Le jeune Verdi et la musique ladino : une connexion possible

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Né à Roncole, en Italie, le 9 ou 10 octobre 1813, Verdi a été baptisé en français Joseph François Fortunin. En effet, cette partie de l’Italie était alors sous domination française. Il était le fils de Carlo et Luigia Verdi.

Les parents de Verdi possédaient une taverne près de Busetto dans la région de Parme, dans le nord de l’Italie. Ses parents étaient des catholiques éduqués de classe moyenne. Son père a même acheté une épinette pour son jeune fils, ce qui indique à la fois qu’ils étaient aisés et qu’ils ont soutenu le talent de Verdi dès son plus jeune âge.

Enfant, Verdi a reçu son éducation musicale de l’organiste de son église à Roncole. Jusqu’à l’âge de 12 ans, il étudiait au gymnase de Busetto et devait, en raison de l’éloignement, loger dans la famille d’un cordonnier.

Dans l’Italie de l’époque, cette profession était souvent l’apanage des Juifs. Cette famille était-elle juive ? L’oreille musicale de Verdi a-t-elle été influencée par les modes des prières juives entendues à la synagogue, ou par les chansons ladinos autour de lui ?

En ce qui concerne la foi de Verdi, elle a été colorée par un fait intéressant de son enfance. Enfant de chœur à Roncole, il fit preuve d’inattention un jour à la messe, irritant un prêtre qui le bouscula sur les marches de l’autel. Giuseppe répondu en maudissant le prêtre : « Que Dieu vous frappe avec un éclair. »

Comme en réponse à la malédiction du garçon, le prêtre est mort en septembre 1828 lorsque la foudre frappa l’église voisine de La Madonna de’ Prati. Verdi, dont les parents préparaient alors un dîner pour le clergé, se souvint de l’autel brisé et des corps calcinés de quatre prêtres, de deux laïcs et de deux chiens. Il a souvent raconté à ses amis et à ses proches cette vision d’horreur. À la campagne, où la superstition se mêlait à la foi catholique, la malédiction de Verdi devint partie intégrante de la tradition locale.

À Busetto, Verdi a étudié l’orgue avec le professeur de musique du village, un certain Monsieur Provesi. Puis il est allé vivre avec la famille d’Antonio Barezzi, un citoyen éminent qui allait devenir son beau-père. Refusé à l’entrée au conservatoire de Milan, Verdi a commencé en 1832 des cours de musique privés avec Vincenzo Lavigna, payés en grande partie par Barezzi. Il était considéré comme un pensionnaire « rustre ».

C’est aussi du fait de son refus au conservatoire que Verdi fut largement autodidacte, allant souvent à l’opéra et au théâtre et lisant les œuvres de Shakespeare et Manzoni, le grand romancier italien.

En 1836, Verdi est retourné à Busetto pour remplacer son ancien professeur décédé au poste d’organiste. Cependant, une querelle politique éclata en ville à propos de l’obtention du poste et, dégoûté, il repartit pour Milan.

Voilà un aperçu de la vie du jeune Verdi. A-t-il été exposé à la musique ladino ? Je soutiens que cela est plausible, compte tenu des six kilomètres de marche qui le séparaient de l’école et de son séjour dans la famille d’un cordonnier.

Qu’est-ce que le ladino ?

Le ladino est une langue inventée par les Juifs vivant en territoire espagnol. C’est un mélange d’espagnol et d’hébreu, également connu sous le nom de judea español. La chanson ladino est un répertoire de chansons folkloriques juives provenant des Juifs séfarades ou espagnols.

Jusqu’à l’arrivée de l’Inquisition espagnole, le ladino était parlé par une communauté respectée, éduquée et florissante. Lorsque les Juifs ont été expulsés d’Espagne, beaucoup ont fui en Tunisie, en Algérie et au Maroc. Le ladino continua de prospérer, incorporant de nombreux mots arabes. Cependant, lors du retour de ces Juifs en Israël au cours du siècle dernier, la langue a décliné au profit de l’hébreu. Elle vit aujourd’hui une petite renaissance.

La musique ladino évolua comme une adaptation naturelle aux besoins et aux coutumes de la communauté. Elle intègre des éléments de prière et reste en général dans les limites des modes juifs, notamment les modes Ahava rabba ou Seliha.

Ma conviction est que la ressemblance entre « Addio del passato » dans La Traviata, et « Adio querida », une chanson ladino dont l’origine est inconnue, n’est pas une coïncidence. La mélodie obsédante longtemps associée à Verdi peut maintenant être considérée comme liée à cette ancienne tradition mélodique associée aux Juifs d’Espagne et d’Italie.

La comparaison

Le livret de La Traviata est l’œuvre de Francesco Maria Piave, basé sur le roman La Dame aux camélias d’Alexandre Dumas fils paru en 1848. La Traviata signifie littéralement « la femme déchue. » Verdi et Piave ont tous deux insisté sur le droit de situer l’action à leur époque, c’est-à-dire dans les années 1850. Quant à « Addio del passato » ou « Tu madre cuando te pario », il est impossible de les dater exactement, mais elles ont probablement été écrites entre 1200 et 1500.

La mélodie de « Adio querida » suit une forme simple AABB. Les mots montrent qu’il s’agit de la chanson d’un amant amer. Dans La Traviata, cette aria arrive au pire moment pour Violetta, car même si elle entrevoit le retour d’Alfredo, elle est en train de mourir. La forme de l’aria « Addio del passato » est également AABB. Dans la section A de l’aria, Verdi utilise exactement la même mélodie que la section B de « Tu madre ».

La comparaison mélodique est frappante. Il est impossible que Verdi ait seulement entendu la mélodie de cette célèbre chanson ladino puis l’ait incorporée dans cette aria. Les éléments communs sont trop clairs. La question la plus intéressante est la suivante : où et comment Verdi a-t-il entendu cette chanson ?

Traduction Benjamin Goron

Cet article est un extrait de The Mysterious Motives of Giuseppe Verdi, thèse de doctorat de Sharon Azrieli (Université de Montréal, 2011).La Dre Azrieli est une soprano canadienne de renommée internationale et elle a joué des rôles de premier plan dans les plus grands opéras du monde.

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