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Deux-Elles4
C’est un triste fait de la vie musicale que, lorsqu’un compositeur meurt, sa musique reste dans les limbes pendant au moins dix ans. Pendant ce temps, les directeurs musicaux et les programmeurs rangent l’œuvre complète dans un tiroir et attendent, disent-ils, que la réputation s’installe. Pour quelques compositeurs chanceux, une décennie s’écoule et il y a un renouveau. Pour les autres, il n’y a que du silence.
Le compositeur français Henri Dutilleux est décédé en mai 2013 à l’âge de 97 ans. Toute sa vie, Dutilleux a eu du mal à se faire entendre face au modernisme dominant de Pierre Boulez d’une part et du catholicisme ornithologique d’Olivier Messiaen de l’autre. Dutilleux était un musicien qui suivait sa propre voie et se méfiait des doctrines et des idéologies. Bien qu’il ait vécu dans le 4e arrondissement de Paris, sa musique évoque les scintillements et les grincements d’un sombre paysage de campagne la nuit − de la même manière que Béla Bartók dans ses quatuors à cordes et György Ligeti dans ses œuvres plus tardives. La musique de Dutilleux, bien que moderne dans son désaveu de la mélodie, est enracinée dans la réalité organique d’une manière que Boulez n’a pas réussi à concrétiser et que Messiaen a simplement simulée. Il y a lieu de penser que Dutilleux est le compositeur français le plus important de la seconde moitié du XXe siècle – voilà, je l’ai dit.
L’œuvre de Dutilleux est peu abondante, mais convaincante. Son concerto pour violoncelle de 1970 pour Rostropovich, Tout un monde lointain, utilise la musique comme un intermédiaire entre l’humanité et l’infini, comme un dialogue extra-terrestre. Son quatuor à cordes de 1976, Ainsi la nuit, explore les peurs et les espoirs d’un individu alors que l’obscurité tombe sur un paysage lunaire. Il y a des notes de Bartók et Webern et un courant sous-jacent incontournable de Ravel, donnant une pertinence contemporaine à ce dernier. Le quatuor est formé de sept mouvements dans une écriture assez difficile pour les joueurs de cordes… beaucoup de bruits pincés et des mains lourdes. Le finale s’intitule Temps suspendu et s’écoute comme un cadeau. Pendant près de 20 minutes, Dutilleux nous fait sortir de la marche acharnée du progrès, dans une relativité einsteinienne du temps et de l’espace. Cela fonctionne mieux que la méditation et bien mieux que la plupart des formes d’automédication.
Le Quatuor Ruysdael, un ensemble néerlandais, donne un compte rendu passionné d’Ainsi la nuit, inséré entre le Quatuor en fa majeur de Ravel et un arrangement du Clair de lune de Debussy. C’est un bel album qui me donne envie d’en entendre davantage, plus de Dutilleux surtout.
NL
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Traduction par Andréanne Venne
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