Critique La São Paulo Companhia de Dança : la soirée à ne pas manquer

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Photo (Trick Cell Play) © Arthur Wolkovier. Interprètes Vinícius Vieira, Daniel Reca, Ana Roberta Teixeira, Geivison Moreira, Luiza Yuk

Photo (Trick Cell Play) © Arthur Wolkovier. Interprètes Vinícius Vieira, Daniel Reca, Ana Roberta Teixeira, Geivison Moreira, Luiza Yuk

La São Paulo Companhia de Dança réussit magistralement son second passage à Danse Danse et les propositions de Marco Goecke et de Cassi Abranches ont très bien complété la première partie offerte par Édouard Lock, grâce aux magnifiques danseuses et danseurs. Jusqu’au 9 avril Théâtre Maisonneuve

Trick Cell Play

Après des reports, la pièce Trick Cell Play d’Edouard Lock était fort attendue. La salle était comble et, dans le public, chacun parlait de ce qu’il connaissait du travail du chorégraphe. L’une évoquait Lalala Humain Step, un autre l’adaptation cinématographique d’Amelia. Plus près, un couple se rappelait The Seasons (2016) que Lock avait présenté avec la même compagnie, dans une scénographie d’Armand Vaillancourt.

Dès le lever de rideau, le ton est donné. Trick Cell Play est une œuvre au noir, rythmée à coups de lumière blanche, tombée de multiples projecteurs accrochés bien haut. Le chorégraphe montréalais poursuit sa quête de déconstruction du vocabulaire classique et la perfection des tableaux est quasi cinématographique. Les quatorze interprètes dansent par grappes de deux ou trois, et s’approchent ensuite les uns des autres. Les répétitions de cette œuvre de 40 minutes auraient-elles été gênées par les contingences de la COVID?

Le premier tableau commence dans un silence complet, les bras des trois interprètes sont portés bien haut, en angle droit et les mouvements de ceux-ci évoquent des poupées articulées – ils bougent comme dans une pantomime, ce qui confère à la scène un effet dramatique indéniable. Les visages cueillent la lumière de façon frappante (conception lumières Édouard Lock). Les femmes portent des corsets ou de strictes robes fourreau noires, à encolure bateau, sans manches et arrivant à mi- cuisse; elles tireront d’ailleurs sur le bout de leurs jupes comme pour faire une déclaration (Ulrika Van Gelder pour les robes; Edmeia Evaristo pour les corsets). Les hommes sont torse nu ou enfilent une veste, Édouard Lock se chargeant de les (des)habiller.

Le mouvement des danseurs se fait ensuite plus doux et moins rapide que dans certaines de ses précédentes pièces. Les bras se délient et s’envolent, comme les innombrables coups de pieds et fouettés aériens. Le chorégraphe n’hésite pas à inverser les rôles traditionnels, la danseuse servant d’appui à l’interprète masculin, qui exécute son passage sur pointes. Entreprenariat à tout crin, vitesse effrénée de nos styles de vie… Le commentaire n’est jamais loin et la musique du compositeur Gavin Bryars qui revisitait, en les déconstruisant, Les quatre saisons de Vivaldi dans The Seasons, s’attaque cette fois à de grands airs d’opéra en soutenant ce propos. Deux interprètes de profil, une à cour, l’autre à jardin, renforcent l’aspect « fresque » des illusions sur lesquelles sont construites nos sociétés.

Des interprètes se faufilent derrière un rideau d’un fini organza noir – on les devine à peine. Puis, elles s’avancent sous une douche de lumière et c’est l’apothéose. « Il y a une brèche, une brèche en toute chose, c’est par là que la lumière se fraye un chemin » chantait Leonard Cohen. C’est à ce poète que l’on pense en savourant la délicieuse magie intime des lumières de Lock, la sensualité des corps des interprètes, à demi-révélés par la pénombre. L’exécution est parfaite, néanmoins subsiste l’impression que le maître aurait pu pousser plus loin l’arc dramaturgique de l’œuvre. Les fans auraient pris un petit quelque chose de plus…

L’Oiseau de feu

L’Allemand Marco Goecke a créé ce pas de deux de 8 minutes sur la musique du ballet de Stravinsky (Berceuse et Finale) pour le centenaire de L’Oiseau de feu (2010). Le combat d’Ivan Tsarévitch contre l’immortel magicien Koschei ainsi que sa captive Tsarevna, du conte de fées original slave, se transforme ici en une rencontre entre deux créatures timides qui s’apprivoisent. Goecke conserve des éléments du ballet original (position de la tête) et choisit de mélanger les genres : les mains papillonnent avec fébrilité, les bras miment les ailes d’un oiseau tandis que l’ensemble des mouvements demeure plus abstraits. Notons d’amples chassés. Le public apprécie et on ne peut que féliciter Danse danse de concocter dorénavant des programmes triples plus courts et digestes.

Agora

La chorégraphe brésilienne et ancienne danseuse de Grupo Corpo, Cassi Abranches, a créé en juin 2019 la pièce Agora, explorant la notion du temps au sens propre comme au sens figuré. Dès les premières minutes, douze interprètes s’élancent sur le tempo marqué de la musique du compositeur Sebastián Piracés et le public s’affole. C’est que l’effet d’ensemble de tous ces corps parfaits se déhanchant de façon parfaitement synchrone, au fur et à mesure de l’apparition des différents instruments ou voix dans la bande sonore afro-brésilienne est frappante. Les filles portent des robes qui évoquent la mode hot-pants des années soixante (costumes Anaina de Castro) et qui s’envolent quand elles sautent dans les bras de leurs partenaires. Les hommes sont torse nu et laissent admirer leurs irréprochables musculatures en action.

Les séquences sont élégantes, extrêmement habiles voire compliquées et il se dégage de cette chorégraphie un irrésistible charme retro. La samba est maintenant acrobatique et provocante; les corps à corps sont lascifs mais toujours exigeants. La pièce de vingt minutes termine admirablement la soirée et public, conquis, fait une ovation méritée aux interprètes qui ont porté les trois œuvres.

La São Paulo Companhia de Dança, à voir jusqu’au 9 avril auThéâtre Maisonneuve

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