Aline Kutan & Marie-Ève Scarfone: Profiter du temps retrouvé

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Les artistes ne montent pas sur scène uni- quement par passion, mais aussi pour gagner leur vie. La crise du coronavirus a eu un effet dévastateur sur le secteur de la musique classique et les musiciens ont vu leurs agendas se vider complètement dès la mi-mars; certains sont sans emploi jusqu’en 2021. La soprano Aline Kutan et la pianiste Marie-Ève Scarfone racontent comment elles ont traversé cette période particulière.

Aline Kutan

Initialement, le confinement a été accueilli par les deux musiciennes comme une occasion de prendre du recul. En mars, après avoir fait des allers-retours entre Montréal et Toronto pour une série de concerts, Aline Kutan était sur le point d’au- ditionner des dizaines de chanteurs au Conservatoire de musique de Montréal avant d’enchaîner une série d’engagements jusqu’à l’été qui se terminait avec la Neuvième Symphonie de Beethoven sous la direction de Yannick Nézet-Séguin. Marie- Ève Scarfone répétait une nouvelle produc- tion de La Voix Humaine à l’Opéra de Montréal et s’apprêtait à prendre l’avion pour Saskatoon afin d’assister et jouer à la cérémonie des prix Juno, où elle était en nomination pour Elles, son nouvel album avec l’altiste Marina Thibault.

« Avant que tout s’arrête, j’avais cinq ou six programmes de concert différents dans la tête et tout se passait très vite, explique Marie-Ève Scarfone. D’une certaine façon, ce fut presque un soulagement de pouvoir prendre un peu de temps pour respirer, même si cela voulait dire que mes collègues et moi ne pourrions pas présenter notre travail au public. Heureusement, la plupart des projets ont été reportés à la saison prochaine. »

« Tout à coup, j’ai eu le temps et la tran- quillité d’esprit nécessaires pour me poser des questions importantes sur la vie, sur mon tra- vail et sur ce qui me rend heureuse. Je ne me définis pas par mon travail, car le piano pour moi est associé au plaisir. Toutefois, pour les jeunes qui essaient de se faire une place dans ce domaine très compétitif, il n’est pas nécessai- rement facile d’arriver à la même conclusion. »

Contrairement à certains musiciens qui tra- vaillent exclusivement à la pige, ces deux artistes occupent des postes d’enseignement à l’Université McGill. Aline Kutan enseigne éga- lement au Conservatoire de musique de Montréal et Marie-Ève Scarfone est la cheffe de chant principale à l’Atelier lyrique de l’Opéra de Montréal. Elles ont encadré des jeunes chanteurs et des pianistes pendant toute la période du confinement grâce aux outils de vidéoconférence.
« À l’Atelier, notre priorité était de soutenir nos jeunes autant que possible et de les aider à traverser cette période éprouvante, dit Marie-Ève Scarfone. Nous avons rapidement ajusté le cursus en intensifiant une série de coachings en ligne donnés par Guillaume Dulude, qui travaille régulièrement avec l’Atelier. Il les aide à développer des stratégies pour gérer l’anxiété, aborder des défis concer- nant la motivation, la gestion du temps et le leadership. Naturellement, beaucoup d’entre eux ont été déstabilisés par l’incertitude à laquelle ils faisaient face devant une carrière qui est déjà très difficile. Bien que mon travail de cheffe de chant consiste à préparer les chanteurs sur le plan musical, il est également important de prendre en compte les difficul- tés qu’ils peuvent rencontrer dans leur vie per- sonnelle et professionnelle, en particulier à un moment où il est aussi important de rester en bonne santé mentale que vocale. »

La quarantaine a également permis aux deux artistes de renouer avec la musique qu’elles aiment et qui est parfois mise de côté lorsque les engagements s’accumulent.

« Les artistes ne peuvent pas toujours choi- sir ce qu’ils interprètent, car ils doivent aussi payer leurs factures, explique Aline Kutan. Avec l’annulation de tous mes engagements et la réduction de ma charge d’enseignement, j’ai pu me consacrer à la musique que je voulais étudier, mais pour laquelle je n’ai jamais trouvé le temps, par exemple le rôle d’Elisabetta dans Roberto Devereux, que j’ai- merais beaucoup interpréter sur scène. »

Elle explore également une autre de ses passions, l’écriture. « Je peux m’asseoir pen- dant des heures et me perdre dans l’écriture de nouvelles, de mémoires et de poésie. J’adore écrire des sonnets, car il faut navi- guer entre les règles strictes et s’exprimer malgré elles. » Un de ses poèmes, Music, a été mis en musique par le pianiste Olivier Godin et ils l’interpréteront prochainement lors d’un récital virtuel pour le Festival de musique de Lachine.

Aline Kutan a également réfléchi à la façon dont l’industrie de l’opéra a évolué depuis le début de sa carrière, dans les années 1990. « Depuis une dizaine d’années, je remarque que je travaille deux fois plus en gagnant la moitié de ce que je gagnais il y a vingt ans. C’est devenu une profession très ardue, surtout pour les jeunes chanteurs qui se retrouvent sans emploi ou sont obligés d’accepter des engagements qui ne conviennent pas à leur voix. Certains de mes collègues, en plus de leur travail de musicien, doivent se trouver deux ou trois emplois alimentaires. J’ai eu la chance de débuter avec de grands rôles dans de petites maisons parce qu’il y avait, à l’époque, beaucoup d’ouvertures pour les jeunes chan- teurs en Europe et en Amérique du Nord. »

« De plus, la négligence de l’éducation musicale dans les écoles publiques est gênante. Sans ce soutien, les nouvelles géné- rations ne peuvent pas développer d’affinités avec notre répertoire pour devenir notre public de demain. Toutes les études démon- trent comment la musique améliore la capa- cité d’apprentissage chez les enfants. J’ai bon espoir qu’avec un peu de vision et avec des réformes, les choses s’amélioreront. Cependant, il faudrait que les gouvernements considèrent la musique comme une partie intégrante de l’apprentissage. »

Les deux musiciennes montréalaises demeurent optimistes et espèrent que la com- munauté musicale tirera d’importantes leçons

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