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Depuis deux décennies, Julie Vincent poursuit ses explorations créatrices sur diverses contrées d’Amérique, entre le Québec et l’hémisphère sud. En solo ou en codirection, elle a veillé et veille encore au destin de Singulier Pluriel.
Un jour, André Brassard (un mentor qui l’a dirigée notamment dans deux pièces de Michel Tremblay) lance à Julie Vincent qu’elle sera « toujours du deuxième monde (là où des artistes osent et prennent position, contrairement au premier monde, plus consensuel et élitiste) ». Cette observation du metteur en scène illustre bien la portée de l’axe Nord-Sud développé depuis par la compagnie.
Au bout du fil, la comédienne, dramaturge, metteure en scène et conseillère artistique à l’École nationale de cirque s’exprime avec ferveur sur le parcours de Singulier Pluriel, de ses débuts à aujourd’hui, alors qu’une intrigante œuvre théâtrale est présentée ces jours-ci à la Chapelle de l’Espace Fullum, Valparaíso de Dominick Parenteau-Lebeuf (sous la gouverne de Julie Vincent). Tout a émergé au début des années 2000 au moment de la présentation de la pièce Le Marin du Portugais Fernando Pessoa, également mise en scène par Vincent. « Je traînais ce texte depuis 15 ans. Quand je le proposais à différents théâtres, personne ne voulait prendre le risque de monter ce drame statique ». En compagnie de Danièle Panneton (qui a codirigé Singulier Pluriel jusqu’en 2004), de Marthe Turgeon et d’Isabel Dos Santos (originaire du Portugal), elle se produit sur scène dans une production indépendante à la salle Jean-Claude Germain. La présence d’une actrice née à l’extérieur du Québec et les échos encourageants provoquent le désir de tisser des liens entre les cultures. Car « être Québécois, c’est être quelqu’un d’inachevé ».
Une phrase de Pessoa (« tout était multiple et nous n’en savons rien ») donne le goût à Julie Vincent de concevoir de nouvelles aventures au fil de voyages et de rencontres entre le Québec et l’Amérique du Sud. Depuis, les époques et les histoires, autant intimes que politiques et sociales, se conjuguent et se confrontent. Les langues française et espagnole se côtoient ou se répondent. Après Le Marin, Julie Vincent rédige, pilote, en plus de jouer (avec d’autres interprètes) La Robe de mariée de Gisèle Schmidt. En 2010, c’est au tour du Portier de la gare Windsor (écrit et mis en scène à nouveau par elle) de séduire des critiques et des publics curieux à la salle Fred-Barry (Montréal) et à Buenos Aires (Argentine). Ce chassé-croisé autour d’un architecte-vagabond originaire de l’Uruguay, exilé dans la métropole québécoise après le coup d’État de 1973, prend racine dans le récit biographique d’un ami récemment décédé de la femme de théâtre. Le protagoniste éprouve par ailleurs une grande tendresse pour la poésie de Gaston Miron et de Michèle Lalonde, alors que grondent les soubresauts de la grève étudiante de 2005. Les connexions entre le Nord et le Sud se poursuivent l’année suivante entre Montréal et quatre pays d’Amérique du Sud avec la prestation solo de Julie Vincent dans Jocaste, mythe réactualisé par l’Uruguayenne Mariana Percovich. Dans Soledad au hasard, de la plume et sous la gouverne de Julie Vincent, une photographe québécoise victime de la crise financière de 2001 à Buenos Aires se lie avec une étudiante argentine exilée à Montréal durant le printemps érable de 2012.
Également écrite et orchestrée par Julie Vincent, La Mondiola « s’imprègne d’une pratique alternative populaire dans le circuit indépendant de Buenos Aires et de Montevideo : présenter du théâtre dans une maison (une idée de la codirectrice de Singulier Pluriel depuis 2016, Ximena Ferrer, créatrice originaire de Montevideo) ». L’axe Nord-Sud se répercute également parmi ses modèles, « maîtres de l’avant-garde » comme le dramaturge et directeur de théâtre argentin Mauricio Kartun, l’un des fondateurs du théâtre indépendant de cette terre d’Amérique, « un être inspirant qui cultive lui-même son jardin », ou encore Gabriel Calderón, artiste de Montevideo portant de multiples chapeaux (écrivain, acteur, directeur) comme la polyvalente artiste québécoise.
Admirative depuis des années de la dramaturgie de Dominick Parenteau-Lebeuf, la codirectrice et cofondatrice de Singulier Pluriel a saisi l’occasion de développer avec elle une complicité réciproque. Avec ses multiples couches, Valparaíso (ville portuaire du Chili) s’inscrit parfaitement dans le répertoire de la compagnie globetrotteuse. Nous y rencontrons, entre autres, une jeune Chilienne androgyne qui débarque à Montréal avec sa mère. Celle-ci erre dans les rues de la ville et voit son existence bouleversée par un coffre dans les archives des sœurs de la Providence. S’enchevêtre une relation avec ses aïeules dans un tango incessant entre le Québec et le Chili, entre les 19e et 21e siècles. Pour Julie Vincent, il s’agit « d’une pièce imposante par toutes ses dimensions insérées les unes dans les autres (telle une poupée gigogne); dans son écriture, Dominick ressentait un besoin de transformation autant sur la forme que sur le contenu ». Une lignée de femmes a interpellé cette dernière, notamment une religieuse québécoise méconnue qui a pourtant joué un rôle primordial au Chili. Le rêve d’une femme sortant de la trappe d’une maison a provoqué des étincelles. « Elle a reconnu la maison de son enfance à Saint-Blaise-sur-Richelieu (ville où ont demeuré de nombreux patriotes) », confie Julie Vincent.
Pour illustrer ces ressemblances et discordances entre les cultures du Nord et du Sud, Julie Vincent cite une phrase mémorable de Michel Garneau, poète qu’elle affectionne particulièrement. « Les générations ne s’annulent pas. Il faut aller chercher les autres (que la sienne) pour ne pas mourir. » Cette philosophie d’échanges et de rencontres plurielles guidera certainement toute l’équipe d’un Valparaíso aux pas voyageurs.
Pour en connaître davantage sur la compagnie : www.singuliernordsudpluriel.com
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