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La musique baroque, autant celle de ses grands maîtres, comme Jean-Sébastien Bach, Haendel, Vivaldi ou Couperin, que celle de ses représentants moins connus, jouit depuis les années 1970 d’une grande vogue qui ne s’est jamais démentie.
L’interprétation de la musique baroque, notamment l’enregistrement sur disque, a connu plusieurs périodes. Il y a eu celle des pionniers, à partir des années 1930, qui ont contribué à élargir le public de la musique baroque. Parmi eux, on peut citer Pablo Casals au violoncelle, Wanda Landowska au clavecin ou le guitariste Andrés Segovia qui a mis au programme de ses récitals ses arrangements d’œuvres de Jean-Sébastien Bach. On écoute toujours ces interprétations avec plaisir, car ces grands interprètes voyaient dans une musique alors largement ignorée un langage qui pouvait encore nous atteindre.
À partir des années 1950 et 1960, la musique baroque connaît une floraison simultanée d’interprétations et de disques venant de grands orchestres symphoniques avec des chefs comme Otto Klemperer ou Herbert von Karajan, mais également avec des orchestres de chambre dirigés par Karl Ristenpart, Jean-François Paillard, Karl Münchinger, pour ne citer qu’eux. Par-delà les différences d’effectifs, de style et de personnalité des chefs, un trait commun les unit : l’homogénéité de la sonorité. On y retrouve le son soyeux des instruments modernes, une fusion entre les instruments et entre les différentes voix de l’orchestre, mais également un son gonflé aux cordes dans le cas des grandes formations symphoniques, avec un fort vibrato.
L’effervescence qui a suivi a conduit au choc et à la controverse de l’interprétation sur instruments anciens, dont on peut situer le début avec le Concentus Musicus Wien. Cet ensemble a été formé dans les années 1950 par Nikolaus et Alice Harnoncourt et a été révélé sur disque dans les années 1960 et 1970. L’un des enregistrements clés de l’époque est celui des six Concertos brandebourgeois de Jean-Sébastien Bach par le Concentus Musicus Wien en 1964. Ayant travaillé chez différents disquaires à partir de 1970, je me rappelle comme si c’était hier l’enthousiasme et le choc que cet enregistrement a causés chez les mélomanes. C’était une musique pleine d’aspérités, où les voix de l’orchestre, dans l’esprit du contrepoint, revendiquaient leur égalité, ne se fusionnaient pas, mais dialoguaient entre elles, chacune avec sa personnalité et sa sonorité distinctes. Et ce son des instruments d’époque ! Des cordes au son bref, avec peu de vibrato, des cors et des trompettes qui évoquaient la chasse, des flûtes et des hautbois dont certains disaient qu’ils caquetaient ! Ce n’était pas une musique jolie et routinière ou une musique gonflée d’accents qui provenait des romantiques. C’était une musique vivante, pleine de contrastes et de vivacité rythmique, et d’un dramatisme nouveau. C’était lourd aussi, car il fallait d’abord maîtriser les instruments avant de pouvoir penser à alléger la sonorité et les rythmes, ce qui est venu plus tard.
Cette interprétation de la musique baroque s’est imposée avec le temps. Ce ne sont pas les instruments d’époque eux-mêmes qui se sont imposés, parce que plusieurs artistes et formations se sont inspirés de l’esthétique tout en continuant à utiliser les instruments modernes. Le fondement de cette interprétation « authentique » était la recherche de ce qui, dans cette musique, peut encore nous inspirer et nous parler.
L’effet immédiat de cette interprétation et de ces enregistrements a été la prolifération des formations d’interprétation de musique baroque, avec instruments anciens ou non, et le rajeunissement des effectifs des orchestres. En effet, les jeunes se sont pris d’engouement pour cette musique. Ils ont rapidement maîtrisé l’utilisation des instruments anciens et une esthétique reposant sur des rythmes plus vivaces, des sons plus brefs, plus d’interaction entre les voix de l’orchestre. Ils n’ont pas eu à « désapprendre » ce qu’ils savaient. Ils ont abordé cette musique avec fraîcheur et sont vite devenus virtuoses de leur instrument et de leur style. On a observé la même chose dans l’interprétation de la musique baroque vocale, où des voix jeunes avec moins de vibrato, un son plus léger, donnaient un caractère dramatique nouveau à cette musique.
Cette interprétation a traversé la musique baroque et a influé sur l’interprétation de la musique des périodes classique et romantique. À l’écoute du Beethoven de Kent Nagano, on peut apprécier cette légèreté et cette vivacité nouvelle qui doit quelque chose à l’interprétation de la musique baroque qualifiée d’authentique.
Les artistes du Québec et du Canada ne sont pas restés à l’écart de ces changements, tout au contraire. L’enregistrement au piano des Variations Goldberg de Bach par Glenn Gould en 1955 a influencé toute une génération précisément en redonnant sa place à l’égalité des voix et à une plus grande vivacité rythmique. Qu’on pense aussi aux ensembles Tafelmusik, Studio de musique ancienne de Montréal et Arion Orchestre Baroque, dont les concerts et les enregistrements sont reconnus par les mélomanes ici et à l’étranger. Cela démontre l’enthousiasme des jeunes et du public pour une musique du passé qui conserve le pouvoir d’inspirer.
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