Quatuor Despax: 20 ans de musique en famille

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Les années passent, mais le lien demeure intact. Depuis 20 ans, le Quatuor Despax assouvit non seulement sa passion pour tous les genres de musique, sans exception, mais aussi son besoin de connexion avec ses proches, ses amis et, bien sûr, son public.

Pour ceux qui ne le sauraient pas encore, Despax est le nom de famille de quatre frères et sœurs, tous instrumentistes à cordes et tous complémentaires dans l’exercice de leur métier. Nous avons eu la chance de les interviewer tous les quatre et, de toute évidence, l’affection qu’ils se portent mutuellement les a aidés à surmonter toutes les montagnes. « Nous vivons simplement de notre musique. La musique classique, c’est bien, mais on peut faire d’autres musiques aussi. Du fait que nous sommes des musiciens classiques, nous pouvons jouer tous les styles », estime Jean Despax, second violon du groupe.

Le 4 juillet prochain, ils fêteront en musique l’anniversaire de leur premier concert, présenté jour pour jour il y a 20 ans exactement, à l’été 2003. Au programme, des œuvres de Tchaïkovski et Bologne, dit le Chevalier de Saint-Georges, que l’on connaît aussi sous le nom de « Mozart noir ».

Programme du concert-anniversaire

Photo: Astrid Vdw

« Cela fait quelques années seulement qu’on l’a découvert et on en est très heureux. Ça a enrichi notre répertoire », s’enthousiasme Valérie Despax. Pour la violoncelliste du groupe, les partitions du Chevalier de Saint-Georges représentent un certain défi. D’aucuns pourraient voir dans ce style atypique le reflet de sa propre vie atypique, marquée par une éducation musicale en dents de scie et à rebours de tant d’autres compositeurs, souvent fils et petit-fils de musiciens. « Il n’a pas eu accès à tout ce qu’il aurait dû avoir, fait-elle remarquer. La manière dont il a écrit certains passages n’est pas usuelle, que ce soit dans l’agencement des notes, les doigtés ou les changements de cordes. À l’écoute, on peut trouver sa musique très belle, représentante d’un style purement classique, mais quand on la joue, on ressent plus de différences. »

On disait de la musique de Mozart qu’elle était très élaborée, très fouillée, qu’elle contenait même trop de notes (d’où la relative incompréhension des Viennois pour ce compositeur fulgurant). Au début du XIXe siècle, on dira des symphonies de Beethoven qu’elles sont injouables. Serait-ce là la marque du génie ? Et si oui, en serait-il de même pour Bologne ? « On nous a formés, en tant que musiciens, à jouer Mozart, à interpréter son style si caractéristique, mais on n’a pas été sensibilisé de la même manière pour la musique de Saint-Georges. C’est ce qui en fait sa particularité et c’est ce que l’on aime beaucoup chez ce compositeur. »

Maxime Despax, l’altiste du quatuor, poursuit : « On est habitués à jouer d’autres répertoires (classiques, baroques, etc.). C’est très difficile de promouvoir d’autres artistes, car la demande pour du Mozart, du Haydn, est forte. Quand on a la possibilité de jouer quelque chose d’aussi différent et original que Saint-Georges, on apprécie vraiment. Dans un avenir pas trop lointain, on aimerait pouvoir jouer, par exemple, l’intégrale de ses quatuors à cordes en concert. Ça se fait déjà et on aimerait le faire à notre tour ! »

Formation classique

Les quatre musiciens ont tous débuté au Conservatoire de musique de Gatineau (anciennement Hull). Cendrine a été la première à avoir migré à Montréal pour faire l’équivalent du baccalauréat, toujours dans le réseau des conservatoires. Ses frères sont venus la rejoindre, suivis de près par leur sœur. Celle-ci est même allée jusqu’à l’équivalent de la maîtrise et d’un perfectionnement de 5e cycle. « Individuellement, nous sommes tous diplômés du conservatoire, Maxime ayant poursuivi sa formation à Toronto à la maîtrise et Valérie, à l’Université McGill pour faire un perfectionnement d’Artist Diploma. Jean, quant à lui, a achevé son récital de concours au conservatoire de Montréal. Collectivement, en tant que quatuor, l’aventure a également débuté au Conservatoire de musique de Gatineau puis à Montréal, précise Cendrine. Les stages que nous avons faits à Orford Musique pendant 2 ou 3 ans nous ont beaucoup aidés dans notre développement artistique. Nous y avons rencontré notamment le Nouveau Quatuor à cordes Orford. Avec notre premier vrai coach à Gatineau, le violoniste Calvin Sieb, ils ont été de grands piliers dans l’avancement de notre carrière. »

