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NEW YORK – Il est possible de perdre le sens de la perspective après une soirée consacrée à Bruckner. Le critique en moi invite à la prudence. Meilleure quatrième symphonie en concert que j’ai entendue depuis des mois ! Mon cœur est un peu moins réservé. Le meilleur depuis… eh bien, un bon moment. Certes, le spectacle figure parmi les grands moments de l’histoire de l’Orchestre
Métropolitain qui, le 22 novembre dernier, a entamé la troisième étape de sa tournée dans quatre villes américaines en commençant par ses débuts au Carnegie Hall.
On peut imaginer une nouvelle blague au sujet des moyens à prendre pour s’y rendre : en ayant Yannick Nézet-Séguin comme directeur artistique et chef d’orchestre à vie. Mais un orchestre ne peut s’attendre à ce que YNS signe un contrat à long terme sans la capacité de produire ce genre de Quatrième. Quel genre ? Avant tout, fluide. Il ne s’agissait pas d’une prestation ponctuée de départs et d’arrêts, mais d’un déroulement continu de la rhétorique poétique de Bruckner dont la finalité visionnaire a été atteinte avec une intégrité remarquable.
Lyrique et spontané
Ne vous en faites pas, les apogées possédaient une force brucknérienne et les cuivres soutenaient une cohésion brucknérienne. Non moins brucknériens – et considérablement moins fréquents – furent cependant les passages silencieux dans lesquels les pensées profondes se succédaient. Je pense à la fermeture discrète de l’exposition du premier mouvement et à l’enchevêtrement sombre de cordes et de vents qui s’ensuit. De telles connexions formelles ne ressemblaient guère à des connexions, tant la progression était naturelle.
Yannick a employé tous les moyens à sa disposition, signalant les moindres ajustements de dynamique et de tempo et obtenant des résultats ainsi qu’une sonorité exacts. Les violoncelles et les altos n’attaquaient pas trop agressivement le mouvement lent, ce qui les rendait d’autant plus mélodieux. Dans le Scherzo, les cuivres étaient bien jubilatoires (à un tempo vif) et les pizzicati étaient à la hauteur. Le crescendo qui ouvre la finale a été conçu pour un maximum de clarté et donc d’excitation. Ce mouvement de grande envergure sonnait
inévitablement plus préparé que les autres, mais il y avait beaucoup de beautés individuelles et la coda s’est construite progressivement jusqu’à une conclusion impressionnante. Ce fut une démonstration remarquable de la façon dont un orchestre bien préparé (qui, bien sûr, a enregistré cette symphonie dans le cadre du cycle Bruckner sur ATMA) peut sembler lyrique et spontané.
Compléter une symphonie de Bruckner (sauf dans le cas de la Huitième, qui est assez longue pour se passer d’une « première moitié ») est un problème intéressant. La solution créative et conviviale de cette tournée consiste à faire chanter par la mezzo-soprano Joyce DiDonato (une collègue de YNS avant même l’accession au poste de directeur musical du Metropolitan Opera) deux airs (Parto, parto et Non più di fiori) tirés de La Clemenza di Tito de Mozart.
Tous deux ont été livrés avec une sonorité audacieuse, une force articulatoire et une présence scénique bien rodée. Il était difficile de dire quel personnage – Sesto ou sa chère Vitellia – était le plus difficile. Heureusement, DiDonato a chanté Voi che sapate du Mariage de Figaro en rappel, introduisant un élément de charme qui a clairement ravi la foule. Le chef a apporté sa contribution en martelant le podium avec chaleur. Simon Aldrich a joué (bellement) les parties de clarinette et de cor de basset les plus importantes du devant de la scène, à droite du chef (DiDonato, bien sûr, était sur sa gauche). Une idée intéressante, mais je pense que les obligatos des bois sonnent mieux quand ils proviennent du milieu de l’ensemble.
