Pascale Montpetit est magistrale dans Docteure, un suspense moral très tendance où l’auteur Robert Icke explore des thèmes qui divisent les opinions. À voir, vraiment. Chez Duceppe, jusqu’au 18 novembre.
La directrice- fondatrice d’un institut de recherche dédié à l’Alzheimer, très bien subventionné, est enregistrée alors qu’elle tente de préserver les derniers instants d’une adolescente, exceptionnellement hospitalisée après un avortement maison raté. Mais l’enregistrement audio peut laisser croire qu’elle a levé la main sur un religieux venu donner les derniers sacrements à la mourante, à la demande des parents de celle-ci. Il n’en faut pas plus pour que les réseaux sociaux s’emballent et que chaque partie interpellée s’invite dans la discussion, afin de brandir sa vérité.
La Dre. Wolffe est droite dans la vie comme dans ses chaussures. Un peu anguleuse, la répartie vive, elle exige le meilleur de ses collègues et rectifie implacablement toutes les erreurs grammaticales de ses interlocutrices ou interlocuteurs. L’éthique médicale est la boussole de sa vie. Le dossier clinique de sa patiente ne mentionnant aucune religion, Dr. Wolffe choisit, en toute conscience, de la laisser au calme sans l’informer de sa mort toute prochaine. Un choix que certains de ses collègues n’approuvent pas – mais l’adolescente est sous sa responsabilité et faire du bien-être de sa patiente la priorité lui semble aller de soi.
Une touchante aura de fragilité et de solitude se dégage du langage physique du personnage de Pascale Montpetit, presque toujours isolé sur l’immense plateau du Théâtre Duceppe. La défunte amante de la Dre. Wolffe (Tania Kontoyanni) est la seule à entretenir avec elle une certaine intimité. Ce mélange de force et de vulnérabilité, de bonté et d’exaspération contenue, est une formidable partition pour Pascale Montpetit qui, appuyée par une équipe hors-pair, trouve ici un rôle à la mesure de la maturité de son talent.
Biais inconscients
Fanny Britt signe l’excellente traduction et adaptation de l’œuvre du britannique Robert Icke, elle-même librement inspirée du texte prémonitoire d’Arthur Schnitzler, Professeur Bernhardi (1913) interdit par la censure autrichienne dès sa publication mais monté par Thomas Ostermeier à la Schaubühne de Berlin (2016). Trente ans avant l’apogée du nazisme, Schnitzler dénonçait les dangers du populisme, des préjugés et des étiquettes. Clin d’œil à Professeur Bernhardi et pied de nez à la politique d’identité dans les distributions théâtrales et cinématographiques, Marie-Ève Milot a brouillé les cartes – Ariel Ifergan incarne un catholique acharné, Sharon James un cadre masculin de bonne carrure (etc.).
Marie-Ève Milot, qui est aussi comédienne et autrice, est coutumière des mises en scène engagées et des textes féministes (Éditions La Nef). Elle a notamment déjà abordé le thème de l’avortement dans Clandestines, un texte qu’elle co-signe avec Marie-Claude St-Laurent. Pendant plus de deux heures, Docteure mène le spectateur de surprise en réflexion, précisant les concepts des biais inconscients. Les principes sont clairement expliqués – non, joués – souvent avec humour et le public est, de toute évidence, ravi de l’expérience.
Avortement, religion, préjugés racistes, notion de privilège, discrimination positive, identités de genre, mouvement woke – Docteure incite à l’écoute et au débat. Il faut féliciter David Laurin et Jean-Simon Traversy, les codirecteurs artistiques de Duceppe, d’avoir programmé cette œuvre dans le cadre du 60e anniversaire de la compagnie: Docteure est en accord avec l’air du temps.
À voir, chez Duceppe, jusqu’au 18 novembre.
Mise en scène : Marie-Ève Milo
Une adaptation très libre de Professor Bemhardi d’Arthur Schnitzler
Traduction: Fanny Britt
Mise en scène: Marie-Ève Milot
Interprétation: Alexandre Bergeron, Sofia Blondin, Alice Dorval, Nora Guerch, Ariel Ifergan, Tania Kontoyanni, Pascale Montpetit, Sharon James, Harry Standjofski, Elkahna Talbi, Yanic Truesdale
Assistante à la mise en scène: Josiane Dulong-Savignac
Scénographie: Geneviève Lizotte
Costumes: Cynthia St-Gelais
Éclairages: Étienne Boucher
Musique: Antoine Berthiaume
Accessoires: Eliane Fayad
Maquillage et coiffure: Amélie Bruneau-Longpré
Direction du mouvement: Nico Archambault