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Faisons la connaissance de Jonathan Cohen, violoncelliste classique et baroque, musicien d’orchestre, chambriste, universitaire de Cambridge, pianiste, claveciniste, chef d’orchestre, marin à ses heures perdues et père d’un enfant. Et surtout, pour nous mélomanes, directeur musical des Violons du Roy.
C’est que ce natif de Manchester et résidant de Londres occupe ce poste depuis 2017; ce fait a peut-être échappé à plusieurs mélomanes de Montréal qui croyaient que Bernard Labadie, le chef fondateur, était encore à la barre. Plus tôt cette saison, Labadie a dirigé le Messie de Haendel à la Maison symphonique et il dirigera, le 4 avril, les Requiem de Fauré et de Duruflé.
« J’ai aussi ma part du gâteau », a commenté Cohen, 43 ans, quelques heures avant un programme musical plus modeste à la salle Bourgie. L’hiver prochain, c’est sous sa baguette que les Violons du Roy raviront le public durant le temps de Noël, tant à Montréal qu’à Québec, siège de l’orchestre. En octobre et en novembre dernier, Cohen a emmené les Violons du Roy en tournée en Corée du Sud et en Chine avec le pianiste Marc‑André Hamelin. Il prépare également une tournée de sept villes américaines avec le mandoliniste Avi Avital en avril et mai, avec des arrêts au Zankel Hall de New York et au Walt Disney Concert Hall de Los Angeles. Incontestablement, il joue bel et bien le rôle de directeur musical.
Il est naturel de vouloir comparer Cohen à son illustre prédécesseur, d’autant plus qu’il a dirigé l’orchestre pour la première fois lors d’une tournée européenne en octobre 2014, pendant que Labadie vivait une pénible convalescence d’un lymphome. Tout s’est bien déroulé. Notant le style de direction démonstratif de ce chef anglais lors d’un concert à Cologne, un critique en a conclu : « Et alors ? Une telle individualité est appréciable lorsqu’elle donne naissance à une musique vivante. »
Cette remarque s’appliquerait tout autant au concert donné à la salle Bourgie qui présentait un programme varié tiré des répertoires baroque et du 20e siècle (mettant en vedette la mezzo-soprano britannique Christine Rice comme soliste). La musique d’Elgar et de Grażyna Bacewicz sonnait tout aussi idiomatique que les œuvres à faible vibrato de Purcell et Rameau.
Lorsqu’il le juge approprié, Cohen dirige derrière le clavecin, qu’il joue habilement; il a commencé dès son enfance comme « un pianiste au toucher vigoureux ». Il a commencé le violoncelle à l’âge de huit ans sans caresser l’ambition de faire carrière en musique. Même au Clare College de Cambridge (qui a contribué à l’essor d’Ivor Bolton, Richard Egarr, Roger Norrington et Robin Ticciati), Cohen n’envisageait pas la possibilité de devenir musicien. C’est un emploi d’été à l’Académie internationale de musique de Cornouailles auprès de Sándor Végh et Steven Isserlis et son travail de violoncelliste à la pige sur la vibrante scène londonienne qui ont suscité son enthousiasme pour la profession.
Cohen a donné de nombreux concerts dans la capitale avec l’Orchestre philharmonique de Londres, un ensemble non baroque. Il a également remplacé le violoncelliste du Fitzwilliam Quartet, un quatuor à cordes non baroque. Pourtant, dès l’adolescence, le monde de la musique ancienne l’intriguait. Des chefs d’orchestre comme John Eliot Gardiner et William Christie l’ont fait redécouvrir par leurs enregistrements fidèles à l’interprétation sur instruments anciens.
« À Cambridge, on est témoin de cette histoire, explique Cohen. Les gens s’intéressent à l’histoire de la musique. » Vouant lui-même une fascination pour cet aspect historique, il décide de créer en 2000 le London Haydn Quartet, devenu depuis l’un des ensembles sur instruments d’époque les plus respectés. Il a également tenu l’affiche avec l’Orchestra of the Age of Enlightenment comme violoncelliste jouant le rôle de continuo.
C’est à cette époque que Cohen se tourne vers la direction d’orchestre. Ce fut d’abord à Glyndebourne, à la demande de William Christie (qui appréciait sa capacité de diriger depuis le clavier), puis comme assistant de l’ensemble musical français Les Arts Florissants, fondé en 1979 par le chef d’orchestre d’origine américaine.
