Les sœurs Elkahna et Ines Talbi proposent fort à propos une nouvelle lecture d’Incendies, le célèbre texte de Wajdi Mouawad. Chez Duceppe, jusqu’au 30 novembre + en tournée partout au Québec du 7 février au 16 avril, Incendies – Théâtre Duceppe
Elkahna et Ines Talbi sont autrices, poétes, compositrices, comédiennes et metteuses en scène. Reconnues pour leur versatilité et leur complicité artistique, elles partagent, à l’invitation de Duceppe, une mise en scène pour la première fois – et celle-ci est fort ambitieuse.
C’est en effet à l’œuvre phare de Wajdi Mouawad, publiée en 2003 et portée à l’écran par Denis Villeneuve (2010) que les deux sœurs se sont attaquées, faisant plusieurs coupures dans le texte afin de le présenter en un seul souffle (2h15).
Dans la version originale de cette ode tragique et contemporaine, le rôle de la mère était joué par plusieurs comédiennes. Elkahna et Ines Talbi ont choisi pour leur part de confier ce rôle magistral à Dominique Pétin, qui incarne donc seule toutes les Nawal, et passe de l’âge de 14 à 65 ans.
L’histoire? À la mort de leur mère, Jeanne et Simon se retrouvent chez le notaire où les jeunes jumeaux apprennent que leur père est toujours en vie et qu’ils ont aussi un frère inconnu. Ils partent alors sur les traces de leur mère, pour accomplir ses dernières volontés.
Une approche féministe
La résilience de Nawal, jeune adolescente assez téméraire pour rêver d’apprendre à lire et écrire, oser accéder à la connaissance et à la liberté, est au cœur de cette nouvelle lecture. Cette comédienne incarne toutes les femmes : la jeune fille amoureuse et pleine d’espoir, qui a la témérité de fuir son village, enceinte, pour quitter à jamais sa condition et aller vers l’inconnu. Elle devient ensuite une femme éduquée, politisée et révoltée. Finalement, au crépuscule de sa vie, elle choisit la vérité. L’angle choisi par les sœurs est résolument féministe et humaniste, et si cette démarche généreuse a quelque chose d’apaisant elle reste douloureuse.
Incendies évoque en effet la guerre civile libanaise et la pièce trouve bien évidemment écho dans le monde et dans l’actualité d’aujourd’hui. De nombreux spectateurs ont certainement évoqué mentalement, pendant le spectacle, les bulletins de nouvelles catastrophiques, images atroces à l’appui. Car, pour paraphraser Wajdi Mouawad, la guerre est un enchaînement sans fin en colères, de viols et de meurtres, jusqu’au début du monde.
La distribution a été réduite à 7 interprètes. Si tous n’ont pas la même expérience, on sent bien que la troupe fait corps sur le grand plateau du Théâtre Jean-Duceppe. Reda Guerinik, qui incarnait Simon dans la première version d’Incendie, joue avec justesse le bourreau Abou Tarek, et sa présence au cœur dans la distribution est comme un autre écho inquiétant de cette tragédie œdipienne.
La scénographie est simple et très efficace (Anick La Bissonnière). Au milieu de la scène, des blocs évoquent les montagnes du Liban, auxquelles le pays doit son nom. Comme un augure tragique, ils éclatent au moment où les chairs de Nawal se déchirent, à la naissance des jumeaux et c’est un tableau qui est très fort. On aime aussi les costumes riches de symboles de Sophie El-Assaad, particulièrement la robe de Nawal qui se pare fièrement d’écritures, et les musiques de Ilyaa Ghafouri (Pas perdus | documentaires scéniques) et Radwan Ghazi Moumneh (un ingénieur du son lié à Godspeed You! Black Emperor).
Dans Incendies, Elkahna et Ines Talbi adressent à leurs grand-mères et à leurs origines Amazigh tunisiennes un hommage sincère dans lequel les communautés du Liban et du Maghreb de Montréal se reconnaissent. La tournée québécoise permettra à un large public de rencontrer ce grand texte et, certainement, de développer de nouvelles audiences. À voir chez Duceppe, jusqu’au 30 novembre + en tournée partout au Québec du 7 février au 16 avril, Incendies – Théâtre Duceppe