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Ce fut un choc à une époque d’histoires choquantes. Cinquante-cinq membres de la Skagit Valley Chorale à Mount Vernon, dans l’État de Washington, se sont rassemblés à l’église presbytérienne locale le 10 mars pour une répétition. Trois semaines plus tard, quarante-cinq d’entre eux avaient été déclarés positifs à la COVID-19, deux étaient morts.
Et cela, malgré la présence à la porte de désinfectant pour les mains et un moratoire général sur les poignées de main et autres formes de contact physique. Et malgré les témoignages de plusieurs membres selon lesquels personne n’a toussé pendant la répétition de deux heures et demie.
L’histoire de Skagit Valley n’est pas non plus le seul cas documenté de propagation importante du virus au sein d’une chorale. L’Amsterdams Gemengd Koor (chorale mixe d’Amsterdam) a tenu une répétition sans distanciation le 25 février, deux jours avant que le premier cas de COVID-19 soit officiellement signalé aux Pays-Bas. Selon le quotidien néerlandais Trouw, sur les 130 membres de la chorale, 102 sont tombés malades après les répétitions ou à la représentation du 8 mars, au Concertgebouw, de la Passion selon saint Jean de Bach. Un membre âgé de 78 ans est décédé. Trois autres décès ont été recensés.
Le chant choral, comme d’autres activités de la société civile, a-t-il changé pour toujours ? Reviendra-t-il sous sa forme familière à mesure que les nouveaux cas se feront plus rares ? Ce sont des questions pertinentes pour Montréal, où trois représentations de la Symphonie no 10 de Mahler (« Résurrection ») par Kent Nagano et l’Orchestre symphonique de Montréal ont été reportées à la suite de l’interdiction provinciale des rassemblements publics. Les représentations de la Symphonie no 9 de Beethoven par l’OSM (à l’extérieur, au Parc olympique) et par l’Orchestre classique de Montréal (à l’intérieur, à la Maison symphonique) ont été également annulées.
En surface, la pratique chorale semble être un terreau fertile pour la propagation de pathogènes qui transitent dans l’air. Des dizaines de chanteurs se rassemblent dans la proximité. Chacun expulse plus que du son, souvent avec une force considérable. Le choriste de devant peut difficilement ne pas respirer une partie de ce que le choriste de derrière expire.
Lothar Wieler, président de l’Institut Robert Koch, l’agence allemande de lutte contre les maladies, a lancé un avertissement spécifique le mois dernier contre le chant choral pendant l’épidémie : « Les preuves montrent que pendant le chant, les microgouttelettes semblent voler particulièrement loin. »
Wieler est vétérinaire − une profession qui ne nécessite pas une expertise dans les arts vocaux. Des opinions similaires ont toutefois émergé récemment d’une table ronde en ligne organisée par la National Association of Teachers of Singing (NATS), l’American Choral Directors Association (ACDA), Chorus America, la Barbershop Harmony Society et la Performing Arts Medical Association (PAMA).
La Dre Lucinda Halstead, oto-rhino-laryngologiste et passionnée de chorale, spécialisée dans les troubles de la voix et de la déglutition, a conclu qu’aucun effort de distanciation ne peut de façon réaliste créer un environnement parfaitement sûr pour une chorale.
« Comment pourrions-nous distancer de six pieds tous les choristes ?, demande Halstead, faisant référence au Chœur symphonique de Westminster, un grand ensemble collégial acclamé établi au New Jersey. Il faudrait un terrain de football. »
Le dépistage sur place sera utile une fois que des tests fiables seront accessibles, considère-t-elle, mais les supposés tests de diagnostic rapide donnent actuellement trop de faux négatifs. Quant aux masques, ils sont peu pratiques et même dangereux pour les choristes à cause de la rétention de dioxyde de carbone qui résulte de la recirculation du souffle.
« À la fin de ma journée, j’ai un beau mal de tête », a déclaré Halstead, évoquant son propre travail clinique avec un masque N95 bien ajusté.
Les chanteurs, en plus d’expulser davantage de particules que la plupart des gens, les absorbent efficacement, car ils respirent profondément en chantant.
« Mieux formé est le chanteur, plus il emploiera toute sa capacité respiratoire, utilisant tout l’air possible », a déclaré le Dr Donald Milton, professeur de santé environnementale à l’Université du Maryland qui a également pris la parole durant la table ronde.
Milton a déclaré qu’une meilleure ventilation − qui était probablement limitée dans l’église où la Skagit Valley Chorale a répété − peut réduire le « taux d’attaque » des virus à l’intérieur, bien que certains risques demeurent toujours.