À propos de Calvin Sieb, Valérie raconte : « Il a vu qu’on essayait de faire des concerts de quatuor à cordes. Il nous a entendus. Un jour, il nous a réunis tous les quatre et il nous a dit avec un regard sérieux : “Ne vous mariez pas trop tôt… Le quatuor, c’est un mariage en soi.” Notre père, Emmanuel, était à côté et avait l’air d’acquiescer. C’est l’un des professeurs qui a vraiment cru en nous et c’est une des raisons pour lesquelles on a continué dans cette voie. Il nous a tout de suite soutenus pour qu’on puisse faire nos concerts et tout le reste. »

De fil en aiguille…

La violoniste se rappelle leur premier concert : « Nous avons présenté le premier quatuor à cordes de Haydn que nous avions appris avec lui. Nous avions peut-être aussi joué une œuvre chacun en solo. C’est à ce moment qu’on a commencé à bâtir notre public. Les gens nous connaissaient déjà parce qu’on jouait aux messes de notre paroisse Notre-Dame de l’Eau Vive. Pour l’occasion, on avait lancé comme publicité : “Venez entendre ce que c’est qu’un concert classique. On ne fait pas que jouer de la musique d’église.” Nous voulions leur faire découvrir ce que nous jouions en dehors, nous voulions les rejoindre et leur faire apprécier la musique de chambre. Une voisine, qui a 96 ans aujourd’hui, nous disait qu’elle aimait venir à nos concerts, car nous lui faisions découvrir les instruments et elle continuait ainsi d’apprendre. D’un point de vue d’interprète, c’est intéressant de recevoir ce genre de commentaires du public, qui apprécie aussi ce que l’on fait pour les gens qui ont des problèmes de mobilité et de santé. » Valérie ajoute : « Certains nous suivent depuis les tout débuts et ont exprimé le désir que nous jouions à leurs funérailles. En effet, nous avons souvent ce genre de demande. C’est pour toutes ces raisons que nous continuons à faire des concerts : notre public nous a suivis tout au long de ces années et nous lui devons beaucoup. »

Selon Jean, l’autre violoniste de la fratrie, leur succès s’explique en partie par le fait qu’ils jouent un peu partout et en toutes circonstances : funérailles, mariages, événements spéciaux, séries de concerts Candlelight, principalement à Ottawa, où ils abordent du répertoire pop d’aujourd’hui. « Il y a des personnes qui peuvent venir de très loin parce qu’ils nous ont entendus ailleurs. Nous avons ainsi bâti une réputation solide au sein de la communauté et en dehors de celle-ci. »

C’est justement lors d’un de leurs concerts au cours de leur résidence à l’église Saint-Jean-Baptiste de Montréal (2011-2013) que les Despax ont été approchés par la directrice d’une série de concerts en Italie. Résultat : une première tournée européenne qui a mené à d’autres engagements et multiplié les relations de travail. « Grâce à ce premier contact, notre horizon s’est ouvert en Italie, nous avons découvert des musiciens, d’autres festivals, nous avons fait venir des musiciens ici et inversement, nous avons fait d’autres voyages là-bas. Nous avons aussi joué en France, car c’est le pays natal de notre père et celui de nos grands-parents. »

Enfance 

L’église Notre-Dame-de-la-Guadeloupe, dans laquelle ils présenteront leur concert du 4 juillet, est située à côté de leur maison d’enfance. C’est d’ailleurs en ce lieu et à l’Église Saint-Pierre-Chanel qu’ils ont fait leurs premières armes de musiciens. Une manière pour les Despax de boucler la boucle, comme le confie Cendrine. « Depuis tout petits, nous jouons dans cette église. Nous avons eu beaucoup de chance, car l’acoustique y est exceptionnellement bonne pour un quatuor à cordes. À chaque nouvelle interprétation, on retombe en amour avec ce lieu qui nous est si cher. »

Décédé en 2018, leur père Emmanuel était guitariste de formation, compositeur et chef de chœur. « C’est lui qui dirigeait le chœur de l’Église Saint-Pierre-Chanel, il écrivait des œuvres pour la messe et a aussi écrit des œuvres pour le quatuor. Je lui avais dit que nous aimions jouer avec le Nouveau Quatuor Orford et lui avait un jour demandé s’il pouvait écrire un octuor, ce qu’il a fait », se souvient Cendrine.

