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Par Emma Yee; interview par Wah Keung Chan
Peu de pianistes, aussi talentueux soient-ils, peuvent se vanter d’avoir appris le lied auprès d’Elly Ameling, d’avoir été formés par Nico Castel, célèbre spécialiste de la langue et de la diction, et d’avoir accompagné Maureen Forrester, Gerald Finley, Richard Margison et Catherine Robbin – ou encore, d’avoir reçu le flambeau des fondateurs des célèbres programmes d’interprétation d’opéra et de chant de l’Université McGill. Mais comme le dit Michael McMahon, « j’ai travaillé très dur, non parce qu’il le fallait, mais parce que j’aimais ça ». Le 17 avril 2025, le pianiste et professeur a reçu l’Ordre du Canada.
McMahon a grandi à Montréal dans une famille de musiciens. « Tout le monde jouait du piano, sauf un de mes frères. Nous étions six à en jouer. Ma mère adorait la musique et mon père, la poésie. J’ai donc fini par faire ce que je fais aujourd’hui, un beau mélange de poésie et de musique ! »
À l’âge de 10 ans, après avoir suivi des cours auprès des religieuses, McMahon a commencé à jouer de la musique avec Olga Lukashevitch, une violoniste qui a éveillé son esprit à la collaboration. « Le dimanche après-midi [elle]sortait son violon et me faisait lire à vue des morceaux très difficiles », explique-t-il. Lukashevitch demandait également à McMahon de jouer pour ses amis chanteurs dans son studio lors des concerts de fin d’année. Le talent collaboratif précoce de McMahon l’a amené à étudier avec le pianiste et éducateur hongro-canadien Charles Reiner, à McGill.
Après deux ans passés dans un programme de commerce qui ne lui convenait pas à l’Université Sir George Williams (aujourd’hui Concordia), McMahon a passé six ans à McGill, où il a accompagné, joué pour des chorales et suivi le cours d’interprétation musicale, fondé il y a 50 ans, et qu’il dirige aujourd’hui. Il se souvient d’avoir été très occupé et évoque avec nostalgie son mentor Reiner. « Charles m’a demandé : ‘’Tu veux apprendre à jouer du piano ou tu veux obtenir un diplôme ?’’ J’ai répondu que je voulais jouer du piano. » De là, ses études l’ont conduit en Autriche. En 1978, McMahon a fréquenté le premier Franz-Schubert-Institut, qu’il décrit comme une sorte de « Disneyland du lied ». Les participants travaillent sur des lieder, principalement de Schubert, Brahms, Liszt, Wolf et Mendelssohn, avec une heure de poésie, cinq heures de cours de maître et trois heures de coaching par jour. Ils s’immergent également dans le milieu autrichien, se promenant dans les mêmes bois que Beethoven et Mozart, près de Baden, pratiquant « dans des lieux d’enseignement situés juste en face de l’église pour laquelle l’Ave verum corpus a été composé. » Beethoven a terminé sa Symphonie no 9 dans cette ville , précise-t-il. Les professeurs de McMahon à l’époque comptaient Hans Rothe, Hans Hotter et Kim Borg. Aujourd’hui, les professeurs comprennent les grands noms du lied tels que Robert Holl, Roger Vignoles, Julius Drake et Helmut Deutsch.
La figure de proue de l’institut, qui y enseigne depuis 1978, est la soprano Elly Ameling, fidèle admiratrice de McMahon. En visite au Canada en 1981, elle a déclaré lors d’un cours de maître : « Je ne sais pas si vous saisissez la chance que vous avez d’avoir Michael ici à Montréal. » Depuis 15 ans, McMahon retourne chaque été à l’institut de Vienne en tant que professeur principal de piano.
McMahon a ensuite étudié pendant deux ans avec Erik Werba à la Hochschule für Musik und Darstellende Kunst de Vienne, tout en perfectionnant son allemand. « Je n’aurais jamais pu en accomplir autant sans cette expérience en Europe. » Il recommande aux artistes de s’y rendre : « Tout ce que nous faisons relève généralement de la culture européenne. Vous devez visiter les musées, aller à l’opéra, à l’orchestre symphonique. Nous avons un très bon enseignement au Canada, mais pas les mêmes activités culturelles qu’en Europe. »
Il souhaitait toutefois revenir au Canada pour partager ce qu’il a appris, ajoutant que sa famille et ses amis à Montréal et ailleurs au Canada lui manquaient. Avant de quitter Vienne, cependant, un nouveau chapitre de sa carrière a commencé.
« Je marchais dans la rue à Vienne avec mon amie Lois, diplômée de McGill, qui allait chanter pour mon examen final, raconte McMahon. Nous sortions du McDonald’s, et là, juste sur la ringstrasse, nous avons croisé Edith et Luciano della Pergola – qui avaient fondé l’Opéra McGill. Mon amie les connaissait bien. Elle les a invités à mon examen final à la Hochschüle. Ils sont venus et m’ont dit : ‘’Venez prendre le thé à notre hôtel demain.’’ Ils avaient déjà téléphoné à McGill pour demander s’ils pouvaient m’engager. J’ai donc été embauché le lendemain de l’obtention de mon diplôme. C’est ainsi que j’ai commencé à McGill en 1980. »
Après son séjour en Autriche, McMahon s’est spécialisé dans l’enseignement du répertoire allemand à Montréal, où l’expertise pianistique était jusqu’alors davantage axée sur le répertoire français. McMahon est désormais une figure incontournable de McGill. Il est actuellement codirecteur du département de chant et dirige la résidence McGill-UdeM en piano-art vocal, où six pianistes sont invités à Montréal pendant neuf mois pour se former en tant que pianistes accompagnateurs, répétiteurs et professeurs de chant, en travaillant avec des chanteurs de McGill, de l’Université de Montréal et de l’Atelier lyrique de l’Opéra de Montréal. Au cours de la dernière année, la résidence a accueilli des artistes invités tels que James Vaughan, chef de la section de coaching vocal de La Scala, le pianiste allemand Hartmut Höll, le pianiste anglais Julius Drake, le ténor Ian Bostridge et le baryton français François Le Roux.