Iwan Edwards, ancien chef de chœur de l’Orchestre symphonique de Montréal et directeur artistique fondateur du Chœur Saint-Laurent, soupçonne que la pause-café à l’entracte, généralement marquée par une grande circulation et des conversations en face à face, n’est pas assez prise en compte en tant que vecteur d’infection.
« Durant la répétition elle-même, les gens ont tous leur visage dirigé vers l’avant, explique-t-il depuis son domicile de Lachine. Ils n’interagissent pas de la même manière. »
Il faut également considérer la prévalence dans le monde choral du covoiturage. Selon le Los Angeles Times, quatre membres de la Skagit Valley Chorale qui se sont révélés positifs ont fait du covoiturage pour l’aller-retour de la répétition.
Quelle que soit la dynamique de transport et de répétition, la pratique de la chorale implique souvent un contingent important de participants de plus de soixante ans. Le chant choral s’adresse à tous les âges, y compris les enfants, mais surtout aux personnes âgées et aux retraités.
Les statistiques indiquent que la mortalité due au COVID-19 augmente considérablement avec l’âge. On peut se demander si le chant choral deviendra moins populaire parmi les adultes d’âge moyen et les plus âgés qui forment l’épine dorsale de nombreux chœurs amateurs.
« Il y a une nette différence entre une chorale d’université et une chorale d’église ou une chorale symphonique, où il y a une prépondérance, malgré la diversité d’âges, de membres plus âgés », affirme Halstead.
Certains ensembles ont tenté de surmonter le risque d’interaction en direct en bricolant des représentations sur Internet, généralement en enregistrant des parties indépendamment avec des pistes rythmiques et en s’appuyant sur le chef d’orchestre comme soutien moral. Le chœur du Metropolitan Opera semblait bien coordonné dans Va, pensiero de Verdi lors du gala Met At-Home le 25 avril.
Jean-Sébastien Vallée, directeur des études chorales à l’École de musique Schulich de McGill et directeur du chœur de l’église St. Andrew and St. Paul, a organisé une interprétation captivante sur YouTube de l’Hallelujah de Haendel avec cet ensemble et prévoit une autre prestation en ligne d’un motet de Bach.
Néanmoins, il ne croit pas que de tels projets soient un modèle pour l’avenir, à la fois en raison du temps requis pour assembler les flux audio et vidéo et en raison de la « rigidité » du résultat musical.
« Il faut environ trois semaines pour que tout le monde soit enregistré et environ cinquante heures pour assembler le tout en un morceau de cinq ou six minutes, déclare-t-il. C’est loin de la musique chorale en direct à laquelle on est habitués. L’expérience de musique ou d’ensemble en direct n’est pas présente dans ce type de format. »
Même là où la prestation en ligne s’avère réalisable, elle impose des exigences extraordinaires aux personnes qui ne sont pas habituées au chant solo. Les choristes ont des forces différentes. Certains apprennent à l’oreille des meilleurs chanteurs qui les entourent. Les chefs de chœur organisent les chœurs de manière stratégique dans cet esprit.
Une autre perte inévitable est la camaraderie qui fait partie de l’attrait d’appartenir à une chorale.
« Ils ont besoin de cette interaction sociale autant qu’ils ont besoin du chant lui-même, conclut Edwards. C’est probablement ce qui est le plus dévastateur. Les gens sont coupés les uns des autres. »
Malgré ces obstacles, le chœur, sous une forme ou une autre, survivra probablement. Un régime de précaution était déjà en place avant l’émergence de la COVID-19. Un rhume ou une grippe était une raison de ne pas assister à une répétition.
Vallée prévoit un redémarrage éventuel avec de petites chorales professionnelles dont les membres sont « prêts à assumer un certain niveau de risque » en raison de leur santé, de leur âge et de leur confiance dans la santé de leurs collègues.
Même la Skagit Valley Chorale, malgré tous ses ennuis, reste en activité. « Nous espérons pouvoir nous réunir à nouveau en chanson cet automne, en prévision de nos concerts Heralding Christmas en décembre », peut-on lire sur le site Internet.
Halstead prescrit la patience. « Les chœurs, les orchestres et le public reviendront un jour… parce que nos fantastiques chercheurs y ont consacré tant d’efforts. La recherche et la technologie qu’il y a derrière cela et les réalisations qu’ils ont faites en peu de temps sont remarquables. »
Traduction par Andréanne Venne
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