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Hyperion5
Permettez-moi de vous informer sur le processus par lequel les nouveaux albums sont choisis pour être évalués − du moins par moi, qui, pendant des années, n’a critiqué qu’un seul album par semaine. Le processus n’est pas scientifique, mais je vais le décrire du mieux que je peux. Chaque lundi matin, je me retrouve devant deux imposantes piles de disques.
Tout d’abord, je laisse de côté les connus des connus − les artistes célèbres enregistrant un répertoire familier, et probablement pas pour la première fois. Ils n’ont pas grand-chose à ajouter à mon monde.
Je réserve le même traitement aux méconnus des méconnus, où le compositeur et le musicien sont extrêmement obscurs, aucun des deux n’ayant assez de poids pour défendre l’autre. Désolé, mais non.
Ensuite, il y a des artistes qui n’ont pas réussi à m’impressionner dans le passé. Je ne vois pas l’intérêt de gaspiller ma plate-forme en publiant des critiques dédaigneuses. Écouter une voix que j’ai précédemment trouvée déplaisante ne me sert ni à moi ni à l’interprète.
Enfin, je dois considérer toutes les limites que je me suis fixées dans un laps de temps défini. Au cours des trois mois de COVID-19, j’ai décidé de ne passer en revue que la musique de la fin du 20e et du début du 21e siècle, non pas par masochisme, mais parce que c’est une merveilleuse occasion de m’exposer, ainsi que mes lecteurs, à un répertoire qui se situe en dehors des programmations habituelles de concerts.
Cela dit, cette semaine, j’enfreins deux de mes règles. Les concertos de Chostakovitch sont bien connus et la prolifique violoniste anglo-russe Alina Ibragimova est une personne qui ne m’a jamais ému. Rien de personnel. Sa technique est assurée et son ton agréable, mais je n’ai jamais trouvé dans son jeu cette note de distinction − ce kaléidoscope de couleurs inattendues − qui permet de distinguer les violonistes de premier rang des autres.
Jusqu’à cette semaine où son interprétation des deux concertos de Chostakovitch a donné une toute nouvelle dimension à mon appréciation des œuvres. Les deux ont été écrites pour David Oistrakh à des périodes de tension extrême − la première en 1948, lorsque le compositeur était attaqué par les laquais de Staline pour « formalisme » inacceptable, et la seconde en 1967, lorsque le soliste était sous pression pour se rallier à la propagande antisioniste du régime soviétique. Le jeu d’Oistrakh montre une sérénité qui, bien qu’il l’obtienne en se serrant les dents, est devenue le son définitif.
Ibragimova, accompagné d’un orchestre russe et du chef d’orchestre Vladimir Jurowsky, fait exploser tout cela avec des éclairs de rage et une sombre pitié. La cadence étirée à la fin du troisième mouvement du premier concerto est un soliloque sur un paysage taché de sang, un passage si long qu’Oistrakh a persuadé le compositeur de lui ménager une pause au début du finale. Ibragimova renverse cette révision et joue, pour la première fois, comme le voulait Chostakovitch.
Dans le deuxième concerto, la tendresse du ton est parfois si élégiaque qu’elle équivaut à un rituel de deuil pour des vies ruinées. L’orchestre, de taille réduite, est une chambre d’écho pour les pensées les plus profondes du compositeur mortellement malade, ces réflexions dissipées dans le finale par une de ses folles danses macabres. C’est un album essentiel. Cinq étoiles du début à la fin.
NL
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Traduction par Andréanne Venne
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