McMahon donne également le cours d’interprétation musicale depuis plus de 40 ans. Il décrit le concert du 40e anniversaire comme un moment fort de sa carrière : « J’ai invité quatre anciens élèves du cours d’interprétation musicale qui sont aujourd’hui enseignants : Dominique Labelle, Donna Brown, Anna Maria Popescu et Benjamin Butterfield. Et j’ai invité quatre jeunes artistes qui, il y a dix ans, étaient en début de carrière : Gordon Bintner, Philippe Sly, Rihab Chaieb et Jacqueline Woodley. »
Bien que McMahon soit surtout connu pour enseigner à des pianistes et des chanteurs travaillant sur les plus grandes scènes internationales, il est également un interprète actif et accompli, tant en concert qu’en studio. Ses récitals avec Catherine Robbin, Joseph Kaiser et Karina Gauvin ont été parmi ses collaborations marquantes de sa carrière. Il se souvient d’avoir joué pour la légendaire contralto canadienne Maureen Forrester : « La connexion était totale. » Son album de 2004 consacré aux lieder de Brahms avec la contralto Marie-Nicole Lemieux a été classé parmi les 50 meilleurs albums de Johannes Brahms par Gramophone.
Pour son travail à la radio, McMahon rend hommage à la défunte productrice de la CBC Frances Wainwright, qui lui a demandé en 1981 : « Que puis-je faire pour vous ? Avec qui aimeriez-vous travailler ? » Il se rappelle avoir appris, le lendemain du décès de Frances, qu’il avait reçu l’Ordre du Canada. « C’était très triste. La première personne à laquelle j’ai pensé était ma mère, mais la deuxième était Frances Wainwright. »
Aux chanteurs, McMahon conseille « d’apprendre à chanter et être ouverts aux différences d’interprétations ». Il compare le travail avec différents chanteurs à des peintures représentant un même sujet. « Pour moi, le chanteur est celui qui éclaire le sujet déjà écrit par le compositeur. » Il recommande aux pianistes d’être flexibles, de tenir compte de la puissance de la voix, de l’acoustique de la salle, du piano, et d’être capables de prendre ces décisions sur le moment.
En ce qui concerne les chanteurs, McMahon insiste sur l’importance d’apprendre la langue. Il se souvient avoir vu une actrice réciter et comprendre parfaitement un poème. « On voyait à quel point c’était sincère. Il ne suffit pas de comprendre, mais aussi de ressentir les morceaux et de les arrimer à ses propres émotions. » McMahon souligne qu’il est un éternel apprenti. Par exemple, bien qu’il joue Frauenliebe und Leben de Schumann depuis 1978, chaque fois qu’il l’étudie, il y voit « quelque chose de nouveau, que ce soit une articulation, un accord, une harmonie ou une meilleure compréhension de la façon dont la musique s’accorde avec les paroles ou pourquoi le compositeur a écrit cette signature rythmique ».
Lorsqu’on lui demande quels sont ses compositeurs préférés, McMahon cite Schubert, Brahms et Wolf pour leurs mélodies, mais inclut également Mozart, Puccini et Verdi. Ses œuvres préférées sont la Symphonie n° 2 de Mahler, Winterreise de Schubert, le Requiem de Brahms, la Messe en si mineur de Bach et La bohème de Puccini. Pour ce qui est des morceaux à jouer, Winterreise figure à nouveau parmi ses préférés, aux côtés de La valse pour deux pianos de Ravel, la Partita en do mineur de Bach, Ich bin der Welt abhanden gekommen de Mahler et Erlkönig de Schubert. Si ses pianistes préférés sont Martha Argerich, Murray Perahia et Glenn Gould, McMahon hésite à nommer ses trois chanteurs préférés : « Oh non, je ne peux pas faire ça, dit-il. Je connais mes droits. Je veux vivre. »
McMahon a vu son héritage se transmettre à travers ses étudiants et ses nombreuses distinctions, mais il reste incroyablement modeste face à son succès. « J’ai eu beaucoup de chance de pouvoir exercer ce métier pendant si longtemps, dit-il. C’est incroyable d’avoir la chance de faire de la musique mon métier, c’est une véritable bénédiction. À 16 ans, je n’aurais jamais pensé devenir professeur ou imaginé pouvoir mener une vie de musicien professionnel. Vous n’avez donc pas idée à quel point cette distinction de l’Ordre du Canada compte pour moi. »
Ce printemps, McMahon donnera un récital avec la soprano Aline Kutan et le clarinettiste André Moisan à la salle Bourgie, interprétant des lieder de Schubert, dont Le Pâtre sur le rocher (22 février).
www.residence-pav.com
www.mcgill.ca/music
www.artsongfoundation.ca
www.debutatlantic.ca
Traduction : Andréanne Venne
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