José Evangelista – Compositeur en constante évolution

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José Evangelista est un compositeur qui illustre parfaitement la diversité culturelle et l’évolution historique du Canada et de Montréal. À l’instar d’un grand nombre d’Espagnols de sa génération au début des années 1970, Evangelista cherchait à échapper à la dictature de Francisco Franco et à trouver une meilleure vie.

Mais il n’arrive pas en droite ligne au Canada. « Mon chemin s’est fait comme ça », dit-il en dessinant de la main une route sinueuse. Il y a eu une combinaison de facteurs, explique-t-il. « Je suis un ex-scientifique, j’ai une maîtrise en physique nucléaire. J’ai reçu une bourse qui m’a permis d’étudier au CERN, l’Organisation européenne pour la recherche nucléaire, un grand centre de recherche scientifique.»

Photo: Marc Bourgeois

La dictature franquiste ne donnant pas signe de fléchir, Evangelista et sa femme ont décidé de ne pas retourner en Espagne. Après avoir envoyé son curriculum à de nombreuses organisations dans les domaines scientifique et informatique, il a fini par décrocher un emploi à Ottawa.

Ayant atteint la stabilité sur les plans économique et politique au Canada, il a réfléchi à sa vie et à sa ­carrière. « À un moment donné, je me suis dit qu’à presque 30 ans, il était grand temps de choisir une carrière. J’ai décidé de retourner à la musique. » Au début, il voulait devenir professeur de musique. Après tout, il avait fait des études au Conservatoire de Valence, où il avait remporté le premier prix en composition musicale en 1967. Là, il avait étudié auprès de son beau-père Vicente Asencio, célèbre compositeur d’œuvres pour guitare et piano.

Désireux de renouer avec ses amours musicales, Evangelista s’est ­inscrit à un programme de maîtrise en musique à l’Université de Montréal, où il a étudié sous la direction d’André Prévost. Ensuite, à l’Université McGill, il a fait son doctorat auprès de Bruce Mather. Ses compositions ont bientôt commencé à attirer une attention favorable et il a remporté ­plusieurs prix prestigieux. D’importants ensembles lui ont commandé des œuvres. À présent, quelques dizaines d’années plus tard, José Evangelista est reconnu à la fois comme compositeur et comme enseignant.

Technique de composition

Evangelista ne suit pas une méthode systématique pour composer. Au lieu de cela, il se laisse guider par plusieurs principes philosophiques: une introspection constante, une recherche continue d’inspiration artistique et la volonté de ne pas répéter les choses du passé.

« Ce qui est important, c’est d’être cohérent. Au lieu d’écrire de la musique tonale simplement parce que c’est joli, on devrait écrire avec une langue qui semble être familière à l’auditeur, mais qui, en réalité, quand on analyse la partition, ne l’est pas. Nous devons veiller à ne pas tomber dans la banalité de l’académisme, c’est-à-dire reprendre constamment ce qui existe déjà et ne demande aucune réflexion ­artistique. C’est là une façon très prudente de composer ! »

Sa principale caractéristique est l’utilisation d’une texture ­hétérophonique avec des variations simultanées d’une seule ligne mélodique. Cette technique peut également être considérée comme un type avancé de monophonie : une longue ligne mélodique ­principale, comme une sorte de cantus firmus qui se déploie en même temps dans différentes voix, mais avec de multiples variations pour créer l’illusion d’une harmonie.

« À un moment donné, quand j’étais jeune, j’ai été surpris de constater que ce que j’écoutais était en ­réalité une sorte de supermélodie qui existait virtuellement; je pouvais donc avoir deux écoutes différentes : soit des variantes juxtaposées de la mélodie, soit des mélodies totalement différentes l’une de l’autre. Ce genre d’ambiguïté me plaît ! »

Il parle également de l’utilisation du cantus firmus. « C’est une technique de composition ancienne qui date du Moyen-Âge et du début de la Renaissance. C’est l’idée qu’une pièce de musique doit s’appuyer sur une mélodie ou un ton ­commun qui forme la base de toute la composition. C’est un outil très utile, car universel. Il ne peut être associé à aucune esthétique en particulier, ce qui fait qu’on peut l’employer dans n’importe quel genre – du rock au romantique en passant par le baroque. »

À présent, il continue à développer les notions d’ambiguïté et ­d’hétérophonie, comme en témoigne sa pièce Accelerando. Celle-ci a été commandée et jouée l’année dernière par l’Orchestre symphonique de Montréal (OSM) pour le 50e anniversaire du métro ­montréalais.

