Lettres à la rédaction « Ce n’est pas le temps de demander aux artistes de se réinventer »

0
Advertisement / Publicité

Le champ des rêves, film sorti en 1989 et qui, à juste titre, est devenu un classique, m’a inspiré le titre de cet article : «  Si nous le faisons, viendront-ils ? » Un fermier de l’Iowa entend une voix l’informant que s’il transforme son champ de maïs en terrain de baseball, le légendaire Shoeless Joe Jackson viendra y jouer avec ses coéquipiers.

L’objet ici est la politique québécoise de relance des arts, soumise aux exigences de santé publique entourant la COVID-19. Le « ils » renvoie à vous, moi et tous les autres amateurs d’art qui se demandent si les politiques de distanciation physique sont suffisantes pour nous protéger dans une salle de concert.

Le secteur des arts au Canada nage dans une mer (pandémique) d’inconnus. La série d’enquêtes intitulée Étude de suivi sur la fréquentation d’événements artistiques (ARTS), parrainée par Affaires/Arts et le Centre national des Arts et menée par Nanos Research au cours du mois de mai, permet de mieux comprendre comment le public réagira lorsque les salles rouvriront. La Canadian Opera Company et la société d’investissement Woodbridge se joindront comme d’autres partenaires à l’occasion d’un deuxième sondage, au mois d’août.

Le 9 juin, Affaires/Arts et le CNA ont présenté les premiers résultats de l’enquête via Zoom. CAPACOA, l’Association canadienne des organismes artistiques, incite ses membres à mener des recherches parallèles. Cela aura un effet de levier sur le partage de l’information entre les différentes régions et les différents sous-secteurs des arts.

Les objectifs du premier tour du sondage ARTS étaient les suivants : 1) établir une base de référence, antérieure à la pandémie, qui mesure l’affluence du public canadien aux événements artistiques; 2) estimer le temps que cela prendra avant que le public réintègre les salles selon les normes de protection spécifiées par les autorités sanitaires provinciales; 3) découvrir combien, le cas échéant, les Canadiens voudront payer pour avoir accès à des événements artistiques sur Internet, en direct et dans de bonnes conditions de diffusion.

La recherche ARTS adopte une vision large de ce qui constitue les arts. En musique, cela va de la pop et des chansons patrimoniales/folk à l’opéra. Les données suivent la plupart des sous-catégories musicales d’intérêt majeur pour les lecteurs de La Scena Musicale – musique classique, opéra et danse – à l’exception du jazz. L’échantillon aléatoire de 1001 Canadiens âgés de 18 ans et plus, interrogés du 17 au 19 mai, est suffisant pour établir des résultats nationaux avec une marge d’erreur de 3,1 %.

Même la crème de la crème des enquêtes par sondage se heurte à des défis fondamentaux lorsqu’il s’agit de suivre de près les comportements relativement aux arts publics. Les répondants sont interrogés au sujet d’une cible mouvante. Les réponses à des questions identiques dans des enquêtes menées en mai, juin et surtout en juillet seront inévitablement différentes en raison de la mutation de la COVID-19.

Pourtant, l’enquête ARTS est un instantané des attitudes du public à l’égard de la relance du secteur artistique, à un moment précis dans le contexte pandémique. Si l’on considère que ce contexte (en l’occurrence, le déconfinement) ne changera pas du tout au tout, alors l’enquête ARTS donne un bon indicateur de ce que les Canadiens choisiront de faire cet automne.

Vérifions, tout d’abord, les pratiques des Canadiens concernant la fréquentation des salles publiques au cours de l’année précédant la pandémie. En termes de participation à des événements culturels en salle, il s’avère que 49 % des personnes interrogées ont assisté à au moins une représentation théâtrale, 39 % à un spectacle de musique populaire, 19 % à un concert de musique classique, 18 % à des événements culturels ou patrimoniaux, 11 % à un spectacle de ballet ou de danse et 5 % à une représentation d’opéra, tandis que 31 % des répondants n’ont assisté à aucun événement culturel en direct et en salle.

En 2019, la population adulte au Canada s’élevait à 30,4 millions. En supposant que les personnes qui fréquentent des concerts de musique classique fréquentent souvent des spectacles de ballet, de danse et d’opéra, on peut légitimement estimer le public de la musique et de la danse à 6 millions de personnes. Cela inclut tout ce qui va du concert communautaire gratuit à un abonnement au Four Seasons de Toronto.

Deux enjeux majeurs liés à la pandémie sont apparents : 1) celui de savoir si, oui ou non, le public a l’intention de se rendre de nouveau dans les salles alors que les gouvernements autorisent celles-ci à rouvrir en partie seulement et dans des conditions prescrites; 2) de savoir si, et combien, le public des arts est prêt à payer pour profiter de la diffusion sur Internet de spectacles en direct.

Pour une réouverture en septembre (à mettre ici au conditionnel), une proportion substantielle des répondants habitant au centre du Canada sont prêts à reprendre leurs activités artistiques dès que possible : 48 % au Québec et 42 % en Ontario. Le taux d’intérêt immédiat dans d’autres régions varie entre 28 % et 33 %.

Les chiffres élevés pour les deux provinces centrales par rapport au reste du pays reflètent probablement la concentration des publics et des professionnels de l’art à Toronto et à Montréal. Dans ce groupe prêt à reprendre ses activités prochainement, seulement un tiers des répondants ont indiqué qu’ils seraient ouverts à la distanciation physique et seul un quart des personnes interrogées accepteraient de porter un masque.

La plupart des scientifiques conviennent que le port de masques et la distanciation physique sont nécessaires pour contenir les taux d’infection à la COVID-19. Or, cela semble être au-delà de la zone de confort d’une majorité des répondants qui souhaitent retourner immédiatement dans les salles de spectacle.

Un deuxième sous-groupe, plus important, de 35 % déclare ne pas savoir ce qu’il ferait à la réouverture des salles. L’absence de vaccin efficace contre la COVID pose clairement problème : 37 % des personnes indécises seraient en effet rassurées si un tel vaccin voyait le jour.

Le plus grand sous-groupe quant au nombre (37 %) déclare avoir l’intention d’attendre 5,2 mois en moyenne pour voir comment les choses évoluent. Parmi les répondants ayant l’intention d’attendre au moins six mois avant d’entrer dans une salle de spectacle, 44 % souhaitent un vaccin efficace.

On ignore si la science développera un vaccin efficace contre le virus COVID-19.

Ce à quoi il faut s’attendre à l’ouverture de la saison 2020-21, c’est que les salles ne seront que partiellement remplies pendant un certain temps. Pour que les professionnels de la musique paient leur loyer, un nouveau mélange de revenus tirés de l’affluence réduite dans les salles, de la diffusion de concerts sur Internet, du soutien gouvernemental et de donateurs privés sera nécessaire pour que le milieu survive et prospère à nouveau.

La recherche ARTS est encourageante sur un point : elle va à l’encontre de la croyance populaire selon laquelle le public d’aujourd’hui serait habitué aux diffusions gratuites de musique et ne paierait aucuns frais. La diffusion payante de musique classique en HD a pris de l’expansion au cours de l’année précédant la pandémie. Les données recueillies par Nanos indiquent que seulement un répondant sur 10 ne paierait pas pour des contenus culturels en ligne. Les 90 % qui restent ont quant à eux indiqué des montants allant de 10 % à 50 % de ce que coûterait un billet pour une représentation en salle..

Traduction par Justin Bernard

 

Partager:

A propos de l'auteur

Les commentaires sont fermés.