien. Ce n’est pas à moi de leur dire qu’ils n’ont pas ce qu’il faut. Je dois les appuyer dans leur décision et les former en conséquence. Oui, je dois me montrer pragmatique si les résultats se font attendre ou s’ils essuient constamment des échecs. Je dois les aider à s’améliorer et à comprendre », explique-t-elle. Mais elle reconnaît aussi les difficultés que doivent affronter les jeunes artistes d’aujourd’hui. « Je connais bien des chanteurs doués qui se disent qu’ils n’ont rien, ni agent ni contrat. Cela me brise le cœur. »

Pour les 13 participants canadiens au CMIM 2022 sur un total de 32, espérons que ce concours sera le coup de pouce dont ils ont besoin pour réussir dans le contexte actuel de crise dans les arts du spectacle.

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