Devin Daniels: à l’ouest, du nouveau

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Le saxophoniste Devin Daniels

 

« Je dis toujours aux gens que j’essaie d’apporter un peu de cette énergie swing toxique new-yorkaise à L.A. », confie le saxophoniste Devin Daniels dans les notes qui accompagnent son nouvel album, LesGo!

Originaire d’Inglewood en Californie, Daniels semble être revenu dans son patelin avec un peu de cette attitude bravache acquise durant son séjour au fameux Berklee College of Music. Elle transparaît en tout cas dès les premières notes de la pièce-titre de son nouvel album : après une brève cadence échevelée au saxo alto, Daniels mène son quintette dans un thème joyeux et enlevant, qui attire immédiatement l’attention. Lorsque le solo du jeune saxophoniste atteint son paroxysme (il n’est alors accompagné que du batteur, Benjamin Ring), l’auditeur sera certainement convaincu de l’évidence : voici une voix qui devra compter.

Ce ne sera une surprise pour personne : Daniels est un habitué du Pan-Afrikan Peoples Arkestra (PAPA). Depuis sa fondation au début des années 1960 par Horace Tapscott, cet ensemble fortement ancré dans la communauté afro-américaine de Los Angeles est une véritable pépinière pour les musiciens créatifs (sur LesGo!, le saxo alto rend d’ailleurs hommage au groupe avec N**’s N**, pièce qui vacille entre une idée rythmique simple et un thème déclamatoire). Si être membre du PAPA équivaut à une éducation en soi, le jeune saxophoniste (il est encore dans la vingtaine !) a aussi bénéficié d’un solide parcours académique à Berklee, puis en Europe pour un an (à Bâle en Suisse) et enfin au prestigieux Herbie Hancock Institute of Performance à UCLA. Hancock lui-même a recruté l’altiste pour son concert Herbie Hancock Celebrates Wayne Shorter au Hollywood Bowl l’an dernier; Daniels a pu y côtoyer des légendes comme Ron Carter, Jack DeJohnnette et Terence Blanchard ainsi que les stars du saxophone Chris Potter et Kamasi Washington ! « Devin est un incroyable jeune talent qui crée de nouvelles directions pour la musique », aurait déclaré le vétéran pianiste. Hancock n’est pas le seul a avoir été impressionné : le saxophoniste a également participé à divers projets sous la direction de Ralph Peterson Jr. ou de Carlos Niño, en plus de se produire comme artiste de hip-hop sous le nom de Kara. On a aussi pu l’entendre sur le premier album du trompettiste Julien Knowles sur Biophilia Records, As Many, As One, paru le printemps dernier.

Le premier disque de Daniels, Trio Exposition (avec le bassiste Logan Kane et le batteur Christian Euman), paru en 2022, contenait déjà en germe les promesses qui semblent éclore sur son nouvel opus, sur quelques pièces choisies du répertoire (par Miles Davis, Freddie Hubbard, Joe Henderson et Duke Ellington), sur un spiritual, et sur une composition originale mâtinée de hip-hop. Désormais, avec ses camarades du Hancock Institute (Knowles et Ring) en plus du pianiste Chris Finman et du bassiste Jermaine Paul, LesGo!, enregistré en concert, offre sans doute un excellent tour d’horizon de ce que Daniels peut offrir.

Devin Daniels: LesGo! (Sam First Records)

Après six minutes et demie de cette « énergie swing toxique new-yorkaise », la pièce-titre évoquée ci-dessus finit par se dissoudre en une improvisation ouverte; bientôt, Daniels pousse le tempo à nouveau, pour mener le groupe dans une version de l’une des pièces les plus épineuses de John Coltrane, Spiral, que le groupe exécute comme si de rien n’était, en 11/8 en plus et pendant… 14 minutes ! L’alto virevoltant de Daniels se pose soudainement pour un bref interlude avant de revenir au groove initial sans coup férir. Deux autres pièces du répertoire reçoivent un traitement similaire : Scrapple from the Apple de Charlie Parker et Ugly Beauty de Thelonious Monk. Daniels confesse que ses premières impressions du saxophone lui sont venues de son père, un fan de Smooth Jazz. Peut-être que les sonorités suaves de Grover Washington Jr. et David Sanborn ont exercé une influence sur certaines des pièces les plus mélodiques du jeune saxophoniste, comme Reckon ou Enjoy, mais l’auditeur non averti n’en aura de toute façon aucune idée, comme ces mélodies servent de plateformes pour des réinterprétations et des improvisations.

Rencontrer Devin Daniels pour la première fois avec LesGo! est certainement une expérience assez jubilatoire, qui nous laisse avec une seule question : quelle sera la prochaine étape pour le jeune saxophoniste ? Une chose est sûre : nous serons à l’écoute !

Pour écouter un extrait et/ou commander LesGo! en vinyle ou en version numérique (celle-ci contient plusieurs pièces supplémentaires), on visitera le site de Sam First Records. 

L’ARCHIVE DU MOIS

Centennial
King Oliver’s Creole Jazz Band – Archeophone Records ARCH 6014

Pour plusieurs, le nom de Joe « King » Oliver évoque une figure semi-légendaire, dont l’heure de gloire est à tout jamais prisonnière de vieux 78-tours qui datent d’un siècle. Pour l’audiophile contemporain, ces enregistrements vénérables (quelle que soit leur valeur historique – après tout c’étaient les premières faces de Louis Armstrong !) sont désormais inaccessibles; déjà en 1949, Boris Vian confessait : « Je n’ai jamais pu écouter un King Oliver de la bonne période parce que l’enregistrement est dégueulasse. » Avec le coffret Centennial, les bonnes âmes d’Archeophone Records tentent l’impossible : recréer le frisson originel ressenti par ceux qui ont entendu ces disques Gennett, OKeh, Columbia et Paramount pour la première fois lors de leur sortie en 1923. Retournant à la source des 78-tours originaux, une équipe de passionnés les a soigneusement transférés et rematricés; ils n’ont jamais aussi bien sonné ! Alors que les faces d’Oliver sont réparties sur un vinyle double ET un CD double, le coffret offre aussi deux CD en prime : le premier, intitulé Louis’ Record Collection, propose un panorama fascinant des enregistrements des années 1900; le second, intitulé Joe’s Jazz Kingdom, se concentre sur les groupes de jazz et de danse hot des années 1920. Voici une réédition exceptionnelle, à ne pas manquer !

Pour plus d’informations sur Centennial, on consultera le site d’Archeophone Records.

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