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Lorsqu’en 1846, dans la mi-trentaine, Felix Mendelssohn dirige la création de son oratorio Elias commandé par le festival de Birmingham, il fait face à un orchestre de cent vingt-cinq musiciens, dix solistes et quatre cents choristes. Cent soixante-dix ans plus tard, un autre chef d’orchestre également dans la mi-trentaine dirigera l’un des oratorios les plus populaires du répertoire choral. Le 9 mars, à l’occasion du 45e anniversaire du Chœur Saint-Laurent, son directeur artistique Philippe Bourque offrira sa première interprétation d’Elias.
« Cette œuvre me tient profondément à cœur, confie-t-il. Je me sens lié à Mendelssohn par notre choix de foi quelque peu inhabituel. » Les grands-parents de Mendelssohn étaient juifs. Son père, un riche banquier, a élevé ses enfants dans la foi protestante, mais lui adopte le luthéranisme, en partie par respect pour Bach, son principal mentor en composition. Dès l’âge de sept ans, Mendelssohn se soumet quotidiennement à un apprentissage théorique rigoureux imposé par son professeur Zelter : les chorals, fugues et canons de Bach. M. Bourque trace un parallèle entre sa filiation spirituelle avec Mendelssohn, l’importance qu’il accorde à cette œuvre et son choix personnel d’embrasser le protestantisme au lieu de la religion catholique de la majorité.
Les récits bibliques forment le noyau d’Elias. Rédigé par Julius Schubring, librettiste de l’œuvre précédente de Mendelssohn Paulus, l’œuvre en deux parties raconte la vie du prophète Élie en combinant passages du Livre des Rois de l’Ancien Testament et nouveau matériel écrit spécialement pour l’oratorio.
Il existe actuellement plusieurs éditions d’Elias. Les chefs Robert Shaw, Donald Neunen, Robert Page et Daniel Delisi ont tous créé des versions remaniées sous prétexte que le public d’aujourd’hui a du mal à écouter de la musique de concert pendant deux heures et demie et que bon nombre des scènes de l’édition de Mendelssohn, parfaitement superflues, nuisent à la continuité dramatique. Philippe Bourque a tout de même choisi de diriger la partition orchestrale de Carlus-Verlag en version intégrale, faisant observer à la blague que les modifications de R. Larry Todd sont « coûteuses, mais nécessaires ». Le chœur aura en main la nouvelle édition Novello.
Dans son travail de préparation, le chef a privilégié l’anglais à l’allemand, affirmant que sa décision finale reposait sur ce qu’il estime être la transmission par Mendelssohn de messages théologiques universels. « Je tiens à la fois à ce que le texte soit compréhensible pour l’auditeur et qu’il occupe le premier plan. » Il ajoute que l’édition Novello a l’avantage d’indiquer soigneusement ce que l’écriture vocale appelle les « accents toniques », soit l’art de faire correspondre les accents naturels d’une langue aux mètres d’une composition.
Bourque aborde aussi la question de la pertinence d’Elias pour le public moderne et, en particulier, ses plus jeunes choristes (17 ans) qu’il a pu amener à envisager les messages dans un contexte contemporain approprié. « Malgré notre époque post-laïque et post-agnostique, dit-il, les principales questions existentielles demeurent inchangées : le bien et le mal, la quête d’une raison d’être et l’appel de la nature dans la recherche de la vérité et d’une voie à suivre. Je crois qu’Elias apporte des éléments de réponse. »
Par sa structure, Elias bouscule même les plus avertis des mélomanes, car la trame musicale de Mendelssohn, tout en empruntant une gamme de conventions inspirées de Haendel et Bach, commence sans l’ouverture habituelle. C’est plutôt Élie qui s’adresse d’emblée au public dans un prologue récitatif annonciateur d’une période de sécheresse. Le finale ne résonne pas non plus des voix retentissantes du chœur, comme dans la 9e Symphonie de Beethoven, les deniers moments s’achevant au contraire sur un épilogue choral introspectif, « Alors votre lumière se lèvera », suivi de « Seigneur notre souverain ».
L’influence de Bach et Haendel sur l’écriture de Mendelssohn est particulièrement manifeste dans les multiples fonctions du chœur – narrative, interprétative, participative. Si certains universitaires exagèrent l’apport des techniques baroques, Philippe Bourque nous rappelle que « l’œuvre est dépourvue de fugue à proprement parler », fermement ancrée dans le style romantique et riche en ressources harmoniques. Il fait valoir que puisque le compositeur n’avait pas eu l’occasion d’écrire un opéra – il est mort un an après la création de son œuvre –, l’essentiel de son intuition en matière d’écriture dramatique semble animer cette œuvre exigeante. Le chef précise que son défi consiste à recréer les grands tableaux composés par Mendelssohn rien qu’avec les matériaux d’une partition musicale. « En l’absence de scénographie ou de projecteurs, nous devons musicaliser les images. »
Pour réaliser les changements de décor du drame, il respectera à la lettre les indications de tempo du compositeur. « Je suivrai ses directives, mais à mon avis, les modifications qui s’imposeront font partie des ajustements que tout chef d’orchestre doit apporter en fonction de l’acoustique du lieu et de l’esprit du moment. »
Bourque a dirigé en concert plusieurs sections de cet oratorio, mais jamais l’œuvre au complet. Les ressources du 21e siècle lui permettront certes de réduire de moitié la tâche que Mendelssohn a dû accomplir. L’orchestre de chambre McGill n’héritera donc pas de la pratique orchestrale du 19e siècle de doublement des instruments à vent et, de nos jours, les quatre solistes (la soprano Aline Kutan, la mezzo-soprano Lauren Segal, le ténor Michael Colvin et le baryton James Westman dans le rôle-titre) doublent les personnages de l’œuvre. Pour répondre aux contraintes de l’écriture chorale rigoureuse de Mendelssohn, M. Bourque a obtenu le soutien de jeunes étudiants du chœur du Collège Vanier où il enseigne, de façon à obtenir 200 choristes de tous âges.
Mendelssohn : Elias, Chœur Saint-Laurent, 9 mai à 19 h 30, église Saint-Jean-Baptiste. www.choeur.qc.ca
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