Etienne Dupuis et Nicole Car: retour à l’Opéra de Montréal

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La dernière fois qu’on les a vus ensemble à l’Opéra de Montréal, c’était en 2019 dans une production d’Eugène Onéguine de Tchaïkovski. En septembre, Etienne Dupuis et Nicole Car, qui forment un couple à la scène comme à la ville, retrouvent la salle Wilfrid-Pelletier de la Place des Arts, cette fois dans Il Trovatore de Verdi aux côtés de la contralto Marie-Nicole Lemieux et du ténor Luc Robert.

Les rôles verdiens

L’un et l’autre ont des rapports bien différents à l’œuvre. Nicole Car se souvient d’avoir commencé par chanter les deux airs principaux de Leonora dès l’âge de 21 ou 22 ans. « Le rôle est vraiment parfait pour ma voix. Il est écrit un peu plus bas que celui de Violetta dans La Traviata et plus bas encore que celui de Gilda dans Rigoletto. Il y a à la fois des aigus et des sauts d’intervalle que je peux bien exécuter. Quand je reste dans une tessiture d’habitude plus haute, ma voix se fatigue. » Etienne Dupuis ajoute : « Ce qu’elle ne dit pas, c’est qu’elle a beaucoup de facilité avec les coloratures dans le registre moyen et grave, contrairement à beaucoup d’autres sopranos. C’est toujours très précis et fait de très belle manière. » De fait, la partition d’Il Trovatore est truffée de courts motifs énergiques qui requièrent énormément de virtuosité, non seulement lors des solos de Leonora, mais aussi ceux de Manrico et de Ferrando.

Pour Etienne Dupuis, c’est une grande ­première dans un des rôles verdiens les plus emblématiques pour baryton, celui du comte de Luna. Qui plus est, Il Trovatore est le ­premier opéra auquel il a assisté à l’Opéra de Montréal à titre de spectateur. Âgé alors de 19 ans, venant à peine de commencer des études en chant classique, Etienne Dupuis était loin d’imaginer revenir un jour à ce chef-d’œuvre du répertoire lyrique et prendre tout son ­plaisir dans ce rôle. « Le personnage est presque tout le temps en colère et seulement quelques fois en amour, ce qui est très ­amusant à jouer. Comparé à Renato dans le Bal masqué de Verdi, le comte de Luna est plus jeune – immature – dans sa façon de réagir aux événements. »

Du point de vue de l’écriture vocale, toutefois, le rôle est tout sauf une partie de plaisir, confie le baryton. Etienne Dupuis pense notamment à l’air célèbre Il balen del suo sorriso, rare moment d’expression amoureuse, et à la scène qui s’ensuit. « C’est d’une difficulté rarissime. C’est écrit très haut et il faut respirer partout. La reprise à la fin est dans le passagio, très ­difficile à gérer après avoir passé toutes les notes aiguës. Quand on arrive à la cadence, on est généralement fatigué. Il faut alors montrer qu’on a de l’endurance et qu’on a bien géré notre effort. Et même après que l’air est fini, c’est encore à moi de chanter ! »

Questions d’attitude sur scène

Pour Nicole Car aussi, il n’est pas question de s’arrêter, de sortir de son personnage pour recevoir les applaudissements du public. « Nous ne sommes pas nous-mêmes sur scène. Je suis Leonora et je continuerai mon histoire jusqu’au bout avant que je puisse redevenir Nicole. » S’il est préférable, selon Etienne Dupuis, que le public connaisse d’avance les tenants et les aboutissants d’un opéra, le baryton estime aussi que l’interprète a sa part de responsabilité. « Si on ne fait que chanter les belles notes, c’est la mort de l’opéra annoncée. Le visuel n’est qu’une ­partie d’une production, mais il faut que ce visuel soit crédible. Il y a des façons de se comporter sur scène, il y a des gestes à faire et d’autres à ne pas faire. »

En constante évolution

L’art d’interpréter est un apprentissage sans fin, sur le plan non seulement du chant et du jeu d’acteur, mais aussi celui des relations humaines autour d’une production ou d’un spectacle. Selon Nicole Car, il faut accepter de devoir constamment évoluer pour réussir dans le métier et franchir de nouvelles ­barrières. Surtout quand on fait le choix, comme Etienne Dupuis et elle, d’avoir un enfant : « Notre corps change, la voix change. Avec l’expérience, notre façon de jouer sur scène avec les autres change aussi. » Dupuis fait, lui, observer la nature toujours incertaine du métier. « Les contrats sont signés 5 ans d’avance. Entre-temps, la voix peut soit ­évoluer dans le bon sens, soit ne plus ­correspondre au rôle. »

Malgré tous les changements de couleur de voix qui peuvent arriver, le baryton espère pouvoir chanter Figaro du Barbier de Séville jusqu’à la fin de ses jours, un rôle qui lui a porté chance dans sa carrière. Dommage que le rôle de Rosina ne convienne pas à la voix de Nicole Car, de l’aveu même de la chanteuse, sans quoi ils pourraient faire les beaux jours des maisons d’opéra à longueur d’année.

Photo: Tam Photography

Cela dit, avec un couple pareil, plusieurs autres duos sont envisageables. Etienne Dupuis et Nicole Car imaginent par exemple Tosca/Scarpia (Tosca de Puccini), Desdemona/Iago (Otello de Verdi) ou, mieux encore, Arabella/Mandryka (Arabella de R. Strauss) sans oublier le répertoire français, notamment Manon de Massenet et Faust de Gounod. Dupuis jouerait alors tantôt le père, tantôt le frère du personnage féminin incarné par Nicole Car. Mais pour l’heure, dans Il Trovatore, il sera un féroce prétendant pour la conquérir.

Il Trovatore de Verdi. Production de l’Opéra de ­Montréal, les 10, 13, 15 et 18 ­septembre à la salle Wilfrid-Pelletier. Distribution : Nicole Car (Leonora), Luc Robert (Manrico), Marie-Nicole Lemieux (Azucena), Etienne Dupuis (Conte di Luna), Matthew Treviño ­(Ferrando); Michel-Maxime Legault, metteur en scène; Orchestre Métropolitain et Chœur de l’Opéra de ­Montréal; Jacques Lacombe, chef. www.operademontreal.com.

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A propos de l'auteur

Justin Bernard est détenteur d’un doctorat en musique de l’Université de Montréal. Ses recherches portent sur la vulgarisation musicale, notamment par le biais des nouveaux outils numériques, ainsi que sur la relation entre opéra et cinéma. En tant que membre de l’Observatoire interdisciplinaire de création et de recherche en musique (OICRM), il a réalisé une série de capsules vidéo éducatives pour l’Orchestre symphonique de Montréal. Justin Bernard est également l’auteur de notes de programme pour le compte de la salle Bourgie du Musée des Beaux-Arts de Montréal et du Festival de Lanaudière. Récemment, il a écrit les notices discographiques pour l'album "Paris Memories" du pianiste Alain Lefèvre (Warner Classics, 2023) et collaboré à la révision d'une édition critique sur l’œuvre du compositeur Camille Saint-Saëns (Bärenreiter, 2022). Ses autres contrats de recherche et de rédaction ont été signés avec des institutions de premier plan telles que l'Université de Montréal, l'Opéra de Montréal, le Domaine Forget et Orford Musique. Par ailleurs, il anime une émission d’opéra et une chronique musicale à Radio VM (91,3 FM).

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