L’artiste d’origine martiniquaise Rébecca Chaillon propose Carte noire nommée désir, un spectacle jouissif qui dénonce les clichés colonialistes dont les femmes afro-descendantes sont victimes. Usine C, jusqu’au 26 mai https://fta.ca/
Figure importante du renouveau théâtral européen, Rébecca Chaillon est arrivée au FTA précédée par la controverse que son passage a soulevée au Festival d’Avignon, l’an passé. Des spectateurs s’étaient en effet outrés de certaines scènes; une interprète a été brutalisée et la droite française avait crié au racisme anti-blanc.
Mais loin d’être scandaleuse, Carte noire nommée désir est une cérémonie de réappropriation païenne, à la fois pop et sacrée. La performance mêle joyeusement mouvement, cirque (il y a numéro avec une roue Cyr) de la musique (harpe et chant) théâtre, stand up et poterie (et oui, tout cela) dans une ambitieuse représentation de 2h40 sans entracte. Il faut d’ailleurs souligner la qualité de la composition des tableaux proposés et la facilité avec laquelle ils s’enchainent.
Le but avoué de la représentation est de démontrer le système des privilèges blanc et de le faire exploser. Rébecca Chaillon commence la représentation en demandant aux femmes afro-descendantes de l’assistance d’aller prendre place dans de gros divans, au fond de la scène. Une des performeuses sert un breuvage à chacune de ces spectatrices privilégiées pendant que le reste de l’assistance prend place. Une première façon efficace de démontrer par inversement les préséances dont jouissent les Blancs, et le spectacle n’a pas encore commencé.
Le corps noir et sa décolonisation sont au cœur de ce spectacle plein d’images fortes. On voit Rébecca Chaillon habillée en femme de ménage, enduite de peinture blanche, exploitée, ramper sur le sol pour mieux le nettoyer. Puis elle met son corps à nu et il est entouré de soins par les autres interprètes, qui la lavent, l’enduisent de crème et tressent ses cheveux avec des cordes blanches et noires, qui pendent du plafond et qu’elles arrachent. Une multitude d’actions parfois surprenantes, qui impliquent chacune des comédiennes, jalonnent cette production. Poétiques, symboliques ou sarcastiques, elles poussent l’audience à réfléchir un peu plus profondément a la thématique du spectacle.
Carte noire nommée désir est intelligent, bien amené, interactif et bien dirigé. Le courant passe entre les comédiennes et le public, qui réagit au quart de tour, l’humour étant très présent. La lecture de petites annonces savoureuses d’hommes à la recherche de la « perle noire » de leurs rêves et le moment du jeu de mimes à saveur colonialiste sont deux moments forts de ce spectacle qui offre des scènes radicalement différentes.
Carte noire nommée désir est un spectacle à voir absolument, pour son contenu, sa forme et ses fantastiques performeuses qui se donnent à fond pendant près de trois heures (Estelle Borel, Rébecca Chaillon, Aurore Déon, Olivia Mabounga, Ophélie Mac, Makeda Monnet, Fatou Siby, Davide-Christelle Sanvee). Usine C, jusqu’au 26 mai https://fta.ca/