« J’ai eu beaucoup de chance avec Bill, déclare Cohen. Il aime confier beaucoup de responsabilités aux gens. Dès le début, je faisais répéter l’orchestre et je travaillais avec les voix. J’ai fait beaucoup d’opéras : Haendel, Purcell, vraiment tout le répertoire. Cela a été une merveilleuse expérience. »
Cela a inspiré Cohen à créer à Londres un ensemble polymorphe, Arcangelo, qui peut compter aussi peu que quatre personnes (dans des sonates en trio de Buxtehude) ou jusqu’à quatre-vingts dans la Messe en si mineur de Bach, dont un enregistrement a été finaliste aux prix Gramophone en 2014. L’enregistrement des Sonates en trio, op. 1 de Buxtehude a été en lice dans la catégorie de la meilleure interprétation de musique de chambre/petit ensemble aux prix Grammy en 2018.
Considérant la considérable discographie d’Arcangelo, l’on peut se demander quel répertoire Cohen pourra bien explorer avec Les Violons. (En fait, il s’est associé avec Les Violons et le contre-ténor Anthony Roth Costanzo en 2017 pour réaliser un enregistrement sur étiquette Decca Gold qui juxtapose des airs de Haendel et de Philip Glass. Cet album a été nominé aux prix Grammy). La réponse se trouve probablement dans l’exploration du répertoire du XIXe siècle que l’ensemble a traditionnellement mis de côté. Même la perspective des sérénades pour cordes de Tchaïkovski et Dvořák ne décontenance pas ce chef d’orchestre qui s’intéresse plus à la façon dont le phrasé s’aligne sur le mouvement harmonique qu’aux détails techniques de la pratique de l’époque.
« Je pense qu’il est trop facile de confiner la musique dans des catégories, observe Cohen, de dire, voici cette musique et voilà cette musique. C’est peut-être révélateur du marketing du XXIe siècle que de dire qu’on peut faire des chaises, mais pas des tables. Or, si vous êtes menuisier, vous faites des meubles. »
N’allons pas croire que Cohen soit indifférent aux exigences de la direction au pupitre des différents styles. En effet, une grande partie du répertoire nécessite la direction au clavier plutôt qu’au pupitre.
« Pour moi, le rôle du chef d’orchestre au temps de Beethoven était très différent de ce qu’on voit aujourd’hui comme celui du chef d’orchestre moderne, à savoir diriger debout, silencieusement, baguette à la main. Si l’on pouvait remonter le temps jusqu’à l’époque baroque, je suis presque sûr que la plupart des chefs d’orchestre d’alors dirigeaient depuis le violon, le clavecin ou le piano. La tradition du chef d’orchestre silencieux est née beaucoup plus tard.
« C’est la meilleure façon d’interpréter la musique de cette époque. Par son esthétique et sa nature, c’est de la musique de chambre, musique de chambre à grande échelle. Même si vous faites un grand oratorio, vous avez toujours affaire essentiellement à de la musique de chambre où toutes les parties sont liées. Ce n’est pas juste une basse continue avec un soliste, c’est tellement plus intégré. »
Cette sensibilité au style expliquerait l’association de Cohen avec le Saint Paul Chamber Orchestra comme partenaire artistique et le fait qu’il soit invité à jouer avec des ensembles comme le Cincinnati Symphony et le New York Philharmonic (NYP) lorsque la musique ancienne est au programme (la saison dernière, le Messie de Haendel avec le NYP).
Passer du temps de qualité avec son fils est une priorité dictée par son agenda pléthorique qui le contraint aussi à limiter la navigation de plaisance. Avec le vent en poupe, il est important d’être au gouvernail des Violons du Roy. Il sera de retour à la salle Bourgie le 23 février pour présenter un concert d’après-midi de cantates de Bach.
« Il y a des choses à développer, précise Cohen en évoquant ses projets qui touchent le répertoire de l’orchestre. Bien sûr, l’héritage de Bernard est incroyablement important. Je lui en suis très reconnaissant. Il a fondé l’orchestre et le chœur [c.-à-d. La Chapelle de Québec, dont Labadie est toujours le directeur artistique] en mettant à profit son expérience de ce répertoire. Je lui en suis très reconnaissant, car cela me permet de poursuivre l’évolution. »
Traduction par Lina Scarpellini
Jonathan Cohen et Les Violons du Roy présentent trois cantates de Bach avec Alex Potter, contre-ténor, Nick Pritchard, ténor, et Tyler Duncan, baryton, le 23 février à la salle Bourgie. www.violonsduroy.com
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