Le mythe de Caïn récrit par Michel Gonneville

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Le dernier Caïn qui a fait date est sans doute celui de l’écrivain et prix Nobel portugais José Saramago. Dans son ultime ouvrage, il fustige à nouveau la religion en mettant en scène un Caïn victime d’un Dieu violent, cruel et corrompu, avec l’humour et le sarcasme qu’on lui connaît. C’est justement la lecture de cet ouvrage qui a inspiré au compositeur Michel Gonneville l’idée d’une proposition opératique, L’hypothèse Caïn, qui sera présentée dès le 19 février dans le cadre du festival Montréal/Nouvelles Musiques.

À cette lecture préalable se sont greffées deux influences majeures, à savoir les écrits de Konrad Lorenz sur l’agression ainsi que l’ouvrage du philosophe Edgar Morin Le paradigme perdu : la nature humaine, développant l’idée d’un être humain à la fois doué de raison et de démence, homo sapiens-demens. Cette présentation sur le site web de Michel Gonneville résume bien la place de l’œuvre dans le cheminement artistique du compositeur : « L’hypothèse Caïn est sans doute le plus ambitieux projet de ma carrière par son ampleur. Mais il constitue aussi pour moi une occasion unique à la fois de proposer une réflexion sur un certain nombre de préoccupations universelles et, simultanément, de continuer d’agrandir encore le champ d’une exploration personnelle du monde de la musique, entreprise il y a plus de quarante ans. » Pour l’heure, l’exploration est également collective, puisque Gonneville s’est entouré de l’écrivain et comédien Alain Fournier pour le livret et la mise en scène, ainsi que du cinéaste Mario Côté pour la scénographie et la vidéographie (auquel s’est jointe plus tard l’artiste Catherine Béliveau). Après deux ans et demi de travail, les différents protagonistes sont parvenus au bout des imbroglios d’Abel et Caïn dans une proposition opératique de 2 heures 15, précédée d’une ouverture instrumentale et terminée par trois épilogues successifs.

Le compositeur Michel Gonneville et le librettiste Alain Fournier

Proposition narrative

Aux deux figures masculines que l’on retient traditionnellement s’adjoignent deux figures féminines, une Ève fanatique et Adah, sœur et femme de Caïn que l’on retrouve notamment dans le Caïn de Lord Byron. À l’opposé, un quatuor d’archéologues guide l’intrigue à travers la recherche d’artefacts anciens qui leur livreront des clés pour comprendre l’histoire véritable — ou imaginée — du premier meurtre de l’histoire de l’humanité… qui s’avère être un accident ! Ces archéologues, qui permettent une certaine distanciation vis-à-vis de l’action, et comparables en cela au chœur de la tragédie antique, seront de plus en plus impliqués émotivement au fil du récit. On trouve enfin le personnage de Dieu, un Dieu imaginé par Caïn, irrationnel et imprévisible, assez proche de celui de Saramago.

Proposition musicale et spatiale

Michel Gonneville a choisi d’associer les personnages à des ensembles d’instruments. Ainsi, les archéologues sont représentés par un trio amplifié (synthétiseur, violon, contrebasse) tandis que les personnages mythologiques sont associés à des vents et percussions (ensembles Quasar et Magnitude 6). Aussi, des sous-ensembles de ces vents sont liés à un seul personnage ou à une composante fondamentale de l’action. « Le percussionniste est un Zeitgeber, précise Michel Gonneville, un donneur de temps. Jusqu’au meurtre, le temps est donné, presque implacablement et souvent sur la grosse caisse. Le personnage d’Adam est lié au saxophone soprano et les confrontations entre Caïn et Abel voient s’opposer cuivres et saxophones. » Conséquence d’un voyage inspirant en Andalousie, l’influence de la musique flamenco joue un rôle clé dans l’opéra. L’aspect fatal de la cadence, associée au mode phrygien, devient un moteur des courbes dramatiques de la musique et structure les grands moments de l’œuvre, tout en suivant les courbes dramatiques du livret. Voilà donc quelques pistes qui permettront sans doute à l’auditeur de comprendre et d’apprécier davantage cette proposition musicale, qui sera accompagnée d’une proposition spatiale intéressante : en effet, musiciens et chanteurs vont évoluer sur et hors de la scène, ajoutant à l’interpénétration des mondes musicaux une interaction des différentes dimensions scéniques.

Claudine Ledoux dans le rôle d’Ève et Thomas Macleay dans le rôle d’Abel
Crédit: Hugo B. Lefort

Propositions pour le futur de la musique contemporaine

La discussion avec Michel Gonneville nous a amenés à aborder différents sujets, notamment la place de la musique contemporaine dans les programmes de concert et les besoins en matière de médiation afin de rejoindre un bassin d’auditeurs plus grand. Les remarques et propositions de Michel mériteraient toute leur place dans cette publication, en voici donc un aperçu : « Les découvertes musicales que nous proposent les grandes institutions sont au compte-gouttes. Il y a un manque d’imagination et d’audace qui est lié à des questions monétaires. D’autres arts et institutions, je pense au Musée des beaux-arts, offrent des sections plus contemporaines avec un véritable effort de médiation pour atteindre le public. En musique, je crois que nos formules sont un peu éculées. On devrait faire plus de répétitions ouvertes et commentées sur les œuvres. On devrait aussi jouer l’œuvre deux fois, comme lors de la création de Gruppen de Stockhausen. À la deuxième audition, la glace est brisée, on a déjà une image du monde sonore et on peut rentrer davantage dans les détails. » Nous n’aurons pas deux, mais trois occasions d’entendre la proposition opératique de Michel Gonneville ce mois-ci, alors n’hésitez plus à briser la glace.

L’hypothèse Caïn sera présentée les 19, 20 et 22 février prochain à l’Agora Hydro-Québec du Cœur des sciences de l’UQAM. Billets à partir de 20 $ sur www.smcq.qc.ca.
www.hypothesecain.michelgonneville.net

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A propos de l'auteur

Benjamin Goron est écrivain, musicologue et critique musical. Titulaire d’un baccalauréat en littérature et d’une maîtrise en musicologie de l’Université Paris-Sorbonne, il a collaboré à plusieurs périodiques et radios en tant que chercheur et critique musical (L’Éducation musicale, Camuz, Radio Ville-Marie, SortiesJazzNights, L'Opéra). Depuis août 2018, il est rédacteur adjoint de La Scena Musicale. Pianiste et trompettiste de formation, il allie musique et littérature dans une double mission de créateur et de passeur de mémoire.

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