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La synagogue Shaar Hashomayim de Montréal est bien connue comme centre de musique juive. La chanson-titre de l’avant-dernier album de Leonard Cohen, You Want It Darker, a porté le cantor de la synagogue, le ténor lyrique Gideon Zelermyer, ainsi que son chœur dirigé par Roï Azoulay à l’attention d’un plus large public. Cohen, petit-fils et arrière-petit-fils d’anciens présidents de Shaar Hashomayim, fut toute sa vie membre de la synagogue et il est enterré dans son cimetière sur le mont Royal.
Lorsque Cohen a inséré des répétitions du mot hébreu hineni (« me voici ») dans cette chanson, il reconnaissait que sa fin était proche, qu’il se tenait devant son créateur, prêt à quitter cette terre.
L’évocation du mot hineni, dans cette même intention, est appropriée pour tout Juif pratiquant durant les quatre semaines précédant Roch Hashanah, le début du Nouvel An tel que calculé selon un ancien calendrier lunaire du Moyen-Orient. C’est un moment pour évaluer la façon dont vous avez mené votre vie, particulièrement vos manquements envers les autres, de leur demander pardon et d’aller au-delà des mots pour corriger vos actes.
Pour ce qui est du calendrier moderne, Roch Hachana commence cette année au coucher du soleil le 18 septembre. Yom Kippour commence au coucher du soleil le 27 septembre. Suivant la tradition, vous avez dix jours encore entre Roch Hachana et Yom Kippour pour faire amende honorable. Durant cette période, Dieu décide s’Il doit vous inscrire ou non dans le livre de vie. Vu la précarité de la vie dans le Moyen-Orient de l’Antiquité, en raison des guerres fréquentes ou de maladies, l’inscription dans le livre de vie était une préoccupation majeure.
La liturgie des prières des fêtes solennelles dans les synagogues orthodoxes est constante depuis un certain temps. Les cadres musicaux peuvent changer et évoluent en effet. Avant de mettre cette musique en contexte, puisqu’un disque vaut mille mots, je mentionnerai deux albums essentiels. Le premier, de l’âge d’or du chant cantorial, vers 1900-1940, est une superbe restauration (par Wendel Werdyger) d’enregistrements datant d’aussi tôt que 1913 par le « Caruso juif », le cantor Yossele Rosenblatt (Od Yosef Chai, vol. 5, High Holidays, CD double Aderet, 2011).
Pour un enregistrement moderne, un CD double avec Zelermeyer chantant et Stephen Glass dirigeant le chœur de Shaar Hashomayim est de première qualité. Des MP3 sont offerts sur le site web de la synagogue, mais je recommande la version en CD produite par l’experte d’enregistrement de McGill, Martha de Francisco.
Le contexte, maintenant : la religion et la musique sont des jumeaux siamois. Les cités complexes et les grands réseaux d’échanges commerciaux sont apparus au Moyen-Orient il y a six mille ans. Lorsque les archéologues découvrent des temples anciens, des instruments de musique font habituellement partie des artefacts trouvés. On raconte que les instruments les plus connus dans la Bible, les trompettes de Josué, ont fait s’écrouler les murs de Jéricho. Des études archéologiques ont montré que les murs se sont effectivement effondrés, mais à la suite d’un tremblement de terre.
Les rites dans les temples de Jérusalem incluaient un orchestre : les cordes, les instruments à vent et les cuivres, les anches et les percussions étaient dominants. Le rejet par les Juifs des instruments de musique dans les cérémonies religieuses est venu après la destruction du second temple par les armées romaines en l’an 60 de notre ère. Pour marquer cette perte, les rabbins qui ont succédé aux prêtres dans les temples ont banni les instruments des synagogues. (La profondeur de ce deuil est bien exprimée dans la chanson rastafari des Melodians By the Rivers of Babylon.)
Ajoutons à cela l’interdiction traditionnelle des représentations humaines dans les synagogues et il en résulte une énergie artistique et religieuse centrée sur des paroles dites ou chantées. Toutefois, contrairement à certaines sectes protestantes, les Juifs n’ont pas étendu l’interdiction de la musique instrumentale hors de la synagogue.
D’environ l’an 100 à 1000 de notre ère, la liturgie juive fut essentiellement semblable dans les synagogues s’étendant du Maroc à l’Inde et de l’Espagne à la Russie. Les paroles, pour être plus précis. Le cadre musical était laissé à la discrétion des synagogues et sujet à évoluer, sous l’influence surtout de la culture musicale ambiante des pays d’accueil des communautés juives de la diaspora.
La liturgie laissait aussi place à un vaste espace sonore. Des poèmes, habituellement des psaumes bibliques, pouvaient être mis en musique. L’improvisation, incluant une technique étendue virtuose, était encouragée par les chazanim professionnels qui émergeaient. Plus tard, comme leurs homologues chrétiens, les chazanim seraient appelés cantors.
À partir du xvie siècle, les Juifs européens, comme beaucoup d’autres, commencèrent à émigrer des campagnes vers les villes. Pour abréger l’histoire des cantors, disons que la crise vint au xixe siècle, lorsque les Juifs d’Europe durent composer, comme le reste du monde, avec la tourmente de la révolution industrielle. De vifs débats ont eu lieu au sujet du besoin d’une restructuration fondamentale des pratiques religieuses, de la capacité d’un judaïsme orthodoxe moderne de fonctionner dans un monde industrialisé ou de la nécessité de créer des enclaves ultra-orthodoxes afin de préserver le judaïsme.
Shaar Hashomayim est l’une des principales synagogues dans le réseau orthodoxe moderne. Cette variante est apparue en Allemagne et en Grande-Bretagne et s’est étendue à l’Amérique du Nord à la fin du xixe siècle. Les synagogues orthodoxes modernes employaient des cantors venant majoritairement d’Europe centrale et de l’Est.
Ces cantors d’Europe centrale et orientale ne possédaient pas de formation vocale opératique, mais chantaient de façons proches du style des chanteurs d’opéra de l’âge d’or. Dans un article marquant paru en 1997 dans Journal of Voice, Rothman, Diaz, et Vincent ont comparé les caractéristiques sonores comme le pouls de vibrato des ténors à l’opéra et dans les synagogues, passés et présents. Ils ont trouvé des similitudes entre le chant cantorial et le chant d’opéra datant des quarante premières années du xxe siècle.
Comment cette convergence du chant cantorial et opératique a été créée demeure un mystère. Nous savons que les jeunes cantors débutants de l’âge d’or étaient mentorés par des cantors émérites, un peu comme les musiciens de jazz étaient formés avant l’arrivée des départements de jazz dans les universités. Je n’ai pas trouvé de recherche musicologique portant sur la façon dont des cantors de régions arriérées d’Europe ont pu créer des techniques vocales comparables à celles pratiquées à l’opéra.
Pour le moment, nous pouvons nous réjouir des merveilles des technologies de remastérisation qui récupèrent des voix d’or d’un passé depuis longtemps révolu.
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