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Pour ce numéro de La Scena Musicale, j’ai choisi quatre sopranos de notre temps, actives sur la scène nationale et internationale : Adrianne Pieczonka, Isabel Bayrakdarian, Karina Gauvin et Suzie LeBlanc. Mis à part leur talent, je les ai choisies pour illustrer les voix, les genres et les styles divers qui existent parmi nos artistes.
Adrianne Pieczonka est née aux États-Unis et s’est installée avec sa famille à 2 ans à Burlington en Ontario. Dans le cadre d’une carrière internationale qui l’a menée sur toutes les grandes scènes, elle s’est établie en Europe dans les années 1980 et elle est revenue au Canada, à Toronto, en 2005. La voix d’Adrianne Pieczonka est une grande voix d’opéra, à mi-chemin entre le soprano lyrique et le soprano dramatique, une voix riche, égale et juste dans tout le registre. Son répertoire est centré sur les grands auteurs d’opéras du 19e et du début du 20e siècle, de Verdi à Puccini, de Wagner à Strauss. Son Mozart, bien que moins connu, est marqué de la puissance que donne la capacité de soprano dramatique à la ligne vocale mozartienne. Elle est connue internationalement comme une remarquable Tosca, Sieglinde et Chrysothémis, ce qui illustre bien l’alliage du lyrique et du dramatique. La caractéristique de l’interprétation vocale et dramatique de Pieczonka, c’est la longue ligne vocale et la noblesse générale du maintien et de la présence scénique. Elle n’accentue pas chaque moment de la ligne ni chaque geste scénique, c’est l’ensemble qui l’intéresse, l’impression générale. Écoutez sur You Tube sa Sieglinde du premier acte de La Walkyrie de Wagner, dirigée par Christian Thielemann à Bayreuth en 2007. Elle « chante » le rôle, ne crie pas, le vibrato est sous contrôle, c’est la ligne vocale qui ressort et qui porte le drame.
Avec Isabel Bayrakdarian, on entre dans un univers différent, par la voix, qui est un soprano lyrique léger avec une capacité de colorature, et par la fusion des styles, que tant de jeunes chanteurs et artistes cultivent aujourd’hui. Isabel est d’origine arménienne, née au Liban en 1974, établie au Canada quand elle était adolescente. Son répertoire premier (si on excepte sa vocation scientifique, car elle est aussi bachelière en génie biomédical) était l’opéra mozartien, rossinien. Bien vite, elle a voulu combiner cette carrière avec l’interprétation de musique de film et de folklore arménien. En plus, elle poursuit aujourd’hui une carrière de professeure de voix à l’Université de Californie à Santa Barbara. La voix est essentiellement jeune, égale dans le registre, d’une grande justesse et d’un timbre riche, particulièrement dans le médium. L’aigu est aisé, lancé sans effort. Mais ce qui frappe chez Bayrakdarian, c’est l’aspect scénique, même en récital. On n’a pas affaire à une chanteuse d’opéra qui « chante » pour nous, on a affaire à un personnage. Le geste est premier chez Bayrakdarian, la situation dramatique est première. Son Una voce poco fa du Barbier de Séville nous fait oublier les vocalises, les pyrotechnies : elles sont là, mais maîtrisées et instruments de l’expression de la situation.
Les répertoires de Karina Gauvin et de Suzie LeBlanc se croisent et se détachent à la fois. Les deux se retrouvent sur le territoire baroque, notamment Haendel, mais LeBlanc y vient par le biais de la musique plus ancienne, du 16e et 17e siècle et avant, et des folklores anciens, alors que Gauvin y est venue directement, dans le cadre du développement de l’interprétation de la musique du 18e par les formations d’instruments d’époque. Karina Gauvin, née à Repentigny en 1967, joue un rôle de premier plan au Québec, au Canada et dans plusieurs pays dans les interprétations de musique baroque par ce type d’ensemble. Qu’on pense notamment aux Violons du Roy, avec lesquels elle a établi une étroite collaboration. Elle apporte à ce répertoire une opulence de voix, surtout un médium de mezzo, qui rappelle les grandes voix féminines du passé qui ont abordé ce répertoire, mais elle y ajoute la technique des vocalises extrêmes et des passages coloratures qui font partie intégrante de la technique et de la signification même de la musique. Dans son interprétation d’Armatae face et anguibus de Juditha Triumphans de Vivaldi, Gauvin réussit l’exploit d’interpréter avec précision les vocalises en saccades extrêmes qui expriment la furie totale du personnage tout en maintenant une voix chaude et riche et surtout juste pendant tout l’air. Karina est aussi une excellente interprète de compositeurs du 20e siècle comme Debussy, Satie et Dutilleux.
Avec Suzie LeBlanc, née en 1961 à Edmundston au Nouveau-Brunswick, bien qu’une partie du répertoire se recoupe avec celui de Karina Gauvin, c’est un monde différent que nous rencontrons. C’est le monde des voix pures et cristallines qui vient de l’interprétation renouvelée de la musique du Moyen-Âge et de la Renaissance qu’on a connue ces dernières décennies. C’est d’abord l’univers de la chanson qui vient des siècles qui ont précédé la musique baroque, auquel des artistes comme LeBlanc trouvent une affinité avec les chansons folkloriques traditionnelles, et le même style de simplicité s’applique aux deux. Elle est aussi connue pour son interprétation de la musique ancienne que pour celle du folklore acadien. Sa voix affiche un vibrato très discret. Elle est marquée par la pureté et l’élégance de la ligne vocale, une voix légère, elle aussi très égale dans le registre. Son expressivité est justement dans cette pureté de ligne et dans cette simplicité.
Cela s’applique à son interprétation de la musique ancienne et du folklore et aussi de Monteverdi et Haendel. Suzie LeBlanc est elle aussi liée à la floraison des formations à instruments d’époque ici et dans de nombreux pays où elle se produit régulièrement. Elle est une ambassadrice de cette musique et du folklore acadien et donne des ateliers sur ces styles musicaux. Suzie participe aussi de ce désir des interprètes d’aujourd’hui d’aborder d’autres styles, des musiques d’autres périodes, et à ce titre elle s’est fait connaître comme une interprète d’œuvres contemporaines. Elle a récemment été de la création de Shadows VII, du compositeur canadien Robert Aitken.
Ces quatre sopranos canadiennes illustrent abondamment la diversité de talents et de genres qui existent parmi nos artistes.
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