La nouvelle directrice artistique de l’Espace GO Édith Patenaude a ouvert sa saison avec MOI, JEANNE, une œuvre hardie qui envisage une version non binaire de Jeanne d’Arc. Une proposition épique et radicale – à voir absolument, pour ses envolées libératrices et divertissantes. Jusqu’au 20 octobre, https://espacego.com/
L’histoire de Jeanne d’Arc est bien connue. Issue d’une famille de paysans aisés, la jeune femme, alors âgée de 17 ans, clame avoir été appelée par Dieu pour commander l’armée française et battre les Anglais. Ceci se déroule au XVe siècle, alors que la guerre de Cent Ans fait rage. Jeanne d’Arc réussit à lever le siège d’Orléans et à mener Charles VII jusqu’au sacre, à Reims. Mais la Pucelle d’Orléans est capturée et vendue aux Anglais. Jugée sorcière et hérétique, elle est ensuite brûlée vive en 1431.
Comme une tonne de briques
Dans la pièce écrite par l’auteurice britannique non binaire Charlie Joséphine et qu’a magnifiquement traduite Sarah Berthiaume, les metteures en scène Geneviève Labelle et Mélodie Noël Rousseau (fondateurices de Pleurer dans’ Douche) prennent pour prémisse une Jeanne d’Arc non binaire. La jeune guerrière féministe débarque en effet comme une tonne de briques, pour accomplir sa mission et combattre le patriarcat.
Les êtres trans relèvent de la magie et c’est pour cela qu’ils sont tués, brûlés, sacrifiés sur le bûcher, lance Jeanne d’Arc au public dès le début de la pièce. Ce détournement (ou cette révélation?) historique, truffé d’anachronismes vraiment amusants, est des plus sympathiques. Il mêle tragique et burlesque, le tout dans des costumes d’inspiration médiévale et moderne. La proposition est audacieuse et frontale. MOI, JEANNE pourrait-il être un descendant plus aimant et moins trash du théâtre « In-Yer-Face », décrit dans le New Oxford English Dictionary comme « ouvertement agressif ou provocateur, impossible à ignorer ou à éviter »?
La cour des miracles
Oubliez les grandes blondes stéréotypées. La distribution est issue d’une diversité inclusive, au sens large du terme – la morphologie des interprètes est des plus variées. Une comédienne pleine d’énergie est petite et toute menue, la reine mère dépasse par sa taille tous les interprètes d’une demi-tête et le roi doit se jucher sur des chaussures plateforme pour prendre quelques pouces. Côté esthétique, on navigue entre la cour des miracles et une comédie des Monty Python et le résultat obtenu est absolument parfait.
Le discours est un brin didactique, sans que cela soit lassant. Il est livré par de bons interprètes et il faut citer parmi iels Geneviève Labelle qui incarne magnifiquement une Jeanne D’Arc inspirée, Gabriel Szabo qui joue un roi délirant et malgré tout attachant, entre ennui et hystérie, et Gabriel Favreau qui interprète avec justesse et sensibilité Thomas, le valet du roi, subjugué par l’aura de Jeanne D’Arc.
La mise en scène de MOI, JEANNE est inventive, intense. Elle multiplie les ruptures de ton et les scènes se succèdent sans essoufflement. Des changements de costumes ou transformations se font sous les yeux des spectateurs, les comédien.ne.s se réfugiant sur chaque côté la scène, dans des manières de coulisses qui la flanquent (des miroirs, des cintres portant des vêtements et des modèles pour les maquillages sont visibles).
Un appel à la liberté et à l’amour
L’auteurice Charlie Josephine aborde les questions de genre avec humour tout en créant une fiction férocement décalée et réaliste. Puisque Jeanne D’Arc s’habille en homme, les prélats (chapeau aux costumes) l’enferment avec les hommes et la jeune femme se fait agresser à chaque nuit, à leur totale indifférence. Le cri de guerre de Jeanne d’Arc est un cri de révolte et d’émancipation égalitaire, un appel à déconstruire les normes sociales, à militer pour ce à quoi on croit.
Jeanne D’Arc va être tuée pour son courage et le monde est fâché contre des toilettes, entend-on dans la pièce. Phrase prophétique. MOI, JEANNE enflamme en effet depuis 2 semaines les critiques et le public de l’ESPACE GO. Des commentaires haineux contre les personnes trans ou non binaires se déversent pourtant sur les réseaux sociaux. Édith Patenaude et L’ESPACE GO ont récemment témoigné de cette réalité et récusent avec force la haine qui pollue l’estime portée à l’exceptionnelle équipe de MOI, JEANNE.
En conclusion, quoi que puissent en dire certains esprits rétrogrades qui n’ont même pas vu la pièce, MOI, JEANNE est un spectacle total et réjouissant, à voir absolument, jusqu’au 20 octobre, https://espacego.com/