Leur mère Gabrielle (Gaby) est une pianiste d’origine haïtienne. Elle ne joue plus aujourd’hui pour des raisons de santé, mais enseigne encore beaucoup le piano comme professeure dans les écoles primaires francophones en Ontario. « Quand on avait 3 ans, elle avait décidé de nous faire commencer l’éveil musical. Elle voulait passer son héritage musical. C’est là que nos parents ont découvert que nous avions un certain potentiel… et notre père a fini par lui donner raison ! » Jean raconte plus en détail comment tous les quatre sont tombés dans la marmite, tout petits : « Nous avons grandi dans une maison où notre père enseignait à l’étage en bas, notre mère enseignait à l’étage en haut. Des gens que nous percevions comme des étrangers rentraient chez nous et déjà, nous entendions do-ré-mi-fa-sol-la-si-do. »

Autres engagements

Photo: Curtis Perry

En plus de leur participation au sein de l’Orchestre symphonique de Gatineau, les Despax sont membres de l’ensemble Obiora, et ce, depuis ses débuts en août 2021. Cofondateur avec Allison Migeon, Brandyn Lewis les avait approchés pour connaître leur sentiment sur la représentation de la diversité dans les quatuors à cordes et les orchestres et a très tôt parlé de son nouvel ensemble basé notamment sur la promotion de la diversité. « Il nous a appelés pour nous annoncer que l’orchestre était désormais constitué et pour nous inclure tous les quatre. On était vraiment heureux de pouvoir faire partie du projet, confie Maxime. On se trouve extrêmement chanceux de toujours être ensemble depuis 20 ans. Les gens ne le comprennent pas toujours, mais on a souvent failli se séparer parce qu’on a des vies différentes, des idées différentes, des priorités différentes parfois. On a dû sacrifier beaucoup de choses pour rester ensemble. Mais on l’a fait, car on n’arrive pas à penser notre vie sans le quatuor même s’il y a beaucoup d’autres opportunités qui s’offrent à chacun de nous. On a comme priorité de faire tout ce qu’on peut pour continuer à faire vivre notre musique, à promouvoir les artistes qu’on aime, que ce soit dans le répertoire classique ou dans d’autres genres, à poursuivre l’œuvre de notre famille. Notre père a été le formateur technique, ancré dans une pratique rigoureuse, tandis que notre mère nous a vraiment transmis l’amour de la musique. Grâce à elle, on a pu aussi partager cet amour. »

Le Quatuor Despax présentera son concert-anniversaire le 4 juillet 2023, à 20 h, à l’église Notre-Dame-de-la-Guadeloupe. Il participera à deux festivals d’été en Ontario, d’abord le 20 juillet au Stratford Summer Music et le 4 août au Festival of the Sound. À noter aussi la 8e édition du festival L’Art de la musique, fondé en 2015 par Cendrine et Valérie Despax, qui se tiendra, comme tous les ans, dans les églises de Gatineau (13 au 16 juillet). Pour plus de détails sur les activités du Quatuor Despax, visitez le www.quatuordespax.com

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A propos de l'auteur

Justin Bernard est détenteur d’un doctorat en musique de l’Université de Montréal. Ses recherches portent sur la vulgarisation musicale, notamment par le biais des nouveaux outils numériques, ainsi que sur la relation entre opéra et cinéma. En tant que membre de l’Observatoire interdisciplinaire de création et de recherche en musique (OICRM), il a réalisé une série de capsules vidéo éducatives pour l’Orchestre symphonique de Montréal. Justin Bernard est également l’auteur de notes de programme pour le compte de la salle Bourgie du Musée des Beaux-Arts de Montréal et du Festival de Lanaudière. Récemment, il a écrit les notices discographiques pour l'album "Paris Memories" du pianiste Alain Lefèvre (Warner Classics, 2023) et collaboré à la révision d'une édition critique sur l’œuvre du compositeur Camille Saint-Saëns (Bärenreiter, 2022). Ses autres contrats de recherche et de rédaction ont été signés avec des institutions de premier plan telles que l'Université de Montréal, l'Opéra de Montréal, le Domaine Forget et Orford Musique. Par ailleurs, il anime une émission d’opéra et une chronique musicale à Radio VM (91,3 FM).

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