This page is also available in / Cette page est également disponible en: English (Anglais)
Le 23 juillet dernier, le Domaine Forget a servi de cadre à la première du Winterreise de Schubert version klezmer avec le baryton canadien Philippe Sly et le Chimera Project.
Ironiquement, il se dégageait un sentiment général de froideur, de solitude et d’austérité. C’était une performance que nous pouvions clairement associer au modernisme d’après-guerre et non au romantisme que représente Schubert. Ce qui n’est pas sans rappeler les critiques essuyées par Schubert lors de la création de Winterreise devant ses contemporains : trop sombre et dénué d’espoir, le travail d’un compositeur désespéré et probablement au bord du suicide.
Le Chimera Project a certainement compris comment exprimer le désespoir et la solitude de la musique. Attention toutefois : il ne faut pas s’attendre au Winterreise de Schubert, mais à une pièce à part entière, une nouvelle œuvre inspirée de l’original. De plus, en dépit de l’utilisation d’instruments klezmer (clarinette, trombone, accordéon et violon), la musique évoque rarement ce style de musique. Ne vous attendez pas à danser ou à taper des pieds.
Cette première offrait de nombreuses innovations. Elle était mise en scène et jouée. Le metteur en scène Roy Rallo a réussi à créer une interaction fluide entre les musiciens et le personnage principal, joué par Philippe Sly. Rallo a réussi à créer du mouvement dans une pièce qui est traditionnellement présentée de manière très statique. Les musiciens et le chanteur étaient toujours en action, symbolisant le voyage du personnage en hiver. Ce mouvement incessant laissait penser que la musique elle-même voyageait. Parfois, on entendait la clarinette du côté gauche de la scène puis du côté droit dans la mesure suivante, mais également des bruits caractéristiques de la nature en hiver.
L’éclairage a joué un rôle important dans l’ambiance du spectacle en mettant l’accent sur l’utilisation du clair-obscur. Il est également essentiel de savoir que c’est les interprètes qui contrôlaient cet éclairage, censé changer d’une représentation à l’autre. Cet effet a atteint son paroxysme avec “Das Wirtshaus” (L’auberge) dans la version originale pour piano et voix. C’était comme une bouffée d’air frais. Comme si le personnage avait tiré un bilan positif de sa vie.
Cette idée de bilan positif s’est confirmée lorsque l’ensemble a joué “Gute Nacht” (Bonne nuit) pour la deuxième fois et que Philippe Sly s’est alors accompagné à la vielle. Dans la partition originale, le lied apparait une seule fois au début du cycle : l’ensemble l’a joué au début, mais en coulisses, sans chanter. En répétant “Gute Nacht” pour terminer le spectacle, le Chimera Project a dévoilé un nouveau sens aux paroles, les rendant réconfortantes. C’est presque comme si les musiciens disaient poliment au public : “Bonne nuit et beaux rêves” – un public qui a fait l’expérience vivifiante d’un voyage d’hiver froid pendant une chaude nuit d’été.
Traduit par Benjamin Goron
This page is also available in / Cette page est également disponible en: English (Anglais)