Christine Beaulieu / Nyotaimori: Tomber dans le théâtre

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Alors que l’odyssée de J’aime Hydro poursuit son cours, l’attachante comédienne Christine Beaulieu sera de la distribution de Nyotaimori, le nouveau texte de Sarah Berthiaume présenté au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui, du 16 janvier au 3 février.

Décidément, l’enquête et le journalisme collent à la peau des personnages de Christine Beaulieu ! Elle a incarné la documentariste Anabel Soutar dans la pièce de théâtre Grain(s)/Seeds de Chris Abraham, elle a ensuite mené l’enquête citoyenne J’aime Hydro, un premier texte qui s’est révélé un succès éclatant (le spectacle, qui se promène, était présenté à La Bordée jusqu’au 9 décembre). N’oublions pas qu’elle campe aussi, dans la télésérie District 31, diffusée sur les ondes de Radio-Canada, l’enquêteuse Geneviève Allaire. Dans Nyotaimori, le nouveau texte de Sarah Berthiaume qui sera présenté à la rentrée d’hiver du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui, la pétillante comédienne se glisse cette fois dans la peau de Maude, une journaliste qui effectue une série d’entrevues dans de grandes entreprises et des métiers d’avenir. Travailleuse autonome elle-même, elle croit jouir d’une liberté absolue. Mais l’absence de frontière entre sa vie personnelle et professionnelle ne la plonge-t-elle pas dans une autre forme d’aliénation ?

Nyotaimori est une grande fable qui oscille entre le corps, le travail, le temps et l’espace et c’est intéressant, très théâtral, commence Christine Beaulieu, détendue. Sarah Berthiaume écrit des choses de façon extrêmement réaliste et pourtant on bascule tout de suite dans un autre monde; c’est une écriture plaisante, pleine de vraies possibilités de grandeur, reprend la comédienne originaire de Pointe-du-Lac. Comme dans une nouvelle d’Edgard Allan Poe, le personnage de Maude part d’une situation de travail très réaliste pour mieux s’envoler dans le fantastique. C’est qu’un passage de son immeuble débouche à la fois dans le coffre d’une voiture fabriquée à la chaîne au Japon et sur la porte d’un atelier de fabrication de lingerie en Inde… Sarah Berthiaume s’intéresse aux systèmes économiques qui transforment les humains en machines et les femmes en objets et ce nouveau spectacle porte sur le rapport entre le travail et le corps, explique Christine Beaulieu. Nyotaimori, qui signifie littéralement « présentation sur le corps d’une femme », est l’acte de manger des sashimis ou des sushis présentés sur le corps d’une femme nue. Avant de devenir un plat de service vivant, la femme est entraînée à rester parfaitement immobile pendant des heures. Avant le rituel, elle doit se savonner avec un savon non parfumé et s’asperger d’eau froide afin d’abaisser la température de sa peau pour ne pas réchauffer les sushis. Aujourd’hui, on peut s’interroger avec consternation sur une telle tradition, mais cette vision rétrograde de la femme est un vestige d’une autre culture et d’un autre temps, soutient Christine Beaulieu. C’est d’abord un hommage au culte de la beauté, à l’acte de création, et y faire allusion en cette ère de mondialisation remet en question nos habitudes de consommation tout en nous entraînant sur le terrain du sacré, ajoute-t-elle.

Maude est une auteure, elle pratique donc supposément un métier de liberté, mais on se rend vite compte qu’entre les dates de tombée et les recherches de sujets, les limites entre sa vie privée et le travail sont très floues – elle a toujours son téléphone dans la main ou sa tablette sur les genoux et n’arrive surtout jamais à partir en vacances avec sa blonde. « Mon personnage est le cliché de la fille qui se fait avaler par son travail et sa réalité de travailleuse autonome n’est pas aussi merveilleuse qu’on voudrait le lui faire croire, remarque Christine Beaulieu. Quand un salarié finit ses heures de travail, il a réellement fini. » À Montréal, autour des voies ferrées, toutes les usines et les anciennes fabriques ont été fermées et elles sont maintenant pleines de créateurs qui brassent des idées, d’artistes du texte et de l’image et d’artisans de l’imagination. « Avant, le quartier fabriquait du textile, maintenant c’est de l’art, des concepts, mais est-ce qu’on est réellement plus libres ? » Tout comme J’aime Hydro, Nyotaimori joue la carte de la réflexion sociale, mais c’est bien le seul point commun entre les deux pièces. « Le texte de Sarah est très poétique et même fantasmagorique, il s’envole tandis que J’aime Hydro était très concret. »

« Il faut se mettre au pied du mur et repousser ses limites. Mon travail est de mordre dans le texte », affirme Christine Beaulieu. Chaque projet a sa raison d’être et pousse ma réflexion; Selfie, un spectacle qui sondait le terrain d’une intimité exponentielle et troublante et où Christine Beaulieu jouait nue l’a décoincée – dixit la comédienne. C’était un texte de Sarah Berthiaume et une vraie rencontre s’est opérée entre les deux femmes. Le travail de l’acteur, c’est l’appropriation, l’incarnation des mots et d’habitude Christine Beaulieu se demande comment faire pour que ça sonne vrai, que ça l’habite sans trop d’efforts : « Un texte de Sarah, c’est facile à mettre en bouche; je n’ai même pas envie de changer ses mots tant ils me viennent naturellement et quand je ressens cette connexion, c’est bon signe. » Dans District 31, l’auteur Luc Dionne permet aux acteurs de remodeler le texte pour que ça fasse plus vrai, mais ici ce n’est pas nécessaire, ajoute l’actrice. Les auteurs ont tout son respect, car l’épreuve de l’écriture l’a transformée à bien des égards. L’aventure de J’aime Hydro a rendu Christine Beaulieu nerveuse, vulnérable – elle s’est livrée, elle a parlé de ses amours, de sa famille, de son père; bref elle s’est vraiment montrée telle qu’elle était et ce processus l’a plongée dans un état de fébrilité des plus intenses. Elle en rit : « Honnêtement, je pense que rien ne pourra dépasser le niveau de stress que j’ai atteint pendant cette période ! Le bon côté de la chose, c’est que j’approche maintenant mon travail avec beaucoup plus de plaisir et je suis infiniment plus détendue qu’avant. » Sébastien David, qui signe la mise en scène du spectacle, aborde le jeu de façon réaliste, sur une scène quadrifrontale et l’équipe travaille à ouvrir le jeu pour tout le monde, pour ne pas perdre le public. « C’est un spectacle jouissif, on éclate la forme et on tombe dans le théâtre », lance Christine Beaulieu, joyeuse.

Nyotaimori, avec Christine Beaulieu, Macha Limonchik, Philippe Racine. Au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui du 16 janvier au 3 février. www.theatredaujourdhui.qc.ca

 

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