Après quarante-deux saisons couronnées de succès, de prix, de nominations et de tournées internationales, l’orchestre à cordes I Musici de Montréal perd plus de la moitié de son financement lors des coupes budgétaires au Conseil des arts et des lettres du Québec (CALQ) en 2024. Coup dur pour un ensemble reconnu comme un fer de lance parmi les orchestres de chambre canadiens.
Fondé par l’éminent violoncelliste et chef montréalais d’origine russe, Yuli Turovsky, l’ensemble s’est bâti une réputation d’excellence depuis 1983. Récompensé par le Conseil canadien de la musique, le magazine Diapason, le Penguin Guide to Compact Discs and Cassettes, les prix Félix, Juno et Opus du Conseil québécois de la musique (CQM), I Musici a été le premier orchestre canadien à se produire en Chine et au Vietnam en 1994.
Cependant, la structure administrative de l’orchestre a frôlé l’effondrement lors de l’annonce du non-renouvellement de leur financement annuel de la part du CALQ en août 2024. « Il y a eu beaucoup de mouvements au sein de l’organisme, explique l’altiste Thierry Lavoie-Ladouceur. La direction générale a quitté et la grande majorité du conseil d’administration a décidé de ne pas renouveler son mandat ».
Afin de pallier ce manque de subvention dans l’immédiat, la stratégie de l’ancien CA d’I Musici avait été de couper cinq des neuf concerts prévus pour la saison 2024-2025, explique Lavoie-Ladouceur. L’orchestre a dû faire des choix déchirants pour retenir certains concerts au profit d’autres dans le cadre d’une saison déjà lancée, dit Julie Triquet, violon solo de l’orchestre. Ces décisions ont été prises en consultation avec les musiciens et Jean-François Rivest, chef de l’orchestre depuis 2023. « On était dans une situation où la survie de l’organisme était en péril. On a trouvé des solutions-chocs pour passer à travers cette crise-là et pour nous donner le temps de se repositionner et d’être stratégique », ajoute-t-il.
La coupure a également affecté la convention collective des musiciens. Constituant une entente entre le CA d’un orchestre et la Guilde des musiciens et des musiciennes, celle-ci assure certaines conditions de travail aux musiciens permanents, soit un nombre de répétitions et de concerts composant un « service obligatoire » se traduisant en un revenu annuel cible que l’organisme s’engage à offrir à ses membres. « Le service obligatoire a été suspendu par le CA sortant. On parle souvent de précarité du milieu ; cette année, on l’a vécu pour vrai, ajoute-t-il. Cette crise a mis en lumière la dépendance qu’on avait aux subventions gouvernementales. Les revenus autonomes doivent faire l’objet d’une réflexion profonde sur comment on bâtit notre modèle de financement de concert pour s’assurer de ne pas se retrouver dans une situation comme celle-là », conclut l’altiste.
Actuellement en proie à une restructuration majeure de sa structure administrative, de sa gouvernance et de ses stratégies de financement, l’orchestre renaît d’une saison qui aurait achevé plus d’un ensemble moins résilient. Désormais, les musiciens reprennent eux-mêmes les reines de leur ensemble, s’évitant de chavirer sous l’énorme pression subie l’an dernier.
« Il y a eu un mouvement d’implication des musiciens par rapport à la planification stratégique de l’orchestre. On a saisi l’occasion de certaines ouvertures de postes pour investir le conseil d’administration » explique Lavoie-Ladouceur. Sur les six membres du CA, trois sont des musiciens de l’orchestre, dont Julie Triquet (violon solo et présidente), Amélie Benoît-Bastien (violoniste et vice-présidente) et Elvira Misbakhova (altiste et administratrice). S’y ajoutent trois membres administrateurs (non-musiciens) : Robert Dutton, Luc Chaput et François Colbert. Altiste au sein d’I Musici depuis près de quarante ans, Suzanne Carreau assume désormais la direction générale de l’ensemble, après de nombreuses années en tête du personnel et des opérations artistiques.

Photo gracieuseté d’I Musici
« C’est très intéressant de voir ce qui se passe en arrière-scène, c’est beaucoup de responsabilité, dit Julie Triquet. Une fois qu’on a présenté l’option de prendre le contrôle de la direction artistique et d’y implanter nos idées, on s’est dit, pourquoi ne pas tenter l’expérience ? », renchérit Lavoie-Ladouceur. La coupure du poste de directeur artistique après l’annonce du CALQ aura permis à l’orchestre de s’affirmer dans ce rôle, mais aussi de « faire certaines économies qui ne sont pas négligeables dans notre redressement de l’organisme » explique-t-il.
Pour un orchestre formé d’une quinzaine de musiciens, ce type d’autogestion est envisageable, explique Triquet. « Ça fait presque 30 ans que je suis avec I Musici et je vois des changements dans l’implication des musiciens. On remarque une appartenance à l’orchestre – c’est très positif », ajoute-t-elle. Cette appartenance se transmet également à travers le jeu de l’orchestre. « Si on donne une responsabilité à quelqu’un, il y a un effet valorisant. C’est notre produit et on veut en être fiers. Il est fascinant de voir la différence que ça fait », conclut-elle.
Malgré le revers subi au courant de la saison actuelle, l’horizon s’annonce plutôt optimiste. Au moment où la pérennité de l’organisme a été mise en péril, des liens ont été réitérés et renforcés avec des donateurs qui gravitent autour de l’organisme depuis longtemps, explique l’altiste. Les membres du CA actuel ont présenté leur projet de saison 2025-2026 et leur restructuration lors d’une rencontre prometteuse avec les représentants du CALQ dernièrement.
« On se sent tous comme les entrepreneurs d’I Musici, en train de faire rouler notre entreprise. Ça revigore le sentiment d’engagement de tout le monde » soutient Lavoie-Ladouceur. « C’est quelque chose qui est nouveau pour nous tous dans l’orchestre, puis qu’on apprend à apprivoiser avec le temps. On est vraiment réunis plus que jamais » conclut Triquet.
L’orchestre fera son lancement de sa saison 2025-2026 dans les prochaines semaines.