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Keiko Devaux était déjà compositrice à l’âge de cinq ans. Insatisfaite du caractère méthodique de ses leçons de piano, elle trouve sa liberté en jouant la première ligne de la partition telle qu’elle est écrite et en inventant le reste. Trente-trois ans plus tard, Devaux est la première lauréate de la Commande Azrieli pour la musique canadienne, d’une valeur de 50 000 $.
Sa préférence dans sa jeunesse pour l’improvisation plutôt que les exercices était prophétique. Animé par le désir de créer plutôt que de se perfectionner, Devaux décroche un baccalauréat et une maîtrise en composition à l’Université de Montréal. Elle prépare actuellement un doctorat à la même école avec Ana Sokolović et Pierre Michaud.
« Montréal était l’endroit où se rendre pour essayer de vivre en tant qu’artiste », dit Devaux à propos de son départ de sa ville natale de Nelson, en Colombie-Britannique, pour étudier à Montréal. Son père étant originaire de France, Devaux a également été attirée par le défi de vivre dans un environnement bilingue où elle pourrait côtoyer la langue française.
Pour Devaux, la composition implique un état de renouvellement constant. « C’est un processus qui donne des résultats incontrôlables, qui célèbre l’erreur, le chaos et l’inconnu, dit-elle. Un travail qui permet une maîtrise totale ne m’attire pas. »
Elle choisit plutôt la composition pour sa perpétuelle « nouveauté et découverte » et l’exigence qu’elle implique d’être « honnête et vulnérable ». Elle espère que ces qualités lui permettront d’établir un lien particulier avec le public.
Devaux cumule de nombreux intérêts en matière de composition. Elle cherche des influences qui l’aideront à développer des méthodologies et des gestes, qu’elle ajoute ensuite à ce qu’elle décrit comme sa boîte à outils de composition. Au début de sa carrière, par exemple, elle s’est mise à transcrire des scènes de film qui comprenaient à la fois de la musique et des dialogues pour expérimenter avec les silences et les pauses.
Elle se passionne ensuite pour les phénomènes naturels, en particulier les comportements émergents, tels que les bancs de poissons, la bioluminescence et les nuées d’étourneaux. Plus qu’une représentation littérale ou mathématique, Devaux vise à représenter à la fois les phénomènes et son expérience et sa perspective en tant qu’intermédiaire. « On perd un peu de sa capacité de composition quand on ne tient pas compte de l’intervention humaine », dit-elle.
Devaux explore les limites et la complexité liées à ce que nous entendons et voyons, autant qu’au phénomène naturel lui-même. Elle réalise des enregistrements, utilise des rendus informatiques et crée des maquettes électroacoustiques de sons, puis les transcrit à l’oreille. Ce processus de manipulation et de traduction lui permet de trouver sa voix et de garder un élément personnel dans son travail.
L’idée de la mémoire est également fascinante. Devaux a récemment cherché à créer des « familiarités par le son » et tente selon sa description « d’évoquer des souvenirs personnels par éclairs et de les traduire de manière à résonner plus largement ». Tout comme pour son travail sur les phénomènes naturels, elle utilise des abstractions plutôt que des représentations littérales.
Ces curiosités permettent à Devaux de superposer des éléments abstraits et distants, de fusionner des formes traditionnelles avec des gestes contemporains et de brouiller les genres, en associant souvent des techniques électroacoustiques à des harmonies romantiques et en juxtaposant des éléments mélodiques et harmoniques contrastés provenant de sources sonores très variées. Elle emploie ces techniques, dit-elle, dans l’espoir de démontrer ce qu’elle appelle « l’inclusion musicale et générationnelle ».
Parmi ses influences, Devaux nomme le compositeur italien Salvatore Sciarrino, qu’elle cite pour son honnêteté, sa profondeur et sa franchise, ainsi que l’expérimentaliste américain Alvin Lucier. Elle mentionne également la compositrice finlandaise Kaija Saariaho, dont l’orchestration et « l’exploration du bruit comme tension » l’ont beaucoup inspirée.
Devaux veut découvrir ce qui donne aux sons leur beauté. Elle analyse ce qui nous attire dans les bruits et réfléchit sur les qualités que nous reconnaissons (ou non) comme étant familières. En bref, en écoutant sa musique, elle espère que le public sera « attiré au point de sentir qu’il a sa place dans la pièce ».
Devaux a remporté la Commande Azrieli pour la musique canadienne avec Arras, une œuvre pour 14 instruments – flûte, hautbois, clarinette/clarinette basse, basson, cor, trompette, trombone, percussion, piano, deux violons, alto, violoncelle et contrebasse. Reconnaît-on cette pièce comme étant canadienne ?