Épilogue approprié
Les arias suivaient une interprétation morcelée de l’ouverture de Clemenza. Il y eut aussi un rappel après le Bruckner, affectueusement présenté par Nézet-Séguin depuis le podium : les dernières pages modales retentissantes du Poem for orchestra de Violet Archer datant de 1940. Il est difficile pour un orchestre de convaincre les programmateurs internationaux d’accepter une œuvre canadienne. Il faut saluer YNS pour avoir réussi à glisser cette œuvre en douce. C’était à la fois un épilogue approprié et une excellente vitrine pour les cordes de l’OM.
Le public (il ne manquait que 25 places pour faire salle comble, selon l’OM) a été fortifié par quelque 150 amis canadiens de l’orchestre. Bruckner prit fin avec l’intermède obligatoire de silence stupéfait avant que de forts applaudissements éclatent, ponctués de bravos chaleureux. Le public réagissait sans aucun doute non seulement aux sons merveilleux, mais aussi à la présence de Yannick, un chef dont le style expressif sur le podium laisse une impression positive tant aux musiciens qu’aux spectateurs.
Le public réagissait sans aucun doute non seulement aux sons merveilleux, mais aussi à la présence de Yannick, un chef dont le style expressif sur le podium laisse une impression positive tant aux musiciens qu’aux spectateurs.
Finale à Philadelphie
Mes remerciements à Jean Dupré pour sa critique en quatre mots de la finale de la tournée à Philadelphie dans l’après-midi du 24 novembre.
« Nous avons encore réussi », a déclaré le président et chef de la direction de l’OM à l’extérieur du Verizon Hall, qui abrite le Philadelphia Orchestra (directeur musical : Yannick Nézet-Séguin).
En effet, ils ont réussi. Avec Bruckner, nous avons entendu le même calibre de jeu dans un espace acoustique plus vif qui donnait à la partition une impression d’équilibre plutôt que de mélange. La concentration des cordes aux deux extrémités du spectre dynamique, la douceur des bois, l’autorité des cuivres, tout était impressionnant. Il est naturel de faire correspondre le cor principal avec l’appel solitaire à l’ouverture de la symphonie. Louis-Philippe Marsolais nous a rappelé l’éloquence requise de ce musicien dans l’Andante.
Contrairement au public du Carnegie Hall, les Philadelphiens ont applaudi dès que le dernier accord s’est estompé. Le timbalier Julien Bélanger eut droit à une acclamation particulièrement intense.
DiDonato a chanté avec autant d’assurance et de vivacité qu’à New York, mais avec encore plus de pathos. Les obligatos semblaient mieux intégrés dans le paysage sonore, probablement parce que j’étais plus loin de la scène. L’ouverture était plus cohérente. « Nous avons encore réussi » est trop peu dire pour Philadelphie.
Le son
Le concert suivait une répétition au cours de laquelle Nézet-Séguin a non seulement conseillé les musiciens sur les particularités sonores de l’espace, mais leur a aussi présenté – après être monté au sommet du Carnegie Hall – de nouvelles idées et des raffinements. Sa théorie paradoxale est qu’une vérification du son préconcert semble moins pénible si elle est utilisée de façon créative.
« Auparavant, je trouvais cela très, très fatigant en tournée, a déclaré YNS dans une entrevue de groupe avant le concert. Je devais pendant une heure additionnelle “être Yannick” : énergique, efficace, à l’écoute, guidant. Avant, je détestais ça. Je ne voyais que la routine et je me disais : “Ça m’épuise tellement”. »
« Mais il faut réfléchir à la façon d’utiliser ce temps. Vous habituez-vous simplement au son et sentez où vous en êtes sur scène ? Ou l’utilisez-vous pour des idées précises ? Pour corriger et s’améliorer et pour se concentrer sur la nouveauté. »
Et aussi, dans ce cas, pour remercier ouvertement DiDonato pour sa participation et la féliciter d’être « l’un des êtres humains les plus
fabuleux de notre époque ».
Traduction par Mélissa Brien
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