Le sens de la débrouillardise: les étudiants et le téléapprentissage

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Par Eva Stone-Barney and Ruqaiyah Zarook

L

a pandémie a bouleversé toutes les sphères du monde, notamment les écoles de musique et les programmes pour jeunes artistes. Nous nous intéressons aux diplômés en chant de 2020 qui ne s’attendaient certes pas à lancer leur carrière en pleine crise sanitaire planétaire.

« Ma dernière session à l’Université McGill tirait à sa fin lorsque, au beau milieu d’une répétition d’Acis et Galatée, nous avons dû ranger nos partitions et quitter le bâtiment, définitivement , confie la soprano Sarah Dufresne qui a obtenu son diplôme d’études supérieures en voix et opéra à l’École de musique Schulich en mai dernier. Nous avons tenté de terminer le semestre sur Zoom, mais la session était presque achevée lorsque nous avons compris les rouages de l’enseignement et de l’accompagnement en mode virtuel. » De la même façon, le baryton Jonah Spungin, inscrit au programme des jeunes artistes du Calgary Opera, raconte que « la relève artistique de la [compagnie]était à une journée près de la fin de sa tournée étudiante ».

Le choc de ces bouleversements sur le mode de vie des musiciens et la collaboration musicale se fait encore sentir, mais de nombreux étudiants sont impressionnés par la façon dont les programmes de formation et l’opéra se sont adaptés à la nouvelle réalité. « Je pense que cette situation a montré que le travail virtuel convient plus que nous le pensions à l’opéra », admet Sarah, dont l’expérience récente à l’Académie internationale vocale de Lachine lui a prouvé « qu’en plus d’être parfaitement réalisables, les leçons et l’accompagnement en ligne peuvent donner d’excellents résultats ».

Les solutions numériques ont fait sensation auprès des jeunes chanteurs. « Loin d’être parfaites et aussi agréables que le travail en personne, ces solutions sont d’une grande utilité », affirme Jonah. Le contre-ténor Ian Sabourin, qui termine sa maîtrise en voix et opéra à McGill, abonde dans le même sens. « Je ne pensais pas qu’il serait possible de continuer à apprendre à chanter sur Zoom, explique-t-il. Mais avoir une leçon tous les 10 à 14 jours, même sur cette plateforme, m’aide à “réaligner” ma voix et m’incite à aller de l’avant. »

Parmi les autres avantages imprévus, les jeunes artistes espèrent que certains persisteront. Ainsi, Jonah envisage un monde dans lequel « les musiciens classiques seront encouragés à être plus polyvalents et à apprendre à utiliser d’autres médias dans leur création artistique, à l’instar de ce qui est attendu chez les musiciens d’autres genres et les artistes d’autres disciplines ». De son côté, Sarah constate que la situation a contraint de nombreux jeunes chanteurs à apprendre à s’enregistrer et à devenir plus autonomes. Ian, quant à lui, estime que la pandémie lui a inculqué le sens de la débrouillardise, l’incitant à consacrer plus de temps à l’étude de la pédagogie vocale et à la maîtrise des logiciels d’enregistrement.

Pendant cette période, le soutien sans faille que les écoles de musique et les programmes pour jeunes artistes au Canada ont apporté à leurs étudiants a incité les chanteurs à poursuivre l’étude de leur art, en dépit des occasions de concerts temporairement interrompues. Sarah qui commencera sa résidence à l’Atelier lyrique de l’Opéra de Montréal à l’automne soutient qu’« il reste beaucoup à faire même en l’absence de productions, comme l’étude des différents rôles et l’accompagnement privé ». Jonah, qui entamera le programme de formation du COC Ensemble Studio à l’automne, raconte que « la COC a […] décidé de planifier la prochaine saison de son Ensemble Studio pour [commencer]en septembre, en personne si possible, sinon en ligne. Je suis très reconnaissant envers ces compagnies qui se dévouent pour les jeunes artistes », ajoute-t-il.

Dans ce nouveau contexte, bon nombre constatent que le travail ne manque pas. Ian souligne que la pandémie a modifié sa perception du public et de son rôle dans les interprétations en direct, affirmant que le public représente « l’aspect le plus important de cet art ». Sans public traditionnel pour lequel chanter, il en profite pour « continuer à entretenir une relation saine avec son professeur de chant » et à maîtriser son instrument. Pandémie ou pas, affirme-t-il, « plus votre curiosité en tant que chanteur est stimulée – par l’exploration, la réflexion, l’apprentissage des rouages de la voix, l’enregistrement et l’écoute, et les échanges avec votre professeur de chant – et plus vous vous améliorez ».

« Il vaut mieux consacrer ce temps à faire un travail de précision sur notre voix, confirme Sarah. C’est aussi le moment idéal pour écouter et regarder les grands d’hier et d’aujourd’hui et découvrir l’essence de leur talent incomparable. Comme chanteurs d’opéra, le travail que nous faisons au quotidien peut être très éprouvant, autant physiquement que mentalement. »

À une époque où il est presque impossible d’étoffer son curriculum vitæ, les jeunes artistes soulignent que le travail des musiciens au début de leur carrière va bien au-delà de l’accumulation de rôles. « Tout comme un chanteur ne se contente pas de chanter, un curriculum vitæ ne se résume pas à une série d’interprétations, rappelle Jonah. Cette situation m’a obligé à remettre en question l’idée que mon identité en tant qu’artiste suit des paramètres bien définis, continue-t-il. J’ai toujours aimé chanter autre chose que des airs d’opéra. J’aime le chant choral et la comédie musicale et j’adore prendre ma guitare pour entonner du Elton John, mais j’ai toujours considéré ces activités comme “extérieures” à mon chant classique. »

S’il reconnaît que « la répétition et la préparation sans la promesse de l’interprétation peuvent être ardues », il estime que les jeunes artistes doivent en profiter pour comprendre que « ce n’est pas parce que vous vous efforcez sans cesse de grandir et de vous perfectionner en tant qu’artiste que, comme être humain, vous n’avez pas atteint la plénitude tel que vous êtes ».

Il n’est pas aisé de faire carrière dans les arts d’interprétation dans les meilleures circonstances, alors inutile de dire qu’en ce moment, il serait peut-être plus facile pour les jeunes d’envisager un changement de carrière ou de renoncer temporairement à leurs activités musicales. Cela dit, bon nombre d’entre eux considèrent encore que leur travail est important et en vaut la peine.

« L’art a toujours été et continuera d’être la meilleure façon de se rassembler, conclut Sarah. Je pense qu’il contribuera grandement à nous remettre de cette crise, en plus de toutes celles auxquelles notre monde fait face actuellement. » Elle ajoute que, malgré ces facteurs extérieurs, « si vous avez une vocation de créateur, chanteur, musicien ou autre, vous devez y répondre ».

Traduction par Véronique Frenette

 

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