Critique | Cyclorama: Tendre la main

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Avec Cyclorama, Laurence Dauphinais réussit une ambitieuse comédie documentaire bilingue qui transporte le public du Théâtre Centaur au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui – dans tous les sens du terme. Inédit. Du 11 octobre au 5 novembre theatredaujourdhui.qc.ca

Francophone, l’autrice et metteuse en scène Laurence Dauphinais travaille régulièrement avec des artistes anglophones. Pourtant, elle constate depuis ses études à l’École nationale de théâtre que les deux communautés artistiques s’ignorent encore l’une l’autre. Lassée de cet état de choses, la créatrice québécoise décide de sauter dans le malaise et de faire bouger les choses.

Le ton est donné. Comment, dans la même ville, la pratique du théâtre peut-elle être aussi divisée linguistiquement et culturellement? Accompagnée de l’historienne du théâtre Erin Hurley, de l’historien Alexandre Cadieux et d’Antoine Yared, un ancien partenaire de jeu transformé en répondant anglophone sur scène, Laurence Dauphinais fait entendre tous les points de vue et remonte le fil du temps, afin de mieux comprendre l’origine d’opinions si antagonistes.

Plonger dans l’histoire de Montréal

Les spectateurs se rencontrent donc au Théâtre Centaur pour l’acte I de Cyclorama. Sur la scène, tendu sur presque toute la largeur de celle-ci, un écran en tulle en arc de cercle évoque un cyclorama, ces fresques historiques qui faisaient illusion grâce à des effets de perspective. Il règne une atmosphère de bibliothèque, les étagères sont pleines de livres (Scénographie Robin Brazill). Les protagonistes évoluent autour d’une table munie d’un écran lumineux; les historiens montrent à l’aide de cartes l’histoire et l’évolution des emplacements des premiers théâtres francophones et anglophones.

Ils évoquent les flux et reflux des nouveaux arrivants qui, peu à peu, s’installent et montent plus au Nord du Boulevard Saint-Laurent. Les historiens mentionnent aussi les premiers anglophones qui quittent la métropole, autour de 1910. Donc bien avant les années qui suivent l’adoption de la loi 101 (1977) et voient la presse anglophone du Québec crier à la répression linguistique.

Les échanges entre les quatre protagonistes – qui conservent les noms et les identités des comédiens – sont  rythmés et rapides comme des échanges de ping-pong. Des histoires intimes se mêlent aux récits didactiques et l’ironie est de la partie. On aimerait parfois entendre le quatuor s’attarder un peu plus sur certains détails, mais la vivacité des dialogues est la recette de Cyclorama. À noter: le texte, bilingue, n’est fort heureusement pas intégralement traduit; ce qui est dit en français s’inscrit en anglais à l’écran et vice versa.

Laurence Dauphinais et Antoine Yared dans l’acte III de Cyclorama, sur la scène du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui. Crédit photo : Valérie Remise.

Le cas d’Antoine Yared

Acte II : en voiture! Après une première partie d’une heure, les spectateurs montent dans un autobus pour une visite commentée d’une partie du Plateau, à l’Est du Boulevard Saint-Laurent. Au fil des bâtiments, une bande sonore enregistrée évoque l’histoire du Monument National, les poèmes Speak White (1968), Speak What (1989) qui rappellent des époques autrement politisées. Moment en trompe-l’œil: le mariage de Céline Dion est mentionné. L’ombre de l’irremplaçable critique Robert Lévesque plane, elle aussi, sur le parcours. Petit bémol pour les bilingues, cette section de trente minutes est entièrement diffusée dans les deux langues.

Le spectateur se retrouve donc assis dans la grande salle du Centre du Théâtre d’Aujourd’Hui pour l’acte III. Mention spéciale aux changements de tons, d’éclairages (Chantal Labonté) et aux projections variées (Allison Moore) qui soutiennent un récit parfois très touffu. Le personnage d’Antoine Yared, qui a quitté le Québec pour faire une fructueuse carrière au célèbre Festival de Stratford, le plus important festival de théâtre classique d’Amérique du Nord, a le retour difficile; il est figé dans une sorte de défiance.

Car Antoine, élevé en français et en arabe, a fait le choix d’étudier en anglais. Le Libanais d’origine s’est en effet inscrit en théâtre au Collège Dawson. Puis, ses études terminées, il s’est exilé en Ontario et aux Etats-Unis pour pouvoir travailler, faute de contacts dans le milieu. Mais pour Laurence Dauphinais, en dépit ou peut-être à cause de certains projets caquistes, au nom du théâtre et de l’amitié, il est grand temps de tendre la main et d’inviter le talentueux comédien à revenir jouer à Montréal.

Cyclorama: Pour le spectacle, l’initiative et la symbolique. De Laurence Dauphinais, une coproduction du Théâtre Centaur et du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui . Du 11 octobre au 5 novembre.

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