Elle n’est pas tout à fait confortable avec cette notion. « Ce pays est jeune et a une histoire complexe, celle de l’indigénéité, de la colonisation et de l’immigration, dit-elle. Je ne me sentais pas en mesure de définir la musique canadienne dans un sens musical large. »
C’est ainsi qu’Arras raconte son histoire, en partie. Elle y reflète ses souvenirs et ses antécédents en tant que Canadienne d’origine japonaise de troisième génération du côté de sa mère, dont le père a immigré de France au Canada, et qui appartient à une communauté internationale.
À travers la superposition indistincte et subtile de formes et de motifs naturels, d’enregistrements de chansons françaises et de chants folkloriques japonais et nord-américains, de chants bouddhistes et grégoriens et du rythme d’un métier à tisser, elle raconte l’histoire de son enfance dans les collines et les champs de l’Alberta, des sons des disques préférés de ses parents et de son désir de communiquer la familiarité et la mémoire à travers la musique contemporaine. « Quand vous êtes ici, ce que vous vivez est canadien », dit-elle.
La composition a nécessité de longues recherches, comprenant des discussions familiales et des recherches historiographiques, suivies de temps consacré à déterminer quels éléments de son matériel d’origine elle trouvait les plus intéressants. Elle a également nécessité une analyse détaillée des données recueillies, ce qui a impliqué la traduction, l’analyse spectrale, la transcription et l’analyse traditionnelle. Elle a ensuite plongé dans les parties plus conceptuelles de la construction de l’œuvre. Le processus a été difficile pendant le confinement, sans possibilité de partager ses idées ou même de sortir de la maison ou de travailler dans un café.
Devaux a commencé Arras en esquissant la forme et en isolant le « but » de la pièce. Elle a ensuite délimité les sections et leurs rôles en se basant sur l’information qu’elle avait recueillie. Ce processus a conduit à l’exploration de la microforme, de l’instrumentation, des décisions gestuelles et des questions sur la manière de représenter divers éléments thématiques.
Toutes cette information a ensuite été écrite sur une partition graphique et introduite dans l’ordinateur, ce qui permettait une manipulation sonore. Devaux a ensuite écrit toute la partition sur papier et l’a parcourue en prenant note des éléments qu’elle voulait ajouter, ajuster ou modifier.
Elle s’est ensuite mise au piano pour travailler les détails, en développant des mélodies et en chantant certaines sections. Elle décrit cette étape comme étant la plus « traditionnelle » du processus, similaire à la composition de musique de film et de télévision. Finalement, elle a remis le tout dans l’ordinateur et a refait la partition graphique.
Arras cherche à créer un « amalgame d’identités sonores », comme le dit Devaux, pour « synthétiser l’information, trouver des points communs et des différences » et pour établir sa voix comme un ensemble où différents sons, expériences et identités musicales se rencontrent. Elle espère que les auditeurs percevront la familiarité d’Arras. « Je ne veux pas aliéner le public, dit-elle, je veux qu’il s’attache à une partie de l’œuvre, qu’il soit engagé. »
Bien que Devaux veuille capturer une grande variété de sons et d’expériences dans Arras, elle ne veut pas le faire littéralement ou laisser supposer que tous les éléments sont naturellement cohérents. Elle brosse plutôt un portrait plus honnête et plus vulnérable avec des sons modifiés ou reproduits. Son but est de plaire à l’auditeur avec des sons légèrement familiers.
Après sa première au concert de gala des prix musicaux Azrieli le 22 octobre, Arras sera enregistré sous l’étiquette Analekta. Les œuvres de Devaux ont été jouées au Canada, en France, en Allemagne et en Italie. Elle a collaboré avec des ensembles, des chorégraphes et des cinéastes et a reçu de nombreux prix pour son travail. Elle est compositrice associée au Centre de musique canadienne et présidente du conseil d’administration de Codes d’accès.
Devaux se réjouit de travailler avec l’Orchestre du CNA en tant que l’une des deux compositeurs résidents de 2020 à 2022. Elle travaille également sur une œuvre pour flûte et électronique pour le flûtiste d’Ottawa Mark McGregor ainsi qu’une œuvre pour le Festival Ars Musica 2021 à Bruxelles en collaboration avec l’ensemble Sturm und Klang.
Mme Devaux contribue activement au paysage canadien de la composition, de la seule façon dont elle se sent capable de le faire, en disant : « Voilà qui je suis. » Elle ajoute : « J’espère que la prochaine personne écrira qui elle est, et ainsi de suite. Voilà ce qu’est la musique “canadienne”. »
Traduction par Mélissa Brien
Arras de Keiko Devaux sera interprété dans le cadre du concert de gala des prix musicaux Azrieli le 22 octobre. www.azrielifoundation.org
Plus d’information sur Keiko Devaux au www.keikodevaux.com
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