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J’ai la chance d’exercer un métier que j’adore un peu partout dans le monde depuis près de vingt ans : celui de donner des récitals avec de merveilleux chanteurs et instrumentistes. Je donne également des cours de maître sur cette profession qu’on qualifie de « travail de l’ombre », puisqu’il ne s’agit pas de jouer en récital solo ou en tant que soliste avec un orchestre. Le métier que je pratique est toutefois bel et bien celui de pianiste. Je ne joue pas de « l’accompagnement » ni de la « collaboration », je joue du piano.
Ce travail de musique de chambre et de partage avec d’autres musiciens sur scène ou en studio est un art différent du métier de soliste. Bien qu’il se fasse sur le même instrument et avec beaucoup de similarités sur le plan technique et musical, il nécessite des qualités parfois différentes. Il faut d’abord avoir le sens de la respiration musicale, nécessaire pour être sur la même longueur d’onde que ses partenaires. Il faut aussi travailler et maîtriser une écoute absolue de ce qui se passe autour de soi pour pouvoir à la fois suivre et imposer, vivre et laisser vivre la musique avec les autres.
Mais la qualité la plus importante pour ce merveilleux métier (et, selon moi, celle qui découle de la respiration et de l’écoute), c’est le sens de la couleur, cette façon de décrire une émotion par un son, particulièrement lorsqu’on travaille avec des chanteurs qui doivent livrer non seulement une phrase musicale, mais également un texte littéraire. Parler de couleurs au piano, c’est aussi donner l’impression d’un souffle, d’une humanité de l’instrument. Quand on y pense, les chanteurs et les instruments à vent jouent avec leur souffle, les instruments à cordes avec l’archet qui produit un chant admirable. Et nous, les pianistes ? Nous avons des marteaux de bois et de feutre qui frappent des cordes de métal dans une boîte, elle aussi faite de bois et de métal… La couleur est donc un élément primordial pour être à la hauteur de tous ces autres instruments merveilleux. Les jeunes pianistes à qui j’ai eu le plaisir d’enseigner durant ma carrière sont tous passés par ce travail de couleur et de respiration délicat et nécessaire.
Une grande partie de ma tâche consiste à ce qu’on appelle en Amérique du « coaching » vocal. Les Français parlent plus élégamment de « chefs de chant ». Il existe plusieurs sortes de chefs de chant. D’abord, ceux qui travaillent majoritairement comme répétiteurs dans une maison d’opéra. Leur tâche consiste d’une part à préparer les chanteurs individuellement pour les répétitions, puis de jouer la réduction d’orchestre d’un opéra entier lors des répétitions avec le chef d’orchestre et le metteur en scène. Certains répétiteurs sont également chefs et assistent le directeur musical d’une production. Ensuite viennent les chefs de chant qui font surtout du récital, des disques et de la tournée. Plusieurs d’entre eux, surtout en Europe et au Royaume-Uni, font uniquement carrière en se produisant sur scène avec des chanteurs, lors de récitals de lied et de mélodie, mais ne touchent que très peu à l’opéra. Viennent finalement ceux qui font les deux métiers à la fois, celui de répétiteur d’opéra et de concertiste.
Peu importe la catégorie de pianiste ou chef de chant, tous doivent maîtriser de nombreux paramètres afin de guider et conseiller les chanteurs avec qui ils travaillent. La connaissance de plusieurs langues est essentielle, particulièrement l’italien, l’allemand, l’anglais et le français, pour pouvoir comprendre les textes dans la langue d’origine et ainsi corriger la diction. Il faut aussi posséder une bonne connaissance des styles vocaux et des traditions musicales en plus d’avoir une bonne base de la technique vocale, sans pour autant se considérer comme un professeur de chant. En effet, un chef de chant travaille sur tous les aspects énumérés plus haut, mais le professeur de chant, lui, guidera un jeune chanteur sur l’aspect plus délicat de la technique vocale. Pour moi, ces deux rôles sont très différents, bien définis et complémentaires.
Il existe au Québec de nombreuses institutions qui forment autant les jeunes chanteurs que les pianistes. J’ai le plaisir d’enseigner à l’Université McGill et au Conservatoire de musique de Montréal depuis plusieurs années. À travers les saisons, j’ai pu constater un bassin remarquable de jeunes voix qui s’épanouissent vers de belles carrières, mais aussi plusieurs jeunes pianistes qui ont cette passion de l’art vocal et qui deviendront d’admirables pianistes, chambristes et chefs de chant dans les prochaines années. La relève est donc bien présente chez nous et il faut continuer à l’encourager pour que cet art exceptionnel puisse se poursuivre encore longtemps. J’encourage les lecteurs, familiers ou non avec le récital chant/piano à s’y intéresser et à découvrir des œuvres d’une grande beauté, de la musique nouvelle, de grands interprètes, mais aussi et surtout la relève extraordinaire qui est la nôtre.
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