Le chemin de la tolérance : Claude Poissant discute de Bonjour, là, bonjour

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Créateurs aux sensibilités proches, Claude Poissant et Michel Tremblay se rencontrent enfin autour d’un nouveau Bonjour, là, bonjour.

Étonnamment, alors que tous deux affectionnent les rebelles et les êtres en marge du système, c’est la première fois que Claude Poissant s’attaque véritablement à l’auteur d’Hosanna. Or, pour l’actuel directeur artistique du Théâtre Denise-Pelletier, reconnu pour ses nombreuses incursions réussies dans la dramaturgie contemporaine québécoise (La Déposition d’Hélène Pedneault, de nombreux textes de Larry Tremblay, Tom à la ferme de Michel Marc Bouchard, Bienveillance de Fanny Britt), cette union artistique allait de soi.

« Avant Bonjour, j’avais touché à du Tremblay au niveau amateur et une autre fois dans le collectif Les Huit Péchés capitaux au PÀP (compagnie qu’il a cofondée) », explique au bout du fil l’orchestrateur de la nouvelle production, quelques minutes avant une répétition matinale. Pourtant, son admiration pour l’une des plumes les plus reconnues ici et à l’étranger l’accompagne depuis fort longtemps. « J’ai eu la chance de voir la création de Bonjour en 1974 par André Brassard (avec notamment parmi la distribution Denise Pelletier). J’étais un tout jeune ado en quête de sens. J’ai plongé tête première dans cet univers. J’avais connu Tremblay plus tôt avec Les Belles-Sœurs, À toi, pour toujours, ta Mari-Lou… Je dirais que Bonjour, là, bonjour est ma préférée (tout comme pour le dramaturge lui-même), même si ce n’est pas la plus connue ou la plus accessible. J’ai vu toutes (ou presque) les différentes versions présentées à Montréal. Je me suis dit qu’un jour, je la monterais. »

Créée à l’été 1974, l’œuvre scénique avait alors beaucoup dérangé. Elle expose une famille dont le seul fils, Serge, revient au pays après un séjour de trois mois en France. Ce dernier retrouve sa famille dysfonctionnelle (une récurrence chez Tremblay) : son père atteint de surdité qui habite avec ses deux tantes hypocondriaques, ses quatre sœurs pour lesquelles il est un objet de convoitise. Il aime l’une d’elles, Nicole, et veut vivre au grand jour sa passion. L’histoire s’inscrit parfaitement dans l’esprit de la société québécoise de la Révolution tranquille et des ambivalences d’un peuple qui cherche à s’affranchir sans toutefois aller jusqu’au bout de ses ambitions. La revue emblématique de la contre-culture Mainmise (1970-1978) avait louangé la production : « Pour la première fois, la marginalité est non seulement assumée par celui qui la vit, elle est approuvée et admise par le seul personnage susceptible de la condamner : le père1 ». Près de 45 ans plus tard, le fait d’assumer une position contestataire tout en s’occupant du bien-être de ses proches résonne tout aussi fort. « Pourquoi j’aime tant ça ? J’ai une affection profonde pour Bonjour qui est apparu à un moment charnière de la société québécoise, entre la crise d’octobre de 1970 et l’élection du premier gouvernement du Parti québécois en 1976. » Le personnage de Serge (incarné ici par Francis Ducharme) symbolise cette quête identitaire. « C’est la première fois dans une pièce de Tremblay qu’une personne prend l’initiative de sortir du Québec pour se réaliser », dit Poissant.

La distribution donnera l’occasion à de jeunes interprètes de s’initier au verbe de Tremblay. Nous assisterons à des retrouvailles avec Gilles Renaud (Armand, le père), l’acteur emblématique de l’auteur avec Rita Lafontaine. « Mylène Mackay (Nicole) et Francis Ducharme disent pour la première fois sur scène toé ou moé. Ils n’ont jamais travaillé cette langue joualisante. C’est toute une surprise d’entendre ces mots dans des bouches contemporaines. » La distribution comprend également Annette Garant et Diane Lavallée dans les rôles des tantes Charlotte et Gilberte, en plus de Sandrine Bisson (Lucienne), Mireille Brullemans (Monique) et Geneviève Schmidt (Denise) dans les rôles des trois autres sœurs. Selon Claude Poissant, la réalité « dérangeante » du couple frère-sœur nous interpelle sur notre degré d’acceptation de la différence. Le récit s’articule « autour de la difficulté à s’assumer dans sa famille, mais aussi dans la société. C’est une réalité encore très taboue, empreinte de préjugés. Tremblay nous met au défi de s’attacher à des personnages oscillant sans cesse entre la fragilité et la manipulation. Nicole et Serge font un geste. Nous nous demandons parfois s’ils sont réellement amoureux. J’y vois un appel à l’extrême tolérance. »

Face à des réalités où se conjuguent ambiguïté sexuelle et questions de moralité, Claude Poissant constate une sorte de #MoiAussi inversé. « Les trois sœurs sont jalouses de Nicole et de sa relation avec leur frère. » Avec l’évolution du regard sur l’intrigue, le metteur en scène perçoit même une similitude avec certaines relations fraternelles présentes chez Réjean Ducharme. « La complicité du couple et leur joie d’être ensemble étaient moins présentes dans les relectures précédentes où les deux paraissaient plus gênés. J’ai voulu ramener le lien entre eux à quelque chose de plus concret, de plus animé. » Doit-on pour autant s’attendre à un dénouement plus heureux ? « Mystère, mais ça ne finit pas dans le gros party. »

Autre différence d’avec les réalisations théâtrales des années 1960-1970 du cycle des Belles-Sœurs, la figure paternelle de Bonjour, là, bonjour rompt avec les hommes détruits d’En pièces détachées ou de Mari-Lou. « Armand est un père intelligent qui reconnaît son fils et qui aime sa famille. » Une telle preuve d’amour s’harmonise à ses yeux au message humaniste de l’écrivain. « Tremblay a passé sa vie à revendiquer une plus grande liberté et à tenter de détruire les préjugés. Son appel à l’ouverture me semble plus nécessaire que jamais. »

1 Mainmise, novembre 1974, « Lorsque la marginalité débouche sur l’Éternel retour…», p.60.

Bonjour, là, bonjoursera présenté au Théâtre Denise-Pelletier du 7 novembre au 5 décembre.
www.denise-pelletier.qc.ca

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