Okinum : la voie du rêve

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Parce que son travail de guérison résonne toujours en elle, Émilie Monnet donne une nouvelle incarnation à Okinum, son spectacle fétiche.

 

Finaliste du prix Michel-Tremblay (2019), finaliste du Grand prix du livre de Montréal (2021), Okinum est un texte autobiographique : « Okinum m’est cher, c’est ma première pièce, l’accouchement de ma voix d’artiste de théâtre », confie Émilie Monnet.

Inspirée par le rêve récurrent d’un castor géant, Okinum est une réflexion intime sur la notion de barrages intérieurs, un hommage au pouvoir du rêve et à l’intuition. La parole ­libérée remonte les rivières de la mémoire des ancêtres pour guérir et réconcilier les différentes identités de l’autrice interprète.

L’artiste autochtone y aborde l’épisode vécu d’un cancer de la gorge, symbole des violences faites aux femmes des Premieres Nations, et le difficile apprentissage de la langue de ses ancêtres, l’anishinaabemowin – deux ­héritages douloureux du colonialisme.

 

Entre histoire et actualité

« La possibilité de faire le spectacle en anglais, en collaboration avec le Centaur et Imago, s’est présentée immédiatement après à la création du spectacle au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui (2018). Le Théâtre autochtone du Centre national des Arts d’Ottawa a aussi vivement manifesté son intérêt », raconte ­Émilie Monnet. C’était l’occasion de replonger dans la réflexion qui anime Okinum et une ­nouvelle mouture a vu le jour à l’automne 2019.

« Ce texte résonnait encore en moi et je ­voulais voir comment la réincarnation du spectacle allait répondre à de nouvelles questions, à l’histoire collective. » Car à l’automne 2021, les représentations du Centaur ont eu lieu après les événements Joyce Echaquan. « Cette peur qu’ont nombre d’autochtones d’aller recevoir des soins de santé dans des hôpitaux a toujours existé, elle s’inscrit dans ma réflexion sur les autres façons de se guérir, elle résonne entre l’histoire et l’actualité, entre maux, maladies et un génocide reconnu par le gouvernement. »

L’autrice, comédienne et metteure en scène apporte donc des modifications au spectacle, retire une scène, en crée une autre : « Comme au CNA on m’avait invitée à présenter le texte en français et en anglais, j’ai intégré les ­modifications en anglais au texte français et j’ai inclus plus d’anishinaabemowin. » À ­partir de là, les invitations à le présenter se mettent à affluer. Pour l’artiste engagée, la représentation doit rester pertinente et actuelle, il y aura donc d’autres changements pour la version attendue à l’Espace Go.

La question de la transmission de la langue reste centrale. Son grand-père n’ayant pas pu lui transmettre l’anishinaabemowin, Émilie et sa sœur Caroline (aux costumes) doivent ­l’apprendre pour se reconnecter au territoire : « D’avoir à vivre cela dans mon processus de guérison a fait que la langue est devenue un ­vecteur important pour me connecter à mon ­territoire indien, au rêve du castor et à ma grand-mère, qui venait me voir dans mes rêves. »

 

Les portes du rêve

« Le rêve ouvre de nouveaux portails parce que, souvent, il met en scène des situations insensées et je saisis plus tard toute la richesse et le sens profond de ces cadeaux de l’invisible », poursuit la créatrice. Elle possède un carnet dans lequel elle note méticuleusement ses aventures oniriques; elle aime la poésie irrationnelle qui y règne, les liens étranges qu’on y fait, le tout l’inspire.

« J’ai rêvé d’un castor géant et au matin, j’étais très perplexe », reprend Émilie Monnet. C’est par la suite qu’elle a appris que des castors géants avaient existé dans la ­préhistoire et que des fossiles avaient été retrouvés dans les régions des Grands Lacs et dans les Territoires du Nord-Ouest. Les rêves sont vraiment magiques dans ce sens : « Que j’ai fait trois fois ce songe m’a confirmé son importance et qu’il fallait que je comprenne son message; le spectacle est né de la volonté de déchiffrer les paroles du castor comme des paroles magiques. »

Dans les langues algonquines, il existe un mode de conjugaison des verbes correspondant au temps du rêve, aussi important que le présent, le passé et le futur – ce qui démontre l’importance du monde du rêve dans les ­cultures des Premières Nations. Le rêve et la vie éveillée sont les côtés pile et face de la même pièce et l’idée de conjuguer au temps du rêve semble merveilleusement poétique : « Okinum a confirmé ­l’importance de faire dialoguer ces deux temps de narration. »

 

Une expérience collective

« Pour moi, le spectacle est une expérience collective, d’autant que ma scénographie est circulaire et que nous sommes tous à portée de regard », souligne Émilie Monnet. L’artiste convie les spectateurs à faire partie d’une expérience, d’un cocon : « Avec Emma Tibaldo et Sarah Williams qui signent avec moi la mise en scène, nous faisons éclater le quatrième mur pour qu’avec le public nous soyons ­vraiment ensemble. »

Le théâtre offre un prisme sur le monde qui génère des discussions, de la nourriture intellectuelle, spirituelle et émotionnelle. « Il est important de conscientiser les gens à la ­multiplicité des voix, à l’histoire commune, comme la Loi sur les Indiens, le système des pensionnats, des sujets qu’on ne peut ignorer. » Parce qu’avant qu’il y ait réconciliation, il doit y avoir conciliation.

Okinum est publié aux éditions Les herbes rouges (2020) et le sera en anglais cet automne. « Ce texte est devenu un livre, il est étudié, il ne m’appartient plus, je peux juste le représenter avec le plus de sincérité possible. »

À l’Espace Go. Du 4 au 22 oct. Une nouvelle tournée internationale suivra les représentations du mois d’octobre. www.espacego.com

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