Châteaux du ciel : Revendiquer la beauté

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Après la dystopie futuriste Seeker (prix Michel-Tremblay du meilleur texte créé à la scène 2022), l’autrice Marie-Claude Verdier se tourne vers la seconde partie du XIXe siècle et propose la rencontre d’un souverain hors norme, Louis II de Bavière (1845-1886), pacifiste et grand amoureux des arts. Claude Poissant donne un biais moderne et documentaire à la mise en scène du drame romantique que l’autrice peaufine depuis de nombreuses années.

« J’ai eu un coup de cœur pour ce roi improbable au détour de Gabriel Knight 2, un jeu vidéo créé par Jane Jensen auquel je jouais adolescente et où le personnage de Louis II était mis de l’avant », commence Marie-Claude Verdier. Puis, lors d’un stage linguistique en Allemagne, l’autrice en devenir séjourne non loin du château de Herrenchiemsee, le dernier château que ce roi a fait construire, à l’identique de Versailles. Faute de fonds, l’édifice n’a pas été achevé.

Architecture de contestation

« Une vingtaine de salles d’apparat sont terminées, mais dès qu’on les quitte, on remarque le plâtre nu et on comprend que le château est un décor que Louis II a édifié pour mettre en scène son rêve de monarchie absolue, impossible à concrétiser dans la réalité, reprend Marie-Claude Verdier. À sa façon, ce souverain constitutionnel résiste au traité d’unification de l’Allemagne imposé par Bismarck à Versailles en 1871, au lendemain d’une des premières guerres modernes. Le frère de Louis II, Otto, en est revenu avec un choc post-traumatique dont il ne se remettra jamais.

« On pense que Louis II a voulu bâtir une galerie des Glaces que Bismarck et les Prussiens n’auraient pas souillée », explique l’autrice. Louis II a en effet demandé à ses architectes de reproduire les plans originaux de Versailles. Le château de Herrenchiemsee est une provocation adressée au Reich et à son empereur, la contestation architecturale de celui qui refuse les calculs politiques. Au théâtre, la scénographe Odile Gamache réinvente un décor en deux dimensions pour camper ce texte d’une amplitude wagnérienne.

« Châteaux du ciel aborde des moments historiques précis, mais je m’intéresse à un esprit, à ses visées humaines et esthethiques – je raconte une histoire », précise la dramaturge. En 32 scènes et autant de lieux, elle décrit un homme maladivement timide, estropié par une chute de cheval, souffrant de terribles migraines qui le poussent à éviter la lumière et à vivre la nuit. Il s’identifie à Parsifal, le chevalier de la pureté, alors que son frère correspond plus au chevalier Gauvin, qui a les pieds sur terre et Châteaux du ciel suit cet axe.

Ébloui par Wagner

Nourri de lectures d’épopées et de légendes, le jeune Louis découvre à 13 ans L’œuvre d’art de l’avenir, de Richard Wagner. Adolescent, il assiste à une représentation de l’opéra romantique Lohengrin. Le jeune homme est hypnotisé par l’expérience immersive de l’opéra, concrétisation de ses rêveries d’enfance. Lorsqu’il accède au trône, il fait chercher Wagner, n’hésitant pas à régler les dettes du compositeur et à lui offrir une rente.

Anarchiste déçu, Wagner reporte dans sa musique son désir d’anéantissement des institutions. Le compositeur est décidé à écraser les règles qu’on l’a forcé à suivre, dans sa vie ou dans son art. Wagner veut semer la révolte dans les cœurs. Vol, fratricide, inceste : ses héros enfreignent les lois les plus anciennes. Son objectif de pureté subjugue néanmoins Louis II, honteux de son homosexualité et obsédé par la chasteté. Est-il le premier roi queer ? En 2023, la question se pose, croit Claude Poissant qui a choisi de garder la « machoire québécoise » au niveau de la langue

Après un exil, Wagner revient à Bayreuth où Louis II fait construire un théâtre pour jouer ses œuvres. Le premier Festival Richard Wagner présente la Tétralogie, cycle que Wagner a mis trente ans à composer, et c’est le succès (1876). L’œuvre d’art totale, qui unit poésie, danse, musique et architecture, est née. Philippe Brault signe la musique originale du spectacle.

L’énigme Louis II

Le souverain est aimé par ses sujets. Pour lui, les hommes sont tous frères. « Il est un chef d’État qui se revendique d’autre chose que la violence ou l’économie. Il aspire à des valeurs qui sont très peu mises de l’avant et sa passion pour la beauté m’a impressionnée », confie Marie-Claude Verdier qui mentionne sa décision d’éduquer les jeunes filles. Le gigantesque chantier du château de Neuschwanstein (qui a inspiré Disney) donne aussi naissance à une forme d’assurance sociale révolutionnaire à l’époque.

Louis II n’était pas qu’un rêveur. Visionnaire, il s’intéressait aux technologies modernes et à la recherche scientifique. À Munich, il fonde l’Université polytechnique (1868). Amateur d’inventions comme le téléphone, l’eau courante et le chauffage, il installe les premiers bains publics dans le parc du château de Nymphenburg et un circuit de lumière électrique. Sa fascination pour les technologies a beaucoup contribué à l’industrialisation de la Bavière.

« Je me suis approprié cette magnifique histoire pour parler de notre époque. » Marie-Claude Verdier développe en rapportant un commentaire, glané lors d’une discussion sur des logements pour des femmes victimes de violence. Il ne faut pas que ça soit trop beau, a déclaré un membre de ce conseil d’administration. « Je ne prétends pas définir ce qu’est la beauté, mais la refuser à certaines personnes est une violence révélatrice de notre société. »

Roi solitaire, héros romantique dans un contexte loin de l’être, Louis II souhaitait demeurer une énigme pour lui et pour les autres.

Châteaux du ciel. Avec Mikhaïl Ahooja, Félix Beaulieu-Duchesneau, Annick Bergeron, Frédéric Blanchette, Dany Boudreault, Myriam Gaboury, Maxime Genois, Fabrice Girard, Daniel Parent et Mary-Lee Picknell. Au théâtre Denise-Pelletier, jusqu’au 15 avril.

www.denise-pelletier.qc.ca

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