Photo: Marc Bourgeois

« J’ai continué à chercher de nouvelles nuances. Ensuite, il m’est apparu que  je pourrais composer une pièce avec une très longue mélodie d’environ 70 notes ou plus. En réalité, quand on en fait une lecture verticale, elle est à la fois mélodique et harmonique […] J’avais de très bons modèles : Alexandre Scriabine, par exemple, avait l’habitude de dire que sa mélodie est l’harmonie et que son ­harmonie est la mélodie. Dans ses œuvres les plus réussies, on peut remarquer que beaucoup de passages peuvent être lus à la fois ­verticalement et horizontalement.»

L’influence du gamelan

Quand on explore le répertoire d’Evangelista, on est saisi par ­l’utilisation d’une palette exotique de couleurs. En fait, bon nombre de ses œuvres sont inspirées par la musique de l’Indonésie, où il a passé plusieurs étés à étudier le gamelan javanais et le piano ­birman. « Je considère cela comme de la musique parfaite. D’un côté, c’est très sophistiqué et peut satisfaire l’intellect, et de l’autre c’est très direct. Quand on l’entend, on a une réaction immédiate, sans trop comprendre pourquoi. »

Au fil des ans, sa passion pour le gamelan n’a fait que croître, à tel point qu’en 1986, il a fondé l’Atelier de gamelan de l’Université de Montréal.

Il explique comment cette aventure a démarré : « J’aimais beaucoup l’idée d’amener un groupe de gamelan à Montréal, car je pensais que ce serait parfait pour les étudiants. Mais l’université n’avait pas ­d’argent; alors nous avons conclu un accord avec le gouvernement de l’Indonésie. Nous avons fait venir des Indonésiens afin qu’ils puissent faire connaître leur culture dans le cadre d’une exposition internationale. Un grand nombre de musiciens les accompagnaient, et ils ont apporté une multitude d’instruments. À la fin de la tournée, conformément aux termes de l’échange, ils ont fait don de leurs instruments. » Il poursuit en expliquant que les musiciens indonésiens ont laissé deux magnifiques jeux de métallophones, dont il s’est vite servi pour inaugurer l’atelier.

Depuis, l’Atelier de gamelan est devenu un cours très demandé à l’Université de Montréal. « Certains étudiants vont en Inde se ­perfectionner et se spécialiser. » Il explique également qu’en Inde, la pédagogie musicale comporte un élément qui n’est, à son avis, pas du tout valorisé en Occident : la mémorisation. « Dans la tradition du gamelan, il faut toujours jouer par cœur. En fait, après avoir ­commencé à étudier cet instrument, je me suis vite rendu compte que ma capacité de mémorisation était bien meilleure que je ne le croyais. C’est une tradition orale. Il n’y a rien sur papier, et il faut donc tout apprendre par cœur. »

Clos de vie

L’une des compositions les plus acclamées d’Evangelista est Clos de vie, une œuvre commandée par la Société de musique contemporaine du Québec (SMCQ), créée par Serge Garant en novembre 1983, et qui a reçu les louanges de la tribune internationale des compositeurs de l’UNESCO en 1984. Il l’a dédiée à la mémoire de son ami et collègue Claude Vivier, décédé en 1983, à l’âge de 34 ans, dans des circonstances tragiques.

Les deux compositeurs étaient très liés. En 1978, par exemple, ils ont fondé ensemble les Événements du neuf, une organisation consacrée à la promotion des nombreuses tendances de la musique contemporaine.

Evangelista, d’une voix douce et émue, confie : « Clos de vie a été composé à un moment de grande douleur. J’avais perdu mon ami Claude Vivier, avec qui j’avais beaucoup travaillé. Cette pièce exprime le sentiment de nostalgie et de profonde tristesse que je ressentais depuis sa disparition. » Et d’ajouter que « le titre, qui évoque le mot “vivier”, est un jeu de mots : “Claude vit” ».

Sur le plan musical, cette œuvre monodique est basée sur une  mélodie cyclique. « Ses quatre sections constituent des variations sur l’unisson orchestral, explique-t-il. On n’y retrouve donc nul accord, nul contrepoint en tant que tel. Le traitement des instruments crée souvent des ambiguïtés entre les timbres. Et cela se termine sur une citation du chant Lonely Child de Claude Vivier. »

Il trouve paradoxal que l’ensemble de la SMCQ, connu pour sa gentillesse, soit appelé à jouer une œuvre empreinte de tristesse et de colère.

La Série hommage 2017-2018 de la SMCQ

Cette année, la sixième édition de la Série hommage de la Société de musique contemporaine du Québec (SMCQ) sera consacrée à José Evangelista. Cette série biennale de concerts présente des œuvres d’un compositeur québécois interprétées par des artistes canadiens et internationaux un peu partout au Canada. Des concerts d’ensembles tels que Quasar et le Nouvel Ensemble moderne (NEM) figurent déjà au calendrier de la saison 2017-2018 en l’honneur du compositeur. www.smqc.qc.ca

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