Erlkönig de Franz Schubert : les enregistrements marquants du Roi des Aulnes

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L’année 2021 est le 200e anniversaire de la première interprétation en public du Roi des Aulnes (Erlkönig) de Franz Schubert, mélodie pour voix et piano sur un poème de Johann Wolfgang von Goethe, universellement considéré comme un des plus grands exemples du lied allemand du 19e siècle. Schubert l’a composé en 1815 à l’âge de 18 ans, un an après avoir composé Marguerite au rouet (Gretchen am Spinnrade), aussi sur un poème de Goethe, tiré de la première partie de son Faust. Le dramatisme d’Erlkönig est saisissant et exige beaucoup des interprètes. La partie vocale met en scène tour à tour le narrateur, l’enfant, le père de l’enfant et le Roi des Aulnes lui-même, une créature maléfique qui entraîne les voyageurs vers la mort, dans ce cas-ci l’enfant chevauchant avec son père dans une sombre forêt et mourant dans ses bras. Le drame saisissant et évocateur imprègne aussi la partie de piano, par un jeu de main droite aux accords saccadés et répétés qui évoquent le galop désespéré du cheval fuyant la mort, pendant que les figures de la main gauche évoquent la forêt mystérieuse agitée par une nuit d’orage.

Les plus grands artistes, hommes et femmes, ont enregistré l’Erlkönig. Le problème posé à l’interprète est celui de l’équilibre entre la différenciation dramatique, les personnages et le narrateur devant avoir leur caractérisation propre, et la ligne lyrique de l’ensemble.

L’interprète le plus célèbre de l’œuvre est Dietrich Fischer-Dieskau, qui l’a enregistrée à plusieurs reprises et qui est aussi l’interprète le plus célèbre des mélodies de Schubert. Son interprétation est d’un dramatisme extrême. Dans les parties où il représente l’enfant, il adopte une voix d’enfant, qui devient de plus en plus désespérée lorsqu’il supplie son père de le sauver de la mort, alors qu’il adopte un ton faussement suave dans les appels à l’enfant du Roi des Aulnes pour l’entraîner à sa perte. L’effet est saisissant, le style est parfois proche du style parlé, mais la beauté du timbre demeure et l’auditeur est satisfait du point de vue dramatique et lyrique. Je recommande en particulier l’enregistrement de 1958, avec Gerald Moore au piano, qui est un modèle de clarté et d’intensité.

On comparera avec intérêt l’interprétation de Fischer-Dieskau avec celle de Thomas Quasthoff qui est d’une beauté vocale exceptionnelle. La dynamique, l’écart de volume entre le son le plus doux et le son le plus fort, est moins marquée que chez Fischer-Dieskau, la différenciation entre les voix est moins prononcée, mais le dramatisme est là, comme une impression d’ensemble. L’accompagnement de Charles Spencer va dans le même sens que la prestation vocale.

Remarquable aussi est l’enregistrement de Matthias Goerne, avec Andreas Haefliger au piano. Ici le dramatisme est saisissant, reposant surtout sur la voix riche, sombre et profonde de Goerne et l’extrême vigueur du jeu de Haefliger. La différenciation dramatique entre la voix des personnages et du narrateur n’est pas très accentuée. C’est le ton sombre et tragique de l’ensemble qui nous frappe, grâce à cette voix qui a de grandes réserves de puissance et à laquelle Goerne donne libre cours à mesure qu’on avance vers la fin tragique.

De nombreuses et grandes chanteuses ont enregistré Erlkönig. Qu’on pense à Christa Ludwig, qui demeure un modèle de dignité et de lyrisme, au legato magnifique, avec un timbre également très riche. Elle ne cherche pas à produire une grande différenciation vocale des personnages et de l’orateur. C’est la ligne de l’ensemble qui est privilégiée, comme dans tout ce que Ludwig faisait. C’est le ton de la voix et le phrasé qui évoque le tragique. Elle est très bien accompagnée par Geoffrey Parsons, lui-même un modèle de clarté et d’élégance.

L’impression est différente lorsqu’on écoute Elisabeth Schwarzkopf, elle aussi accompagnée par Geoffrey Parsons. Ici, comme dans toute interprétation de Schwarzkopf, c’est la théâtralité qui domine. La voix est magnifique, le timbre demeure somptueux et riche en tout temps, mais elle n’hésite pas à modifier sa voix pour les besoins de la tragédie. Elle adopte clairement une voix d’enfant lorsque le fils supplie son père de le protéger, et ses accents deviennent extrêmement dramatiques vers la fin. Elle change son timbre également pour évoquer la fausse suavité de la voix du Roi des Aulnes appelant l’enfant à le rejoindre dans ce qui sera sa fin. C’est fait avec beaucoup d’art, jamais au détriment de la ligne vocale, mais ce sera matière de goût pour l’auditeur s’il préfère ce type d’interprétation ou une interprétation plus classique comme celle de Christa Ludwig.

L’interprétation d’Elisabeth Söderström, avec Paul Badura-Skoda au pianoforte, est également très saisissante. C’est l’enregistrement que je connais qui comprend la plus grande différenciation dramatique en ce qui concerne la voix des personnages et du narrateur. Quand elle représente l’enfant suppliant son père, on a l’impression que c’est un enfant qui chante tant le timbre et la diction sont transformés. La voix de Söderström est magnifique, sa sensibilité au texte est grande, elle montre une grande musicalité. Elle a fait le choix esthétique de mettre en valeur la caractérisation propre à chaque voix et elle le fait très bien. Aussi, il est très intéressant que la partie de piano soit assumée par Badura-Skoda au pianoforte. Cela donne une bonne idée du son de cette musique à l’époque de sa création.

En ce qui concerne les interprètes canadiens, l’interprétation de Gerald Finley, avec Julius Drake au piano, est fort intéressante. Je pense à cette interprétation qu’on retrouve sur YouTube qui fait partie d’un récital donné en 2018 par les deux artistes à la Library of Congress à Washington. La voix chaude de Finley, l’intense caractérisation dramatique dont il fait preuve, y compris par le geste, et l’interprétation solide de Julius Drake au piano font merveille.

On écoutera avec intérêt aussi l’interprétation de Philippe Sly dans son disque de lieder de Schubert sur Analekta, accompagné à la guitare par John Charles Britton. L’atmosphère est sobre et intime, très différente de ce qu’elle est avec accompagnement au piano. On peut aussi visionner sur YouTube une interprétation d’Erlkönig par Philippe Sly avec Maria Fuller au piano. Interprétation digne de mention, avec le très beau timbre de Sly, une belle gestuelle dramatique nuancée et la prestation très intense de Maria Fuller.

J’espère vous avoir donné le goût d’écouter ce chef-d’œuvre de Schubert à l’occasion du 200e anniversaire de sa création.        

 

 

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