FTA 2023 : De territoire en territoire

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Retour sur la 17e édition du Festival TransAmériques, un festival plus international et plus engagé que jamais. Jusqu’au 8 juin https://fta.ca/ .

Revendications sámies

L’émouvant spectacle Vástádus eana – La réponse est le territoire de la chorégraphe sámie Elle Sofe Sara a ouvert le festival. Créé en juin 2021, présenté par sept interprètes vêtues et coiffées de façon traditionnelles, le spectacle a commencé par une performance sur l’esplanade Tranquille. Armées de mégaphones, les interprètes amplifient leurs chants, longtemps interdits par une évangélisation forcée.

Puis, fières et le poing levé, elles ont guidé le public vers le Monument-National. Les chants polyphoniques de Vástádus eana prennent source dans le joik (prononcé yoïk), la musique a cappella sámie. Cette dernière s’attache au territoire, car aucune de ses parties ne ferait sens sans les activités et les souvenirs qui y sont associées – ce qui explique que chaque sujet de la nature ait son propre chant de gorge joik.

Les tableaux de Vástádus eana évoquent des paysages lapons. Une interprète prend appui sur une autre, elle aussi penchée et la jambe arquée et le public voit apparaitre un renne avec de grands bois. Un bruit de scie électrique, des corps qui tombent et l’on comprend que c’est la destruction de l’habitat sámi qui est dénoncé. C’est que le joik, que les missionnaires qualifiaient de diabolique, a la réputation d’incarner ce dont il est question, il fait voyager l’auditoire par la pensée ou transmet le caractère d’un animal. Son incarnation artistique est une réussite.

Les harmonies des chants des interprètes vont droit au cœur. Une mise en scène épurée mise sur le rouge, une des couleurs du qu’affiche fièrement le drapeau sámi, baigne par moments dans une merveilleuse lumière sépia. Poétique et puissant, inspiré des mouvements socioécologiques et de la spiritualité sámie, le concert chorégraphique Vástádus eana – La réponse est le territoire a donné un ton politique au festival.

Avec Grete Daling, Olga-Lise Holmen, Sara Marielle Gaup Beaska, Risten Anine Gaup, Emilie Karlsen, Julie Moviken et Nora Svenning.

La perspective écossaise

Dans The Making of Pinocchio, Rosana Cade et Ivor MacAskill croisent théâtre jeune public, vidéo, performance et art engagé pour évoquer une transition de genre. Un spectacle témoignage.

Couple dans la vie comme à la scène, les interprètes originaires de Glasgow modernisent l’histoire de Pinocchio, dont le plus grand désir est d’être un vrai garçon. Créé à Hambourg l’année dernière, The Making of Pinocchio revoie le conte par la lorgnette de la quête identitaire de la marionnette de bois, métaphore décalée de la transition de genre vécue par MacAskill.

Grâce à un petit théâtre d’enfant et quelques caméras bien placées, les créateurs jouent avec la perspective et misent sur l’humour. Sur scène, dans une sorte de mise en abime, le public assiste au jeu des trucages, à l’invention et la fabrication des scènes filmées. Sur un grand écran suspendu à l’avant de la scène, il voit aussi l’effet de perspective parfaitement rendu. Des assistants aident à la fabrication de cette signature visuelle si minutieuse et particulière.

Les changements vécus par MacAskill ont bouleversé plusieurs aspects de la vie du couple qui a voulu explorer à partir de long processus. Ces mois de transition sont devenus un spectacle riche et nuancé. Le couple se met – parfois littéralement – à nu. Ivor MacAskill indique, par exemple avoir, eu les moyens d’aller au privé pour les interventions nécessaires aux dernières étapes de sa transition, évitant ainsi les interminables listes d’attentes du public.

Certains pensent que les personnes trans inventent un monde imaginaire, qu’elles mentent. Rosana Cade et Ivor MacAskill répondent en choisissant Pinocchio comme personnage et façonnent un monde merveilleux et éternel, sur fond de violons. Les créateurs terminent la représentation en se serrant l’un.e contre l’autre et en appelant à l’honnêteté, y allant du hashtag : # to be honest. Maison Théâtre, 25-27 mai https://fta.ca/

Une version numérique du spectacle est disponible jusqu’au 8 juin.

Nehanda : fièvre anticolonialiste

Dans l’opéra chorégraphique Nehanda, nora chipaumire invoque l’esprit d’une révolutionnaire Shona et insuffle à la longue performance une énergie inoubliable.

La danseuse et chorégraphe invoque l’esprit de Nehanda Charwe Nyakasikana (1840-1898), qui a mené une révolte contre l’occupation des terres aujourd’hui connues sous le nom de Zimbabwe par la British South Africa Company (Compagnie britannique d’Afrique du Sud). L’esprit serait réputé avoir inspiré et guidé plusieurs femmes à travers le soulèvement du peuple shona.

Entre concert chorégraphié et cérémonie en trois temps, Nehanda revient sur le procès qui au nom de la reine Victoria, condamna à la pendaison la figure dirigeante du mouvement anticolonial rhodésien, Charwe Nyakasikana. Une vingtaine de musicien·ne·s, chanteur·euse·s et danseur·euse·s racontent le récit du soulèvement du peuple shona et tout en participant à la création de d’une trame musicale continue, qui passe du reggae à une reprise percussive Jerusalem, un succès gospel chanté en Zulu.

La chorégraphe, qui est installée à Brooklyn et qui a été récompensée de quatre prix Bessie, a notamment convié  Peter van Heerden, pour incarner la reine Victoria. Grimé de blanc de clown et coiffé d’une perruque blanche, le grand gaillard porte, sous la structure d’une robe à cerceaux, un sous-vêtement imprimé léopard. Le seul blanc de la distribution reçoit les hommages de villageois trompés et le simulacre est d’autant plus douloureux que Charles III vient tout juste d’être couronné.

La grande salle de l’Espace Go salle a été transformée en barrelhouse (juke joint africain). Des caisses de lait en plastique font office de sièges et des lanternes assurent l’éclairage. Le tout est éparpillé au sol et toute la surface de la salle est utilisée. D’immenses drapeaux britanniques sont accrochés aux murs et les spectateurs sont invités à danser et chanter pendant la représentation longue de 4 h 30. La proximité des comédiens et spectateurs incite ces derniers à céder au rythme, à s’engager, à prendre position dans la représentation.

Iconoclaste et spirituelle, Nehanda est une épopée anti colonialiste inspirée de la cérémonie shona que les guerriers faisaient avant de partir en guerre, dansant pendant 24 heures. C’est un voyage au bout du corps africain et la (dé)colonisation auquel on ne résiste pas, une occasion pour le spectateur faire corps avec un nouveau récit. En shona, anglais, ndebele, ewe, afrikaans, kriolu.

Avec Sylvestre Akakpo Adzaku, Tatenda Chabarwa, nora chipaumire, Jonathan Kudakwashe Daniel, David Gagliardi, McIntosh « SoKo » Jerahuni, Fatima Katiji + Mamoudou Konate, Othnell « Mangoma » Moyo, Lucia Palmieri, Mohamed Yousry Fathy « Shika » Saleh, Kei Leon Soares-Cobb, tyroneisaacstuart, Peter van Heerden, Shamar Wayne Watt et Gilbert Zvamaida

La programmation du FTA continue jusqu’au 8 juin. Pour tout savoir, consultez le https://fta.ca/ .

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