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On ne peut parler de nos mezzo-sopranos et contraltos sans commencer par Maureen Forrester, considérée comme l’une des plus grandes contraltos du 20e siècle. Née à Montréal en 1930 et décédée en 2010 à Toronto, elle s’est illustrée sur les plus grandes scènes internationales et elle est connue du public canadien parce qu’il fut un temps où notre télévision et radio d’État accordaient quelque attention à nos talents classiques. On connaît l’histoire, sa rencontre avec Bruno Walter en 1956 et le début d’une association entre artiste lyrique et chef d’orchestre qui est parmi les plus célèbres du siècle.
La voix de Maureen Forrester était un phénomène rare, un contralto d’un timbre très riche, d’une grande puissance, au registre médian riche et au vibrato prononcé qu’il fallait toujours tenir sous contrôle pour que la voix demeure harmonieuse et expressive dans tout le registre. On a un exemple remarquable de la voix et de la sensibilité de Maureen Forrester dans son interprétation en direct, disponible sur You Tube, du Chant de la terre de Mahler en 1970 sous la direction de William Steinberg, avec Jon Vickers dans la partie de ténor. Elle chante avec une majesté et une puissance inégalées tout en portant une grande attention au texte. Maureen Forrester, c’est la grandeur et le côté grave de la voix de contralto, une voix qui semble venir de la terre, capable pourtant de donner dans l’humour et le dramatisme aigu comme elle l’a démontré dans son interprétation de la vieille comtesse de la Dame de pique de Tchaïkovski. Maureen Forrester a été une célèbre interprète de Bach et Haendel, de Brahms, de Mahler et de plusieurs autres, et elle a chanté les œuvres de compositeurs canadiens contemporains dont Oskar Morawetz et Srul Irving Glick.
Avec Marie-Nicole Lemieux, née en 1975 à Dolbeau-Mistassini au Lac-Saint-Jean, on se trouve face à une carrière en pleine évolution. L’élément déclencheur de sa carrière internationale a été son premier prix en 2000 au Concours musical international Reine Élisabeth de Belgique, doublé d’un prix spécial pour le lied. Depuis, elle aussi est de toutes les scènes d’opéra et de toutes les grandes salles de concert. À partir d’une voix de contralto active surtout dans le baroque, elle évolue vers une voix qui touche au mezzo, très à l’aise notamment dans la musique française, les mélodies comme les opéras. Son disque d’airs d’opéras français avec Fabien Gabel à la direction d’orchestre montre une voix ronde, souple, agile et douce dans l’aigu, sans effort apparent. Elle y montre beaucoup de raffinement, une qualité mélodico-dramatique qui fait que l’expression est faite essentiellement par le phrasé, par l’attention aux nuances de dynamique. Son Air des lettres de Werther de Massenet est noble et dramatique, sans éclats, tout en nuances. La carrière de Marie-Nicole Lemieux est en ascension alors qu’elle aborde de plus en plus de rôles, de grands rôles verdiens notamment comme Azucena dans Il Trovatore et Ulrica dans le Bal masqué, qui font appel à son grave et demandent une forte présence dramatique sur scène.
Judith Forst, née à New Westminster en Colombie-Britannique en 1943, est le type de la grande cantatrice d’opéra, de la mezzo-soprano lyrique colorature du bel canto italien de la première moitié du 19e siècle. Bien sûr, elle a chanté beaucoup d’autres musiques, de Bizet et Verdi à Poulenc et Janáček. Elle a même chanté Elvira de Don Giovanni de Mozart, un rôle de soprano, ce qui montre sa facilité à l’aigu et dans les passages dramatiques à l’aigu. Mais on se souviendra toujours de ses interprétations au Metropolitan Opera, son association avec la grande soprano Joan Sutherland, dont on a un souvenir filmé dans Anna Bolena de Donizetti. C’est d’ailleurs sa victoire aux auditions du Conseil national du Metropolitan Opera en 1968 qui a lancé sa carrière dans cette maison d’opéra. Elle est devenue une spécialiste de ce bel canto italien qui, de Rossini à Donizetti, demande à une mezzo de posséder un très grand registre, de savoir manier à la fois la longue phrase mélodique mélancolique où la voix est à nu et les vocalises de colorature très rapides et saccadées qui doivent être remplies d’expression. C’est une convention du bel canto que d’associer expression d’une situation dramatique avec vocalises et acrobaties vocales et Judith Forst a maîtrisé cette technique et cette expression, ce qui n’est pas le cas de beaucoup.
Mon quatrième choix est Catherine Robbin, née à Toronto en 1950, une mezzo-soprano dont le nom et l’art sont associés à l’interprétation de la musique baroque sur instruments d’époque qui a atteint sa maturité dans les années 1970-1980. Il ne s’agissait pas seulement de savoir manier les instruments, mais d’esthétique et de personnalités capables de donner sa musicalité à cette interprétation qui favorisait entre autres choses la vivacité rythmique, le son court aux cordes avec peu de vibrato et des voix au vibrato contrôlé. Catherine Robbin y a prêté sa voix et elle est célèbre pour son association avec des chefs d’orchestre éminents comme John Eliot Gardiner, Christopher Hogwood et Trevor Pinnock. Elle tient la partie de voix grave de femme dans l’enregistrement du Messie de Haendel de Gardiner, lequel est considéré comme la référence de l’interprétation sur instruments anciens de l’oratorio. Sa voix est de dimension intime et son style est délicat. Elle a une belle égalité dans un registre étendu et un timbre chaleureux. Elle n’accentue pas la voix de poitrine dans les passages graves ni ne prolonge le son dans la ligne mélodique, ce qui fait que c’est l’élégance de cette ligne qui procure l’émotion, en harmonie avec les instruments. On a moins l’impression d’une grande soliste sur fond d’orchestre que d’une symbiose entre la voix et l’instrument. La voix de Catherine Robbin avait suffisamment de résonance pour que la chanteuse s’illustre aussi dans la mélodie du 19e et du 20e siècle, notamment de Berlioz dont elle a été une interprète remarquable, de même que de Brahms et Elgar.
Quatre chanteuses admirables, quatre styles, quatre personnalités.
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